Sport au féminin : Lisa Nasri et Marie Lerpscher font tomber les barrières

Lisa Nasri et Marie Lerpscher sont deux trentenaires qui aiment le sport. L'une en a fait son métier, l'autre a lancé un blog autour des sportives. Pourtant, le rapport au sport et à l’image de soi n’a pas toujours été évident pour les deux femmes. Leur point commun, outre une belle amitié, c’est la nécessité de faire sauter les barrières que les femmes se mettent à elles-même.  Rencontre. 
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Sport féminin
Lisa Nasri donne des cours de sport pour faire tomber les barrières. Marie Lerpscher, elle, a créé un blog pour donner la parole aux femmes sportives
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Lisa Nasri, alias Happy Fit sur les réseaux, est coach sportive. Elle propose des cours de sport déjantés pour celles qui n’osent pas s'inscrire en salle. Pendant ses cours, on chante les tubes de Larusso, on danse sur ceux de Beyoncé, pompons roses au poing, tout en travaillant squats et abdos. Lisa Nasri est aussi à l'origine d'ateliers de confiance en soi, pour apprendre, entre autres, à accepter son corps.

Marie Lerpscher, elle, est photographe et a créé le blog Gogirlz pour donner la parole aux femmes qui mènent une activité sportive régulière. Chaque semaine, elle publie le portrait et les paroles d’une femme qui ose inscrire à son quotidien sa pratique sportive. L'une a fait l'atelier de l'autre, l'autre a son portrait dans le blog de la première. Leurs activités autour du sport sont complémentaires, et outre l'amitié qui les unit, la volonté de briser les barrières mentales que les femmes se construisent elles-mêmes rapproche leurs démarches. 

Le sport pour se connaître

“Avant de dire que je m'aime, je vais d'abord essayer de savoir qui je suis”. C’est le mantra de Lisa Nasri. Le sport a toujours été une évidence pour la jeune femme, et il fait partie de sa vie depuis toujours. Juriste de formation, elle s’est rendue compte qu’elle utilisait le sport comme un exutoire à son mal-être général. En se posant des questions sur sa pratique, elle a refait connaissance avec elle-même et a décidé d’en faire son activité principale. “Je ne me sentais pas à ma place dans ce métier de juriste. Je voyais que je me renfermais, que je mangeais énormément. J'avais des mécanismes d'autodestruction et je voyais surtout ma consommation de sport augmenter. J’avais besoin de ma dose de sport le soir, pour évacuer tout le stress”, raconte-t-elle. Le sport devient alors pour la trentenaire un moyen de passer du temps avec elle-même : “Je n'utilisais pas le sport pour mincir. J'avais juste besoin du sport pour me recentrer, me reconnecter à moi-même et aussi pour reprendre possession de mon corps”, poursuit-elle.

Lisa Nasri
“Je n'utilisais pas le sport pour mincir. J'avais juste besoin du sport pour me recentrer, me reconnecter à moi-même, et aussi pour reprendre possession de mon corps”. Lisa Nasri, Happy Fit, donne des cours de sport. 
©Marie Lerpscher

Elle utilise alors le sport pour exprimer sa liberté de disposer de son corps à sa guise, en opposition à l’obligation de rester assise à un bureau toute la journée. Mais sa pratique sportive devient trop extrême : “Il m'en fallait toujours plus, encore. C'était vraiment une addiction. Mais tant que je n’étais pas dans des schémas de régime pour maigrir, je me disais que ça me faisait du bien. Sauf qu'un jour, je me suis blessée”. Cette pause forcée l’oblige à remettre en question sa manière de penser le sport. Loin de vouloir arrêter, elle décide plutôt de quitter ce qui la rend malheureuse, son poste de juriste. Le sport fera partie de sa vie, mais de manière positive.

Mon argument, c'était que moi, j’ai toujours été la plus ronde dans ma salle de sport, et ça ne m’empêchait pas d’en faire.
Lisa Nasri, coach sportive avec Happy Fit

Mieux, elle va aider les femmes à laisser libre cours à leurs envies, à faire fi du regard des autres : “À la base je voulais être motivatrice sportive, travailler sur l'aspect mental et accompagner les gens pendant leurs séances sportives. Un genre de baby-sitter du sport ! Certaines femmes ont besoin d’une copine de sport pour se lancer. Mon argument, c'était que moi, j’ai toujours été la plus ronde dans ma salle de sport, et ça ne m’empêchait pas d’en faire. On s’en fiche”. Lisa Nasri constate que seules, les femmes ont du mal à faire le premier pas, alors elle veut être leur déclic. “Mais j'ai rapidement constaté qu’il me manquait le côté professionnel. J’ai alors passé mon diplôme de coach et j’ai créé Happy Fit, un cours où on fait du sport sans vraiment s’en rendre compte”, raconte-elle. 

Prendre conscience que je n’avais pas de modèles de femmes sportives dans mon entourage, ou même dans les médias, a été un déclic.
Marie Lerpscher, créatrice du blog Gogirlz

Ne pas oser se lancer, se dire que le sport à haut niveau n'est pas pour soi, Marie Lerpscher connait ça. Elle qui n’a jamais vraiment eu de référence sportive féminine dans son entourage, s’est pourtant découvert une passion pour la course il y a neuf ans. Néanmoins, elle a toujours eu du mal à s’imaginer se lancer dans de grosses courses comme le Marathon. “J’en avais peur, je crois. Je me disais que ce n’était pas pour moi, que c’était une distance trop importante, que c’était pour de vrais coureurs”, explique-t-elle.

Quand finalement, elle se lance et court ce marathon, elle réalise les barrières qu’elle s’était imposées à elle-même. “Je me suis posé pleins de questions. Pourquoi je ne l’avais pas fait avant ? Qu’est-ce qui m’en a empêchée ? Tout était lié à la confiance en soi, à l’estime de soi en tant que sportive et à la légitimité de s'attaquer à cette distance”, confie-t-elle. Elle décide d'aller poser ces questions aux femmes de son entourage, à commencer par sa mère et sa soeur. “Elles n’ont, bien sûr, pas eu les mêmes réponses que moi. Mais prendre conscience que je n’avais pas de modèles de femmes sportives dans mon entourage, pas plus que dans les médias, a été un déclic”, confie Marie. “J’avais besoin de voir des femmes répondre à la question ‘qu’est-ce que faire du sport ?’, de voir des femmes réaliser qu’elles sont sportives, même si elles ne s’en rendent pas compte. L’idée du blog Gogirlz est né comme cela”, explique-t-elle. 

Le sport et le rapport au corps

Son apparence n’a jamais été un frein à la pratique sportive. Lisa Nasri a pour autant conscience que la perte de poids est, pour de nombreuses femmes, un élément important dans la décision de faire du sport régulièrement. 

“J'ai toujours été ronde, depuis mon enfance. À l'âge adulte, j'ai continué à grossir, mais ça ne m'a jamais empêché de faire du sport. J'en fais depuis que je suis toute petite”. Lisa Nasri a rapidement pris conscience que pratique du sport et perte de poids n’étaient pas synonymes, et qu’associer les deux n’a pas de sens. “Il y a des gens pour qui le sport aide à perdre du poids, et c'est cool. Mais pour d'autres non. J'entends souvent des phrases du genre ‘mais comment se fait-il que tu ne maigrisses pas, avec tout le sport que tu fais ?’ Je ne rentre tout simplement pas dans cette catégorie-là”. Pour la jeune femme, cette mentalité vient de la culture du sport qui prévaut en France. “Quand je vivais à l’étranger, les coachs en salle ne m’ont jamais fait de réflexion sur mon poids, pourtant j’en avais pris beaucoup. En France c’est la première chose qu’on te dit quand tu t'inscris en salle". 

Elle décide de faire la différence avec ses enseignements sportifs, grâce à sa personnalité. Comme son nom l’indique, Happy fit laisse la place à la bonne humeur. Comment supporter la douleur des squats ou des pompes ? Les faire en chantant à tue-tête “Tu m’oublieras” de Larusso, en remuant des pompons. “J'ai tout simplement créé le cours qui me manquait. Je voulais pouvoir chanter pendant mes exercices, m’amuser. Chanter, c'est un exercice supplémentaire. Ça te demande du souffle, et tu travailles tes abdos. Et quand tu les fais sur des chansons que tu aimes, dont tu connais les paroles, le cours passe tellement plus vite ! Pour les pompons, c’est pareil, ça te fait oublier que tu fais du sport, pourtant tu travailles les bras avec les jambes. Tu te libères beaucoup plus”, détaille la coach. “Avoir toutes les morphologies possibles à mes cours me ravit. La bienveillance que j’y mets parle à tout le monde”, poursuit-elle. 

Marie Lerpscher
Marie Lerpscher a créé le blog Gogirlz pour donner la parole aux femmes qui pratiquent une activité sportive, avec le mot d'ordre "Lancez-vous, osez"
© Nadia Bouchenni

Le sport pour toutes ? C’est le credo de Marie Lerpscher. Car pour la jeune photographe, le sport n’est pas qu’une histoire de performance. Il lui a fallu d’abord travailler sur sa perception du sport. “Je cours depuis toute petite, j’ai toujours aimé ça. Pourtant, je n’ai jamais pensé à m’inscrire dans un club. Plus jeune, je ne correspondais pas au physique des sportives, j'étais une petite fille toute ronde. Personne ne m’a jamais dit que le sport était pour moi”, confie-t-elle.

Alors elle s’est attelée à redéfinir ce qu’est le sport, pour mieux l’appréhender avec chaque femme dont elle publie le portrait sur son blog. “Finalement le sport, c’est quoi ? C’est une pratique physique qui permet de se mouvoir dans un monde très sédentaire pour beaucoup d’entre nous. Le sport doit s'intégrer à notre quotidien, au même titre que manger. Courir tous les jours, ou marcher trois heures, c’est du sport. Malheureusement, encore aujourd’hui, quand une femme veut faire du sport, c’est pour maigrir. Alors que ça ne fonctionne pas. C’est faux”, s’insurge-t-elle.


Avec chacune des femmes qui acceptent de participer à Gogirlz, Marie Lerpscher entreprend un travail d’introspection, d’accompagnement, pour les aider à comprendre qui elles sont sportivement. Elle explique : “Je leur envoie un formulaire, toujours les mêmes questions à toutes, pour préparer l'entretien en amont. Quand on se rencontre, je vais creuser leurs réponses, déconstruire chaque aspect. On va comprendre ensemble où elles en sont sportivement, ce qu’elles ont déjà parcouru. On aborde tous les sujets, justement parce que le sport est lié à la vie. Comme on est vraiment dans un contexte de bienveillance, elles sont en confiance pour que je prenne ensuite quelques photos”

Se faire confiance grâce au sport

Cette confiance qui s’installe, Lisa Nasri travaille à ce que les femmes qui viennent la voir l’accepte pour elles-mêmes. En parallèle de ses cours Happy Fit, elle a développé des ateliers de confiance en soi. Si ce ne sont pas forcément les mêmes femmes qui assistent à ces deux activités, certaines ressentent le besoin, à un moment, de passer des cours de sport aux ateliers, et inversement. “Je ne remplace pas un psy”, précise-t-elle. “Le but de l'atelier, c'est de réconcilier le corps et l'esprit. La personne me raconte sa vie, son parcours, et je reconnecte les points entre eux, puis je lui donne des exercices à faire au quotidien. On parle beaucoup de pardon, de lettre à soi-même. Je leur demande de réellement se regarder nues dans le miroir tous les jours. Je plante des graines, et ensuite, c’est à elles de les arroser”, détaille-t-elle.

Le miroir est un élément primordial pour la coach, notamment dans la pratique sportive : “Le sport aide à prendre conscience de son corps, et aide à se détacher des pensées négatives qu’on a sur lui. Plus on fait de sport, plus on prend conscience de ce corps, et plus on lui fait confiance. On voit autre chose que ses défauts, on réalise tout simplement l’aspect technique du corps, deux bras, deux jambes, etc. Si on accepte de se regarder dans le miroir, notamment pendant les sessions de sport, ça aide aussi à avoir une meilleure image de soi”, indique-t-elle.

Fais péter tes barrières livres
La coach sportive Lisa Nasri a sorti un livre "Fais péter tes barrières" dans lequel elle donne des conseils autour de la confiance en soi.
© Marie Lerpscher pour les éditions First

C’est cette mentalité qu’elle applique à sa vie et sur les réseaux sociaux, avec le hashtag #FaisPéterTesBarrières. Elle pousse ses abonnées à briser les barrières mentales qu'elles s'imposent inconsciemment. Devise qu’elle applique au quotidien, au point d’avoir écrit un livre, naturellement intitulé “Fais Péter Tes Barrières” aux éditions First.

Ce “guide pratique” aborde plusieurs aspects de la confiance en soi. “On y parle du corps, du rapport aux autres, et des émotions”, raconte Lisa Nasri. “C’est un accompagnement qui s’adresse à tout le monde, comme un condensé de rappels, conseils, témoignages qu’on peut consulter à tout instant, dès qu’on en ressent le besoin”, poursuit-elle. Même s’ils ne parlent pas que de sport, les conseils que donne Lisa Nasri sont bien évidemment également applicables à la pratique sportive. “Si vous n’osez pas encore vous mettre au sport, je vous conseille trois choses : Ne vous comparez pas aux autres, rappelez vous que tout le monde a débuté. Ne vous laissez pas envahir par le regard des autres. Et enfin, ne cédez pas aux modes. Essayez le sport qui vous fait envie, et si ça ne vous plait pas, ne forcez pas, parce que c’est à la mode. Trouvez ce qui vous fait plaisir à vous”, préconise la coach Lisa Nasri. 

Le sport, c’est surtout du bien-être physique et mental. Le but ultime du sport, c’est d’être vivante, et d’en avoir conscience.
Marie Lerpscher
Pour Marie Lerpscher, la barrière à “faire péter”, c’est avant tout “le regard sur soi”. “Osez vous écouter, lancez-vous. En tant que femme, on nous demande d’écouter les autres, de leur plaire, de leur faire plaisir, et on oublie de s’écouter soi, de faire les choses pour soi. C’est la même chose pour la pratique sportive”, conseille-t-elle.
 
La jeune femme insiste sur l’importance de la pratique sportive comme élément vital. Elle s’exclame : “Le sport c’est surtout du bien-être physique et mental. Le but ultime du sport, c’est d’être vivante, et d’en avoir conscience. J’ai interviewé une femme handicapée moteur qui fait de la musculation, une autre qui est sourde et qui fait des trails. À partir du moment où on est en vie, on peut faire du sport, et quand on est sportive, on est vivante”

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La représentation médiatique, indispensable pour se projeter en tant que sportive, fait toujours défaut aux yeux de la blogueuse. Malgré le succès des audiences de compétitions sportives féminines comme la Coupe du monde de football, en 2019, le sport au féminin n’est toujours pas la priorité de certains. Marie Lerpscher est agacée : “Il manque des femmes au gouvernement, à la tête des fédérations, aux postes de rédactrices en chef dans les médias sportifs, pour prendre les bonnes décisions. Dans les sports majoritairement pratiqués par les hommes, les budgets des fédérations vont essentiellement dans les clubs masculins. L’équipe de france féminine de handball se bat pour trouver un diffuseur de ses matchs, alors qu’elles sont championnes du monde ! Les chaînes préfèrent diffuser les matchs des hommes, parce que les personnes décisionnaires sont encore des hommes. Comme dans toutes les entreprises du Cac 40, tant qu’il n’y aura que des hommes blancs de plus de 40 ans aux postes de pouvoir dans le domaine du sport, on n’arrivera pas à une meilleure représentation des femmes. Parce que les hommes ne se soucient pas des femmes dans le sport”.