Fil d'Ariane
"La première fois qu'on est arrivé, avec trois filles, et qu'on a dit 'on vient jouer au foot', les garçons ont répondu : 'n'importe quoi les filles, ça joue pas au foot ! Vous allez derrière sur le petit terrain'", raconte Leila Marhi, de l'association Sine Qua Non, qui promeut l'égalité dans l'espace public et lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
"L'aménagement de l'espace public a répondu à des sujets d'hommes", rappelle à l'AFP Edith Maruéjouls, géographe du genre, qui a travaillé sur le sujet en Gironde il y a plusieurs années et a montré que ces endroits, comme la cour de récréation, étaient occupés à plus de 90% par des hommes.
Il y a un an, l'exécutif français lançait un plan de construction de 5 000 équipements de proximité : skate park, stade multisports, aires de musculation, ouverts à tous. Qui va réellement les utiliser ?
Sine Qua Non est une association partie "à la conquête de la rue". Elle bénéficie de créneaux réservés à Paris et en banlieue. C'est ainsi qu'en lien avec les animateurs d'un centre social, petites filles et adolescentes viennent taper dans le ballon au citystade Reverdy, dans le 19e arrondissement de Paris, sous les instructions de leur coach, Fanta, 16 ans, qui "veut transmettre son savoir du football".
Les plus grandes, âgées de 13/14 ans comme Fatou, Yayé, Heidi ou encore Maeva, jouent maintenant en club, et les plus petites se les disputent pour les avoir dans leurs équipes.
Depuis un an et demi, l'association a fait sa place. Ce qui n'empêche pas, moins d'une heure après le début de l'entraînement, que quelques jeunes garçons trépignent, passent la tête, et lancent un timide "vous finissez quand?" En fin de séance, des garçons sont intégrés aux équipes. Mais, sans encadrant, il n'y aurait quasiment jamais de filles en train de jouer sur ce terrain.
En accès libre, "la pratique est trop exclusivement masculine", constate bien Pierre Rabadan, adjoint au sport de la mairie de Paris. "C'est l'accompagnement à l'usage qui fera que cela changera", ajoute-t-il, d'où des aides à des associations, aussi bien sur le foot que le basket ou le hand, pour amener les filles sur les terrains.
La question de l'éclairage, de la disposition de l'équipement dans l'espace public, jouent aussi un rôle. Certains équipements sont rénovés par des artistes, et "selon les associations et les utilisatrices, un terrain moins austère avec une signature artistique amène joueuses et joueurs à respecter le terrain et à ouvrir à des pratiques mixtes", explique-t-il.
Pour Cécile Ottogali, maîtresse de conférence en histoire du sport, ces équipements sont "un exemple typique de bonnes intentions qui peuvent ne pas atteindre leurs cibles", à savoir être ouverts à tous et toutes, a-t-elle récemment expliqué lors d'un colloque de l'Observatoire national de l'activité physique et de la sédentarité (Onaps). "Il faut que les collectivités territoriales observent cela, le mesure et mettent en place des dispositifs qui permettent de réguler", préconise-t-elle.
Même analyse pour Edith Maruéjouls, selon laquelle "il faut arrêter de faire des citystades !", les tentatives comme le fitness en extérieur "n'ont pas marché". "Il faut faire corps sportif et faire nombre", insiste la chercheuse. Et le chemin est long pour les femmes qui "décorent l'espace depuis leur naissance" et "ne sont jamais habilitées en tant que corps sportif".
Dans son ouvrage Le corps des femmes, la bataille de l'intime, la professeure de sciences politiques Camille Froidevaux-Metterie reprend la philosophe américaine Iris Marion Young et son texte Throwing like a girl ("lancer comme une fille") : les femmes "appréhendent leurs corps comme un objet dont il faut soigner l'apparence, un outil nécessaire dans les relations amoureuses et maternelles, jamais comme capacité de mise en oeuvre ou de puissance de réalisation", écrit-elle.