Fil d'Ariane
Alors qu'approchent les premiers Jeux olympiques et paralympiques strictement paritaires de l'histoire, au moins la moitié des athlètes en entraînement ou en compétition vont avoir leurs règles. Et pourtant, ces dernières restent les grandes absentes des jeux et de leurs préparatifs.
Illustration de la brochure "Sport et règles" de l'association Règles élémentaires.
Pour la première fois à Paris en 2024, les Jeux olympiques et paralympiques garantissent une représentation équitable entre femmes et hommes. Et pourtant, rares sont, pour ne pas dire inexistants, les grands titres, les enquêtes, les politiques publiques qui abordent la question des règles dans le sport. Or le cycle menstruel est une réalité aux multiples implications, le plus souvent cachées, pour la moitié des athlètes.
Ce 28 mai 2024, dixième Journée internationale de l'hygiène menstruelle, l'association Règles Élémentaires et le Fondaction du Football dévoilent les résultats d'une enquête intitulée "J’ai mes règles, je fais du foot", menée dans une centaine de clubs, en milieu urbain autant que rural, auprès de plus de 600 joueuses de 11 à 18 ans, avec un âge moyen de 14 ans et demi. Ses résultats révèlent l'étendue du chemin à parcourir pour garder les adolescentes dans le circuit sportif dont, trop souvent, elles se détournent une fois qu'elles ont leurs règles.
Au fil de l'étude, on s'est aperçus qu'une jeune fille sur trois loupe le sport quand elle a ses règles de façon régulière. Justine Okolodkoff
"Le point de départ de l'étude, précise Justine Okolodkoff, directrice du plaidoyer et de la sensibilisation pour l'association règles élémentaires, ont été les nombreux témoignages de personnes qui disaient : 'Quand j'ai mes règles, je ne vais pas en cours de sport.' Ou les remarques sur la peur de la tâche sur le short blanc... Au fil de l'étude, on s'est aperçus qu'une jeune fille sur trois loupe le sport de façon régulière quand elle a ses règles."
Stress, absentéisme, diminution des performances et persistance du tabou sont autant de raisons qui découragent la pratique du sport chez les filles réglées – et par conséquent de freins à la féminisation des disciplines non paritaires et à l'égalité entre femmes et hommes dans le sport.
Une jeune footballeuse sur trois interrogées dans le cadre de l'enquête de Règles Élémentaires et du Fondaction du Football se dit stressée quand elle va à l’entraînement pendant ses règles, et sept sur dix se sentent moins performantes pendant un match si elles ont leurs règles. Plus de la moitié des joueuses se sentent ralenties dans leur progression sportive à cause de leurs menstruations.
Aujourd'hui, 20% des jeunes filles ont leurs règles en primaire. Justine Okolodkoff
Pratiquement 40% des répondantes ont déjà manqué un entraînement ou un match en période de règles, principalement à cause de la douleur, puis de la fatigue et enfin à cause de la peur de la tâche. Un tiers des filles interrogées disent devoir s'adapter ou adapter leur pratique lorsqu'elles ont un match ou en entraînement pendant leurs règles : moins d’effort, d’intensité, pause pour se changer, mettre un ou plusieurs sous-short, éviter le blanc...
Près d'un tiers des filles interrogées pour l'enquête n’avaient que très peu, voire aucune information sur les règles, avant d’avoir leurs premières menstruations : "Aujourd'hui encore, il y a énormément de jeunes filles de tout contexte qui n'ont jamais entendu parler des règles, souligne Justine Okolodkoff. D'une part parce que le tabou persiste dans la société et que certaines familles ne se sentent pas forcément d'en parler aux jeunes filles. Mais aussi parce que l'âge moyen des premières règles a reculé. Il est passé de 12 ans et demi à 12,2 ans en moyenne. Autrement dit, 20% des jeunes filles ont leurs règles en primaire. Les familles sont donc tendance à se dire qu'elles les auront plus tard et à ne pas aborder le sujet en prévention, en amont. C'est ainsi qu'il y a énormément de jeunes filles qui ont leurs règles à 10 ans sans avoir reçu d'information."
Rien d'étonnant, donc, à ce que la majorité dise avoir ressenti de l’appréhension au moment des premières règles, les autres de la peur, de la honte ou le sentiment de devenir adultes. Si la très grande majorité des filles ont accès à des protections périodiques, ce n'est pas le cas d'environ 6 % d'entre elles.
Parmi celles qui ont été sensibilisées avant le début de leurs cycles menstruels, soit environ la moitié des répondantes, un tiers l'ont été en famille, presque autant à l'école, d'autres par des ami.es, certaines par un professionnel de santé, et seulement très peu par leur club sportif, infirmière ou coach.
Ainsi un quart seulement des filles consultées avaient connaissance de l’impact des règles sur la pratique sportive lors de leurs premières règles. De fait, au moment d'entrer dans la puberté, plus d’un tiers des jeunes footballeuses n’ont jamais assisté à un atelier sur les règles.
La grande majorité des répondantes, constatent qu’il n’existe pas ou très peu d’informations sur le lien entre règles et sport, alors que la moitié d'entre elles trouveraient utile d’être sensibilisées à la question. Une éducation menstruelle manque cruellement et s'impose.
Illustration de l'enquête "règles et sport"
Le club, espace collectif où le fonctionnement du corps humain est sans cesse mobilisé et questionné, se révèle un espace clé dans cette éducation menstruelle, souligne l'enquête. Parler des règles avant qu’elles n'arrivent, dans le cadre sportif, permet de comprendre comment le corps fonctionne en général, mais aussi les liens entre règles et performance. Echanger autour du cycle menstruel permet aussi de réduire le stress lié à l’inconnu, et surtout, de se rendre compte que cette expérience est partagée.
"Le silence règne encore dès que le sujet sort de la sphère familiale, confirme Justine Okolodkoff. Si les joueuses ne parlent pas des règles dans le contexte sportif, cela rend compte d'un phénomène qui est plus global. C'est-à-dire qu'aujourd'hui encore, les règles, souvent sont une source d'anxiété. Que ce soit à l'école ou sur les terrains de foot, la première remarque qui revient au moment des premières règles, c'est que c'est stressant pour elles, parce qu'en fait, personne ne leur aura expliqué que c'était normal, que c'était un phénomène de la vie, que ça allait advenir et que ça allait revenir.
Si on peut dire aujourd'hui que le tabou est encore présent dans le sport, c'est déjà parce qu'on voit bien que quand on aborde le sujet, c'est un peu la première fois qu'on l'aborde avec elle. E
Si un quart des filles ne ressentent aucune gêne à parler règles dans leur club, près de la moitié ne se sentent pas à l’aise, et plus de 13 % très mal à l'aise. Près de deux tiers des filles estiment que les menstruations restent un tabou dans le sport, et plus de la moitié estiment qu'il serait utile que les garçons soient aussi formés sur le sujet. L"étude révèle que les filles, "si elles en parlent à la maison, les règles restent un sujet tabou dans le club. Alors si elles ont leurs premières règles en cours de sport, elles ne vont pas oser aller parler au coach", confirme Justine Okolodkoff.
Si les règles restent un tabou, c'est aussi du fait du regard des autres : "Beaucoup de jeunes vont avoir peur de la tâche et qu'on se moque d'elles. Et puis parfois, si elles abordent le sujet, il y a une gêne. Et la gêne, on comprend, c'est parce que ce n'est pas formulé, pas normalisé", remarque la responsable de la sensibilisation de Règles élémentaires.
Connaître ces cycles menstruels, c'est aussi un moyen de savoir quand adapter l'entraînement. Justine Okolodkoff
L'enquête en conclut que fédérations, clubs, associations, spécialistes de santé, pouvoirs publics, financeurs et autres acteurs du sport auraient tout intérêt à redoubler d’efforts, d’attention, et d’écoute. Il leur faut se mobiliser et trouver les ressources pour faire de tous les clubs des espaces #règlesfriendly, où chacun·e, indépendamment de son genre, pourra intégrer le facteur menstruel à son expérience sportive – passion du jeu, dépassement de soi, fierté, collective et individuelle...
A partir du moment où le sujet est lâché, la parole se libère, a constaté Justine Okolodkoff au fil des ateliers menés pour l'étude, qui révèle aussi que, dans ce processus, les coachs sont moteurs : "Ils ont envie d'avoir les ressources, de savoir comment accompagner les filles. Alors à la fois parce qu'ils ont avec elles une relation de proximité, de club, de sport, de régularité, mais aussi parce qu'ils veulent pouvoir les accompagner dans la pratique sportive : connaître ces cycles menstruels, c'est aussi un moyen de savoir quand adapter l'entraînement."
Aujourd’hui, huit coachs sur dix affirment qu’ils et elles doivent être capables d’accompagner les joueuses quand elles ont leurs règles. Pour ce faire, ils ont aussi besoin d'outils pour comprendre les liens entre règles et pratiques sportives afin de créer un cadre sportif bienveillant et constructif en intégrant le cycle menstruel aux paramètres d'entraînement, au même titre que la nutrition, par exemple.
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