Statut des travailleuses domestiques en France : le "J'accuse !" des associations et syndicats

Accusé : l'Etat français. Chef d'accusation : la non-ratification de la Convention 189 de l'Organisation internationale du travail sur la protection des travailleuses domestiques - un secteur presque exclusivement féminin. Ce 16 juin 2018, journée internationale des travailleurs domestiques, un simulacre de tribunal se tenait sur le Parvis des droits humains, à Paris. Reportage.
Image
TITD
Le "tribunal international des travailleurs·ses domestiques", mis en scène par la troupe féministe les Culottées du Bocal ce 17 juin à Paris. De gauche à droite : l'accusation, la juge, la défense.
©LC
Partager5 minutes de lecture

La condition des travailleuses domestiques est plus misérable que celle de tout autre groupe de travailleurs et travailleuses
Angela Davis

​Elles et ils font le ménage dans nos bureaux, nos maisons, gardent nos enfants, soignent nos parents âgés... En France, en Arabie saoudite ou au Guatemala, au moins 67 millions de travailleurs·ses de l'ombre, principalement des femmes (80% pour l'ensemble du secteur selon de BIT), effectuent les heures de travail les plus longues pour les salaires les plus bas. Comme si leur travail n'était pas considéré comme un véritable emploi, les travailleuses domestiques ne bénéficient pas d'un cadre légal adapté.

"La condition des travailleuses domestiques est plus misérable que celle de tout autre groupe de travailleurs et travailleuses dans le système capitaliste," disait la militante afro-américaine Angela Davis. Avec l'accélération des flux migratoires, dont sont issus de nombreuses employées domestiques, ces paroles acquièrent aujourd'hui une résonance particulière. 

A l'occasion de cette nouvelle journée internationale des travailleurs·ses domestiques, ce 16 juin 2018, associations et syndicats se sont mobilisés sur le Parvis des droits humains, place du Trocadéro, à Paris. Lors d'un simulacre de procès - mené par un tribunal exclusivement féminin et rythmé par les témoignages de femmes sorties de situation d'esclavage moderne - ils dénoncent une faille béante dans le système du droit du travail.  L'humour comme arme de dénonciation d'une faille dans le droit du travail.

De quoi l'Etat français est-il accusé ?

De n'avoir pas encore ratifié la convention 189 de l'OIT (Organisation internationale du Travail, rattachée aux Nations Unies), en vigueur depuis 2013, qui fournit un cadre de conditions minimales de travail et de protection sociale aux travailleuses domestiques. A ce jour, 25 pays l'ont ratifiée, dont l’Allemagne, l’Italie, l’Afrique du Sud et de nombreux pays latino-américains. La France s'est alignée sur les Etats-Unis, l’Espagne, l’Arabie saoudite ou encore le Luxembourg qui se sont pour l'instant abstenus.

L'Etat français est aussi pointé du doigt pour ne pas avoir proposé une refonte du système de soins suffisant pour les enfants et les personnes âgées ou en situation de dépendance, secteur où les domestiques travaillent en très grand nombre. Une réforme qui permettrait de proposer un cadre adapté au personnel actuellement relégué au cadre privé, où l'inspection du travail n'a aucun droit de regard sur une activité déjà particulièrement fragilisée de part sa précarité et son nomadisme

Les travailleuses domestiques en quelques chiffres

10 % bénéficient de la même protection que les autres travailleurs
11 % sont mineures
29,9 % travaillent dans des pays où leur profession n'est pas du tout encadrée
42,6 % n'ont pas droit au salaire minimum national
56 % travaillent dans un pays où il n'existe aucune législation du travail
80 % des employées domestiques sont des femmes (et même ​97 % en France)- soit 1 femme sur 25 dans le monde
Plus de 80 % n'ont pas droit à la protection sociale

L'OIT estime que ces conditions sont "un terreau favorable aux situations contemporaines d'esclavage."

189 OIT
Préambule de la Convention 189 de l'OIT

Sécurité, santé

Pour Sandrine Rousseau, chercheuse et vice-présidente de campus durable, qui intervenait ce samedi au Trocadéro, il est plus que temps de regarder la pénibilité de ces emplois pour en améliorer la condition. De fait, ils sont particulièrement dangereux : "Il n'existe aucune inspection du travail pour contrôler la hauteur à laquelle vous devez monter pour laver les vitres. Il n'existe aucun contrôle des produits chimiques dans les produits de nettoyage des sols, des WC, des vitres... Or les études montrent que les femmes de ménage ont plus de produits chimiques dans le sang que les ouvriers de la chimie," explique-t-elle.
Visages dans la foule
Visages dans le public lors du pseudo-procès de l'Etat français.
©LC
Selon une étude menée en Norvège, les agentes d'entretien souffent d'un déclin des fonctions respiratoires équivalent à la consommation quotidienne d'une vingtaine de cigarettes sur une période de 10 à 20 ans - s'ajoutent les Infections musculo-squelettiques (IMS) invalidantes liées à la pénibilité de gestes répétitifs et d'efforts intenses, comme soulever une personne âgée ou baigner les enfants. Comme le montrait le film Fatima de Philippe Faucon, dont l'héroïne, une femme de ménage d'origine marocaine, percluse de douleurs, qui travaille jusqu'à l'accident pour que que ses filles ne connaissent pas le même mauvais sort qu'elle. 

Précarité, pauvreté

Quelques heures de ménage ici, puis le transport, puis quelques heures chez une personne âgée là, avant d'aller chercher les enfants à l'école à l'autre bout de la ville... Un emploi chronophage qui, de par sa nature souvent parcellaire, reste à temps très partiel. Au point que la majorité de ces travailleuses, parvenant à peine à dépasser le seuil de pauvreté, s'enferment dans cet emploi qui devrait rester passager. Car parmi les migrantes récemment arrivées en France, plus de la moitié ont un niveau au moins équivalent au baccalauréat ; 20 % sont même titulaires de l'équivalent d'une licence.

J'ai travaillé pendant 4 ans de 7 heures du matin jusqu'à 22  heures, parfois minuit
Zita Cabais-Obra, travailleuse domestique

Jainab Button
Jainab Button, d'origine philippine, témoigne. Elle écrase une larme en évoquant les conditions de travail chez ses premiers employeurs.
©LC
Au tribunal improvisé du Trocadéro, trois femmes, trois Philippines, ayant réussi à sortir de situations d'esclavage moderne témoignent :" J'ai travaillé pendant 4 ans de 7 heures du matin jusqu'à 22  heures, parfois minuit, se souvient Zita Cabais-Obra. Les associations et les syndicats m'ont aidée à en sortir. Il faut s'exprimer, surmonter la barrière de la langue". 

Anabai Talusan, elle, raconte comment elle a répondu à une annonce pour un poste d'aide soignante, pour se retrouver prisonnière de ses employeurs. Lorsqu'elle s'est enfui, elle n'avait pas été payée pendant sept mois. 
 

Jainab Button (ci-contre) se souvient que ses employeurs lui avaient pris ses papiers, son passeport. Elle s'en est sortie en se rendant à la police.

Esclavage moderne

De par leur lieu de travail, les employées domestiques sont aussi articulièrement exposées aux violences sexuelles au domicile des employeurs. Une question pourtant déclarée grande cause nationale par le gouvernement...

Faut-il le préciser, la juge improvisée de ce 17 juin 2018 clôt le procès (voir la photo ci-dessous) en déclarant l'Etat français coupable et en proposant des sanctions exemplaires, à commencer par la ratification de la Convention 189 de l'OIT, un instrument international majeur qui n’a cependant été ratifié, rappelons le encore, que par 25 États – à peine plus de 10%.