Il y a dix ans, cette cadre communiquait à la justice une liste tendant à prouver l'organisation d'une gigantesque fraude fiscale d'UBS, son employeur. Le procès de la célèbre banque, qui conteste les faits, se tiendra à l'automne. En attendant, Stéphanie Gibaud poursuit, envers et contre tous, son douloureux combat de lanceuse d'alerte.
Lanceuse d'alerte ?
" Il s'agit généralement d'une personne ou d'un groupe qui estime avoir découvert des éléments qu'elle considère comme menaçants pour l'homme, la société, l'économie ou l'environnement et qui, de manière désintéressée, décide de les porter à la connaissance d'instances officielles, d'associations ou de médias, parfois contre l'avis de sa hiérarchie" dixit Wikipédia.
Stéphanie Gibaud ne désarme pas. En dépit de la solitude, de la calomnie, des vestes qui se retournent, des sincérités intermittentes et du blabla souvent soporifique de nos dirigeants.
"J'ai de la chance d'être encore vivante, aujourd'hui" dit-elle calmement.
Il y a dix ans, en juin 2008, elle affirme que sa supérieure hiérarchique lui ordonnait de détruire des fichiers compromettants après une perquisition dans les locaux parisiens de la banque.
Stéphanie Gibaud refusait.
Et les problèmes commencèrent.
Payer les agios de son courage
Son parcours est devenu aujourd'hui un cas d'école.
Au sujet de Stéphanie Gibaud, on pourrait détourner sans problème la célèbre devise du Panthéon : "
Aux grands hommes, la patrie reconnaissante" par : "
Aux grandes citoyennes, la patrie ingrate".
Parce que cette ex-cadre sup n'en finit pas de payer les agios de son courage, celui d'avoir dénoncé des pratiques à priori frauduleuses et menant à une évasion fiscale XXL de nombreux Français fortunés vers la Suisse.
Le quotidien
Le Monde, dans son édition du 17 février 2016, écrit : "Selon un décompte effectué le 30 juillet 2015 par l’assistant spécialisé du juge Daïeff, 38 330 comptes avaient été ouverts par des clients français chez UBS, en Suisse, au 30 novembre 2008, pour un montant global de 8,4 milliards d’euros d’avoirs. Côté fisc, au 30 septembre 2015, 4 206 fraudeurs français, effrayés par la levée du secret bancaire suisse, avaient déjà rapatrié leurs avoirs en France, grâce aux trois cellules de dégrisement successives mises en place par Bercy, pour un montant global d’au moins 3 milliards d’euros."
Le dénouement de cette affaire est-il proche ?
A la rentrée, le 8 octobre, s'ouvrira à Paris un procès inédit en France, celui d'une banque poursuivie pour une fraude qui, si elle est avérée, pourrait se révéler sidérante par son ampleur. L’amende encourue par
UBS lors du procès peut se monter "jusqu’à la moitié de la valeur ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment", selon le Code pénal.
Tout est orchestré pour que rien ne change. Jusqu'au jour où la vérité éclate...
Stéphanie Gibaud
En septembre 2015, suite à la publication sur notre site d'un
premier article sur Stéphanie Gibaud, la direction d'UBS France avait aussitôt réagi "
en contestant formellement s'être rendue coupable des faits que Mme Gibaud lui impute à tort et rappelle qu'elle coopère pleinement et sans réserve avec la justice afin que toute la lumière puisse enfin être faite sur les accusations dont elle a fait l'objet, dont celle de contribution à un système d'évasion fiscale, parfaitement mensongères."
Reste que la liste soigneusement épluchée par le Trésor Public aura mis en lumière des irrégularités fiscales plutôt piquantes de la part de certains contibuables "people".
Du beau linge dans de sales draps.
Cette même enquête du journal Le Monde , en février 2016, évoquait ainsi l'actrice
Valeria Bruni Tedeschi et le rapatriement sur ses comptes en France de 1,8 million d’euros,
9,2 millions d’euros pour le consultant sportif et ex-footballeur
Bixente Lizarazu ou encore 3,1 millions d’euros pour l'ex-entraineur de football
Guy Roux.
Dans un même temps, alors que les caisses de l'Etat se renflouent généreusement, Stéphanie Gibaud connait l'enfer : licenciée par UBS France en 2012, celle qui était Responsable des relations publiques se retrouve obligée de revendre son appartement parisien, se ruine en frais d'avocat (35000 euros), des avocats "
qui vous demandent de payer leurs honoraires en liquide".
Elle vit, depuis quelques années, avec les minima sociaux.
"On est abandonné par le monde du travail, par l'administration, par les cabinets de recrutement, par les élus de premier plan, par Bruxelles..." soupire-t-elle.
Et puis il y a les intimidations (cambriolage, lettres d'insulte, rencontres troublantes) mais Stéphanie ne craque pas "T
out est fait à la fois pour discréditer le lanceur d'alerte et pour rendre l'alerte la moins visible possible" écrit-elle.
Dans son ouvrage "La traque des lanceurs d'alerte" (Max Millo édition), elle décrit la totale absence de protection des lanceurs d'alerte en Europe et leur effarante solitude. Elle écrit : "
Nous (les lanceurs d'alerte ndlr)
avons des vies que personne ne supporterait tant la violence que nous subissons, ajoutée à celle que nous avons déjà subie, est insupportable". Elle note également que
Bradley Birkenfeld, banquier américain et lanceur d'alerte a reçu, lui, une récompense de 104 millions de dollars du Bureau des Lanceurs d’Alerte de l’
IRS (services fiscaux américains) en septembre 2012.
Rien de tel pour Stéphanie Gibaud.
Ni récompense, ni considération. Pire : au Ministère des Finances à Paris, les hauts fonctionnaires ne lui reconnaissent même pas le statut de "lanceuse d'alerte". Ils préfèrent la présenter comme "un témoin utilisé dans un dossier".
" Et où est-il écrit que les témoins ne sont pas protégés ?" s'interroge-t-elle
. Elle s'insurge contre cette volte étatique
"TOUT est fait pour discréditer" et dénonce ces éléments de langage, souvent abscons, qui donnent des armes aux puissants et découragent le citoyen de comprendre clairement les enjeux.
"Savoir se réinventer"
Stéfanie Gibaud n'a jamais retrouvé d'emploi malgré l'envoi de milliers de CV.
Aujourd'hui, après dix ans de lutte, Stéphanie Gibaud estime "
qu'il faut savoir se réinventer. Il faut faire de nos combats nos métiers". Les conférences bénévoles semblent avoir fait long feu. Elle entend désormais professionaliser ses compétences dans le monde de l'entreprise.
L'idée est séduisante.
Après tout, puisque notre époque se flatte de priser la transparence, l'occasion est belle de le prouver.
Elle veut "
expliquer ce qu'est un lanceur d'alertes aux déontologues, aux juristes et aux collaborateurs lambda. Tout le monde un jour, dans sa vie, est confronté à des cas de conscience. Il y a des chefs d'entreprise courageux, il y a des produits éthiques et d'autres non". Stéphanie Gibaud s'enflamme pour ce combat, qui, au final, n'est rien de moins qu'un choix de société. "
On est souvent dans la compassion, rarement dans la construction appuie-t-elle.
Chacun est responsable. Quand j' achète une voiture, de l'alimentaire, des vêtements. L'argent que je dépense, dans quel poche va-t-il ? Dans cette entreprise qui ne respecte pas un certain nombre de conditions éthiques ?".
Suivra-t-elle le procès d'UBS qui aura lieu au mois d'octobre
: "Moi, cette histoire d'UBS, quelque part, je m'en fiche un peu aujourd'hui. C'est plus mon problème. J'ai fait ce que j'avais à faire en tant que salariée, collaboratrice et élue ( Stéphanie Gibaud était élue au CHSCT d'UBS ndlr.
..) Je m'attendais à tout, sauf à ce qui m'est arrivé. Je disais tous les ans à Noël à mes enfants : "Ne vous inquiétez pas, l'année prochaine, ce sera réglé, cela ira beaucoup mieux". Et c'était, chaque fois, pire que l'année précédente !" La violence engendrée par ces malversations financières continue de lui soulever le coeur
.
"Aujourd'hui les banques ne servent ni les artisans ni les commerçants ni les professions indépendantes, estime-t-elle
. Elles ne sont là que pour faire énormément d'argent grâce à cette finance de marché. Les citoyens comprennent très bien quand on parle de violence dans les Ehpad sur leurs anciens, toutes ces coupes qui sont faites dans les hôpitaux, quand on ferme une maternité, dans les écoles. On est dans un pays, l'un des plus riches au monde, où il n'y a pas d'argent ! On vend à tout le monde une crise, une dette. Mais qui a voulu cette crise et cette dette ? Tout est problème financier et l'argent, on sait où il est..."Dirait-elle, comme
Julien Assange (qui signe la préface de son livre) que "La vérité finit toujours par gagner"
?
"Ah ! Je suis absolument certaine de cela ! C'est une question de temps. Ce n'est que pour aller vers des choses et un monde meilleurs."
"La traque des lanceurs d'alerte"de Stéphanie Gibaud
Edition Max Milo
302 pages
19,90 euros