Stérilisation volontaire des femmes Rohingyas au Bangladesh : « l’échec des Nations Unies »

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Rohingyas
Dans cette photo du 13 juin 2012, des musulmans rohingyas qui ont fui la Birmanie pour échapper à la violence en raison de leur religion ont été interceptés par les autorités frontalières du Bangladesh à Taknaf, au Bangladesh. Cette population est considéréé par les groupes de défense des droits humains comme l'un des peuples les plus persécutés de la planète.
(Photo AP / Anurup Titu)
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Alors que le nombre de réfugiés rohingyas au Bangladesh est en passe d’atteindre le million, le planning familial demande l’autorisation au gouvernement Bangladais de procéder à « des stérilisations volontaires » dans les camps de fortune occupés à 80 % par des femmes et des enfants. Cette mesure, déjà appliquée auprès des citoyennes Bangladaises, doit-elle être répliquée auprès de ces musulmans persécutés, réfugiés de Birmanie ?
Tous fuient ce que l’ONU a qualifié «d’épuration ethnique ». Depuis fin août 2017,  600 000 réfugiés ont pris la route de l’exil forcé depuis la Birmanie vers le Bangladesh. Ce qui porte à 900 000 le nombre de Rohingyas entassés dans l’enfer de ces camps, perchés sur des collines, dans le sud du pays.
Camps Rohingyas
(c) Capture d'écran JT Arte
Face à cet afflux, le planning familial qui avait tenté en vain de distribuer des contraceptifs, vient de demander au ministère de la Santé bangladais la permission de pratiquer des vasectomies (pour les hommes) ou des ligatures de trompes volontaires (pour les femmes). Pour l’heure, les autorités Bangladaises, qui redoutent une explosion démographique dans ces camps, ne se sont pas prononcées. Un comité sanitaire doit encore donner son feu vert.

Une réplique du programme de planning familial Bangladais

Si le Bangladesh, lui-même, ne faisait pas usage d’un vaste programme de stérilisation volontaire auprès de ses concitoyen.nes, on serait tenté de penser qu’en adoptant une telle mesure, Dacca prêterait alors son concours à l’armée birmane dans son entreprise meurtrière à l’encontre des Rohingyas. Cette minorité musulmane et apatride de Birmanie, de près d'1,3 millions de personnes, la plus persécutée de la planète, selon les ONG. 
 « Le Bangladesh est l’un des pays les plus densément peuplé, mais depuis 40 ans, il a réussi à faire un progrès absolument incroyable en terme de contrôle des naissances, souligne Alice Baillat, chercheuse à l’IRIS. Au moment de son indépendance en 1971, ce pays comptait  7, 5 enfants par femme et 45 ans plus tard, il atteint à peu près le même niveau que la France, environ 2,2 enfants. »

Une réduction massive due à une politique extrêmement volontariste en matière de contrôle des naissances. Les Bangladais, même dans les zones les plus rurales du pays, ont assimilé l’idée que faire moins d’enfants, « c’était finalement un moyen d’avoir plus d’argent, moins de bouches à nourrir, et des enfants plus facilement scolarisés ».
 
Beaucoup de Rohingyas considèrent que l’usage de contraceptifs est un pêché.Alice  Baillat, chercheuse à l'IRIS 
Pour les Rohingyas, il en est tout autre. « Plus ils font des enfants, plus ils assurent leurs vieux jours ». Chez eux, les descendants sont considérées comme « des dons de Dieu ». Mais il y a autre chose : les femmes, comme on peut le voir dans la vidéo ci-dessous, sont nombreuses à penser que lorsqu’elles sont enceintes, elle sont aussi protégées des viols en masse de l’armée birmane et des groupes paramilitaires bouddhistes.
Revenu de ces camps, il y a quelques semaines, William Lebedel, président du bureau français de l’ONG bangladaise Friendship, confirme que « les femmes et les hommes  refusent catégoriquement l’usage du préservatif, pour des raisons religieuses ». Lorsque les rares femmes acceptent d’aller à l’encontre de leurs croyances, « elles sont plus ouvertes aux injections de trois mois d'un contraceptif et à la pilule. »

80 % de femmes et enfants dans les camps

Alors que cette campagne de stérilisation vise à la fois les hommes et les femmes, ces dernières seront sans aucun doute plus nombreuses à subir une ligature des trompes de falopes. Pour la simple raison, qu’elles représentent avec les enfants, 80 % du peuplement de ces camps. « L’absence des jeunes adolescents et des hommes est violente, alerte l’humanitaire. L’armée les cible en priorité pour les tuer. » Tandis que les femmes sont kidnappées et « systématiquement violées par plusieurs hommes ».
 
Rohingyas femmes
(c) ONG Friendship
Or le directeur du planning familial de Cox's Bazar, Pintu Kanti Bhattacharjee,
préconise « la stérilisation des hommes ». Car il est « le meilleur moyen de contrôler la population ». « Si un homme est stérilisé, explique-t-il. Il ne peut plus faire d'enfants même s'il se marie quatre ou cinq fois ». Certains ont plusieurs épouses et certaines familles atteignent le nombre de 19 enfants, selon les travailleurs sociaux.
 
Au Bangladesh, même les imams dans les villages participent à la politique de planning familial.
Alice  Baillat, chercheuse à l'IRIS 
 

Pour Alice Baillat, « cette réponse n’est pas satisfaisante et sera inefficace ». La population Rohingya n’est pas sensibilisée à ces questions, il sera donc difficile « de répliquer ce programme qui a fonctionné sur les Bangladais ». La discrimination qu’elle subit, en effet, depuis plusieurs décennies est telle qu’elle n’a pas accès, ni à l’école, ni aux soins, ni à la contraception. Dès lors « beaucoup de femmes considèrent que l’usage de contraceptifs est un pêché ». Ce qui n’est pas le cas dans la mentalité des Bangladais, « puisque même les imams dans les villages au Bangladesh participent à la politique de planning familial. »

30 000 femmes enceintes

« L’urgence se situe à un autre niveau, poursuit cette experte également docteure
Rohingyas bébé
(c) ONG Friendship
associée au CERI à Sciences Po. Il y a  30 000 femmes enceintes qui auraient été recensées dans ces camps par les autorités. Il va y avoir un boom démographique et cette campagne ne pourra rien y changer. Et si on fait le calcul, ces femmes devraient accoucher en pleine période de la mousson. »

Les conditions sanitaires, déjà dramatiques dans ces tentes de survie fabriquées à la hâte avec des bâches en plastique et consolidées de bambou, vont donc s’aggraver avec des inondations et des glissements de terrain. Pour elle, « cette campagne de stérilisation volontaire montre donc l’échec des Nations Unies » qui malgré « les multiples dénonciations, n’a pris aucune décision réellement contraignante à l’égard du régime birman. »
 
« Il s’agit en effet d’une urgence dans l’urgence, alerte William Lebedel. Le Bangladesh a accueilli en quelques semaines l’équivalent de la population de Lyon et Bordeaux et on se retrouve obligés de gérer l’immédiat. Or, on cherche encore des solutions durables pour garantir l’accès à l’eau, les soins de santé, l’électricité etc. »
 
Nous n’avons pas encore la mesure de l’ampleur de cette tragédie vécue par les Rohingyas en Birmanie. Ce pays dirigé par la Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi.
William Lebedel, président de l'ONG Friendship France
Avec des partenaires comme « le ministère français des Affaires étrangères et des fonds privés », l’ONG a pu ouvrir un centre de naissances et mettre en place quatre cliniques et des espaces de dialogue avec des psychologues pour gérer les traumatismes provoqués par la systématisation des violences subies, notamment les viols.
 
« On sent une volonté de s’en sortir des Rohingyas qui sont actifs, avec une capacité de résilience incroyable. Mais il faut rester humble, conclut l’humanitaire. Nous n’avons pas encore la mesure de l’ampleur de cette tragédie vécue par les Rohingyas en Birmanie. Ce pays dirigé par la Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi. »
 
Suivez Lynda ZEROUK sur Twitter : @lylyzerouk