Suède : les Féministes aux marches du Parlement

Gudrun Schyman en campagne place Gustav Adolfs, à Malmö, 3ème ville de Suède. Ce sont surtout des jeunes qui sont venus l'écouter
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Le parti Feministiskt Initiative (F !), uni derrière la charismatique Gudrun Schyman, joue gros en ce dimanche d’élections générales où l'on craint une poussée de l'extrême droite : s’il franchit la barre des 4%, il fera son entrée au Riksdag, le Parlement suédois. En Europe, les féministes tentent d’investir le champ politique : aux élections Européennes en mai 2014, en France et – déjà avec succès – en Suède ; en Russie au lendemain de la chute de l’Union soviétique, une liste avait réussi à envoyer une poignée de femmes à la Douma.
Mise à jour 15 septembre 2014, 4h50 GMT. Résultats définitifs : le parti Initiative féministe n'entrera pas au Parlement, récoltant 3,1% des voix, sous les 4% nécessaires qu'il a un temps cru recueillir au cours d'une soirée électorale riche en rebondissements. Les sociaux démocrates sont donnés vainqueurs mais devront gouverner avec les verts et le parti de gauche. L'extrême droite devrait atteint presque 13% des suffrages exprimés soit, deux fois plus qu'il y a 4 ans...

Elle détonne dans la grisaille de cette fin d’été. Une chaise rose fluo, accrochée à un chéneau d’immeuble, et avec pour seule inscription, un F flanqué d’un point d’exclamation. Dans ce quartier de Malmö (3ème ville du pays), tout le monde comprend le clin d’œil adressé aux passants : les féministes de Feministiskt Initiative (F !) veulent prendre place au Parlement. Ici, à Möllevången, on a déjà voté en masse pour ce jeune parti, aux Européennes de mai dernier : plus de 32% des électeurs de «Möllan », comme l’appellent tout simplement ses habitants, ont glissé un bulletin féministe dans l’urne. Le meilleur résultat du parti à l’échelle nationale. « C’est un quartier multiculturel, bon marché, central qui attire des jeunes, ouverts sur le monde et très politisés. Les mêmes qui avaient opté pour le parti pirate aux Européennes de 2008 (Le Piratpartiet qui a fait des émules en France ou en Allemagne a pour devise Liberté, Démocratie, Partage, en particulier dans le domaine numérique, ndlr) », analyse Daniel Rydén, journaliste politique au quotidien Sydsvenskan. Un public enclin à voter pour des féministes qui ne militent pas seulement pour les droits des femmes, mais plus généralement contre toutes les discriminations qu’elles soient basées sur l’origine, l’âge ou l’orientation sexuelle.
 
Dans une rue de Malmö, une chaise rose fluo, accrochée à un chéneau d’immeuble, et avec pour seule inscription, un F flanqué d’un point d’exclamation, le symbole du parti féministe
F ! a réuni 5,3% des suffrages aux élections européennes. Et envoyé, pour la première fois de l’Histoire, une députée féministe à Bruxelles : Soraya Post, juive par son père, rom par sa mère. Tout un symbole dans une Europe où l’extrême droite ne cesse de peser. Mais il sera plus difficile de renouveler cet exploit lors des élections de ce 14 septembre 2014. Gudrun Schyman, la plus emblématique des dirigeantes de F !, affiche, malgré tout, son optimisme : « Cela fait un an qu’on est en campagne, on est allés partout en Suède, il y a un intérêt fort pour le féminisme. Le parti ne cesse de grossir, on va faire plus de 4% !», affirme-t-elle. 4%, le seuil à franchir pour être représenté au Parlement.
 
20 000 Suédois ont certes pris leur carte à F !, contre 2000 seulement en octobre dernier. C’est plus que chez les Verts, qui devraient partager le pouvoir avec les Sociaux Démocrates, à l’issue du scrutin de dimanche. Mais le syndrome du « vote utile » guette les sympathisants féministes. A l’image de Madeleine Lundin, 33 ans, qui est venue écouter Gudrun Schyman discourir ce vendredi après-midi du mois d’août, place Gustav Adolfs, à Malmö : « Je vais sûrement voter féministe aux municipales, explique cette jeune maman. En revanche, je vais préférer les Sociaux Démocrates pour les législatives. J’ai trop peur que la droite ne repasse ! Mais, j’étais curieuse d’entendre ce que Gudrun avait à dire. »
 
L'affiche officielle du parti avec les 5 têtes de liste pour les législatives : Gudrun Schyman, Lars Gårdfeldt (prètre homo), Victoria Kawesa (militante féministe anti-raciste), Sissela Nordling Blanco (militante féministe anti-raciste) et Kenneth Hermele (économiste)
Gudrun comme l’appellent affectueusement nombre de Suédois, parle en effet, sans relâche, depuis une heure, suscitant par moments, les rires et les applaudissements. Mais l’atmosphère est à la concentration. La foule - essentiellement des jeunes et des femmes - boit ses paroles. Le féminisme est un sujet sérieux au royaume de Suède, déjà à la pointe sur les questions d’égalité entre les genres. « Oui, tout le monde est féministe aujourd’hui dans ce pays! Mais cela ne veut plus dire grand chose. La Suède n’est pas un pays égalitaire, lance Fredrik Liliengren, 33 ans, qui assiste lui aussi à ce meeting en plein air. Par exemple, lorsque j’ai pris deux mois de congé parental pour garder ma fille, Maken, des amis se sont inquiétés : « Mais que va dire ton employeur ? ». Toutes ces questions sont importantes pour ma fille, pour ma femme et pour moi », conclut-il.
 
Gudrun Schyman est tout aussi catégorique. « On n’a pas atteint notre but sur l’égalité salariale, la parentalité, les violences faites aux femmes, énumère-t-elle. Le cœur de notre mission, c’est que toutes les questions politiques soient abordées à travers le prisme du genre comme l’ont fait les Verts, il y a 30 ans, en réussissant à imposer la dimension écologique partout. » L’atout de F !, c’est elle : Gudrun Schyman, 66 ans, est la figure la plus charismatique de la scène politique suédoise depuis 30 ans. Elle a dirigé, dans les années 1990, le Parti de Gauche, l’ancien Parti communiste suédois. Avant une passe difficile : accusée d’avoir fraudé le fisc, elle est poussée à la démission. Elle souffre également à l’époque d’alcoolisme. Aujourd’hui sobre, elle a gagné le respect de ses concitoyens pour avoir parlé très ouvertement de ce problème.
 
Après une traversée du désert, Gudrun Schyman fonde le parti en 2005, sans un sous. Soutenue par quelques célébrités comme Jane Fonda ou le chanteur d’ABBA, Benny Anderson
Feministiskt Initiative marquera sa renaissance politique. Elle fonde le parti en 2005, sans un sou. Soutenue par quelques célébrités comme Jane Fonda ou le chanteur d’ABBA, Benny Anderson, le parti dispose aujourd’hui d’un budget de 160 000 euros mais n’a toujours pas de siège officiel. N’étant pas représenté au Parlement, il ne bénéficie d’aucune subvention publique. Pour récolter de l’argent et faire campagne, Gudrun Schyman a multiplié les « rencontres d’appartement » : elle s’est déplacée chez les particuliers qui le souhaitaient et qui avaient réussi à réunir un nombre suffisant d’invités, pour exposer sa vision politique. Et débattre.
 
Cette seconde vie militante et médiatique galvanise Gudrun Schyman et avec elle, ses plus proches partisans. La plupart des candidats présents sur les diverses listes du parti ne se sont jamais présentés à des élections. 
 
Détournement par F ! de l’affiche américaine de propagande « We can do it », avec Gudrun Schyman, le slogan dit : « Retroussons-nous les manches et commençons par aimer »

« Cela fait 40 ans que je milite dans des associations pour la cause des femmes, raconte Annica Ericsson, 68 ans. Mais c’est la première fois que j’adhère à un parti politique. Ca me fait du bien, je suis entourée de plein de jeunes ! J’ai du temps alors je gère différentes choses, la logistique, l’administratif… Je me donne à fond car je veux voir des députés féministes au Parlement avant ma mort ! ».

S’ils parviennent à intégrer le Riksdag, le premier chantier des futurs députés féministes sera d’imposer le partage parfaitement équitable des 480 jours de congé parental, entre la mère et le père. « Notre parti existe depuis presque 10 ans, on est en avance !, analyse Gudrun Schyman. Mais le patriarcat règne dans le monde entier. Les mêmes modèles de domination agissent partout. Notre engagement peut servir de modèle. ».

Feministiskt Initiative compte bien susciter des vocations, au-delà de la Suède.
 
Place Gustav Adolfs, à Malmö, le parti libéral Folkpartiet tente de récupérer l’engouement féministe avec ce slogan, qui apparaît sur l’affiche en arrière-plan : « le féminisme sans le socialisme »