Anni Lanz espérait être acquittée. Le procureur du tribunal de Sion en Suisse en a décidé autrement. Cette militante de 73 ans reste condamnée à payer une amende pour avoir violé la loi fédérale sur les étrangers. Son crime ? Avoir tenté de ramener en Suisse, un demandeur d’asile afghan qui venait d'être expulsé en Italie.
"Est puni d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque: en Suisse ou à l’étranger, facilite l’entrée, la sortie ou le séjour illégal d’un étranger ou participe à des préparatifs dans ce but."
Voilà ce que dit l’article 116 de la loi fédérale sur les étrangers en Suisse.
C'est en connaissance de cause qu'Anni Lanz, défenseuse des droits de l'Homme a choisi de venir en aide à un demandeur d'asile afghan.
Condamnée en première instance à une amende de 735 €, la militante avait fait appel. Le nouveau procès qui s'est tenu mercredi 21 août 2019 à Sion a confirmé cette condamnation, provoquant la déception d'Anni Lanz qui espérait être acquittée.
"Je vais désormais analyser les considérants du jugement avec mon avocat, puis je déciderai si je porte l'affaire devant le Tribunal fédéral", a-t-elle commenté .
Dans son réquisitoire, le procureur a rappelé que
"toute infraction à une loi doit être punie." Le procureur a estimé
"qu'Anni Lanz aurait pu porter secours au requérant afghan, sur sol italien." Un argument réfuté par la militante des Droits humains qui dit avoir tenté de trouver de l'aide à Milan auprès de plusieurs institutions, en vain.
(Traduction: La solidarité va gagner. Anni Lanz et ses supporters devant le Palais de justice de Sion.)
Acte ou "délit" de solidarité ?
Les faits remontent au 24 février 2018. Anni Lanz tente de ramener en Suisse par le col du Simplon un requérant d’asile afghan alors qu'il venait d'être expulsé vers l’Italie, dernier pays traversé avant de déposer sa demande d’asile en Suisse.
Cette figure historique de l'organisation Solidarité sans frontières a rencontré ce réfugié quelques jours plus tôt au cours d'une de ses nombreuses visites au centre de renvois de Bässlergut à Bâle. L'homme souffre de graves problèmes psychiques, notamment depuis qu'il a appris que sa femme et son enfant ont été tués au pays. Ancien militaire de l'armée afghane poursuivi par les Talibans, qui ont tué son père, il a traversé de nombreux pays pour retrouver sa soeur qui vit avec son mari en Suisse.
Malgré les rapports médicaux fournis aux autorités suisses qui recommandaient de l'autoriser à rester avec sa sœur, celles-ci décident de le renvoyer en Italie. Il se retrouve alors à Milan, dans un centre d’asile, d'où il est aussitôt mis dehors. A la rue, sans bagages, sans habits chauds, sans documents et sans médicaments, il fait moins 10 degrés. Il réussit finalement à gagner Domodossola, d’où il peut contacter ses proches en Suisse.
C'est là qu'Anni Lanz décide d'aller le chercher, accompagnée de son beau-frère pour lui faire traverser la frontière suisse à bord de sa voiture. Quelques heures plus tard, dénoncés, ils sont arrêtés par les gardes-frontières à Gondo. Le réfugié est renvoyé en Italie avec une interdiction de séjour en Suisse.
Un jugement confirmé
En décembre 2018, la militante écope en première instance, d’une amende de 735€ et du coût de la procédure d’un montant de 1300€. La cour reconnait toutefois qu'elle a agi "dans un intérêt purement humanitaire".
Bien que condamnée à une faible peine, elle choisit de faire appel. La septuagénaire estime avoir
"agi pour des intérêts honorables et purement humanitaires". Dans un récent entretien dans la presse helvétique, elle disait
"son faible espoir à ce que son action soit jugée comme licite aux yeux de la loi".
L'organisation internationale de défense des Droits de l'Homme, Amnesty International, a lancé une pétition sur internet avec le mot dièse
#FreeToAct .
"Anni Lanz n'a rien fait de mal et n'a commis aucun crime. En traversant la frontière pour aider un homme jeune et traumatisé qui avait été forcé de dormir dans des conditions de froid extrême à des températures inférieures à zéro, elle a fait preuve de compassion et non de criminalité", estime Maria Serrano, responsable de la campagne pour les migrants chez Amnesty International.
Amnesty Suisse a aussi lancé la campagne LIBRE, destinée à protéger et encourager la solidarité envers les personnes réfugiées et migrantes.
"Les défenseur·e·s des droits des réfugié·e·s et des migrant·e·s poursuivi·e·s par la justice doivent être acquitté·e·s et leur travail reconnu au lieu d’être diffamé. Avec une pétition, Amnesty demande la révision des lois qui limitent et répriment le délit de solidarité, notamment l’article 116 de la Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI)", peut-on lire sur
le site de l'organisation. Les efforts déployés par des particuliers et des ONG pour aider les personnes en quête de sécurité doivent être loués et défendus et non criminalisés.
Maria Serrano, Amnesty International
Anni Lanz, combattante pour les droits
Anni Lanz, qui a fait des études de sociologie dans les Universités de Bâle et de Zurich, travaille sur les droits des réfugiés depuis 1985. En 2004, la faculté de droit de l'Université de Bâle lui décerne un doctorat honorifique "en hommage à ses efforts inlassables pour la mise en œuvre des droits de l'homme aux niveaux national et international, en particulier dans le domaine du droit d'asile et des droits des femmes." Son engagement a également été reconnu lorsqu'elle a été sélectionnée pour être candidate au prix Nobel de la paix en 2005.
De nombreuses organisations d'aide aux migrants soutiennent Anni Lanz et le font savoir via les réseaux sociaux.
"Le verdict du Tribunal cantonal est une triste défaite pour toutes les personnes qui s'engagent en faveur des droits des migrants, des requérants d'asile et des exilés. Anni Lanz a agi uniquement par compassion et cette sanction est terriblement injuste", a commenté dans un communiqué Muriel Trummer, spécialiste des questions d'asile pour
Amnesty Suisse, qui a assisté à l'audience.
Pour l'instant, il est difficile de déterminer combien de personnes ont été condamnées pour ce type de délit en Suisse.