Dix-neuf candidates se lancent dans la course au Parlement du canton de Genève, composé de seulement 26 femmes contre 74 hommes. Elles présentent une liste citoyenne 100 % féminine à l’élection cantonale, du 15 avril prochain, dans le but d’injecter plus de parité et défendre l’égalité entre les sexes. Rencontre avec l'initiatrice Manuela Honegger.
L’initiative fait déjà grincer des dents. Mais Manuela Honegger, à l’origine de
Laliste tient bon. A 36 ans, cette politologue de formation en a assez d'attendre son tour, celui des femmes, aussi bien dans le monde politique que dans tous les autres domaines où elles sont sous-représentées ou discriminées.
Un appel lancé sur Facebook
En novembre 2017, profitant de la libération
de la parole insufflée
par le mouvement #
MeToo, elle lance alors un appel dans les médias et ensuite sur
Facebook pour inviter les citoyennes de son pays à briguer des sièges au
Grand Conseil genevois, le parlement du canton de Genève. «
J’ai reçu des dizaines de réponses de femmes et j’en ai rencontré cinquante dans les cafés de Genève. Des mères au foyer, des psychologues, des barmaids, des artistes et bien d’autres, toutes issues de la société civile. On est donc loin de constituer un groupe d’universitaires, moi je viens d’un village avec une mère au foyer, engagée ensuite en politique, et un père mécanicien, détaille Manuela Honegger.
Certaines candidates ont néanmoins accompli des activités militantes mais aucune n’a exercé de mandat politique.»
La démocratie permet justement à monsieur et madame toute le monde de se porter candidat.Manuela Honegger
Des novices donc mais nul ne peut le leur reprocher, selon elle, sinon cela reviendrait à remettre en cause le système démocratique lui même. «
La démocratie permet justement à monsieur et madame toute le monde de se porter candidat, rétorque Manuela Honegger.
Et par ailleurs, chacune des 19 candidates, dont la sélection s’est faite naturellement après des discussions, ont des compétences propres dans différents domaines. Candidater au Parlement est un engagement lourd. Et une fois élues, nous travaillerons avec des expert.e.s pour mener nos actions.»
Sous représentation des femmes en politique
Ces femmes, âgées de 23 à 58 ans, tenteront donc de se faire élire à l’élection cantonale du 15 avril 2018 au Grand Conseil genevois, qui à l’instar de toutes les autres institutions politiques du pays, voit son taux de représentation féminine stagner, comme dans les exécutifs communaux où le taux n’excède pas les 25 % depuis une quinzaine d'années, selon
une étude de l’Université de Lausanne. Et à l’échelle fédérale comme cantonale, les élues n’atteignent pas le tiers. D’ailleurs, le Parlement compte 26 députées sur 100. Et en novembre dernier, le peu de femmes représentées y dénonçaient
un climat de sexisme pesant.
Faut-il pour autant en venir à présenter une liste excluant les hommes ? Certain.es le lui reprochent déjà. Comme la députée au Grand Conseil, Anne Marie von Arx (Parti Démocrate Chrétien), qui l’accuse sur les ondes de la
RTS de relancer «
la guéguerre entre les femmes et les hommes ». Mais les mots sonnent comme une rengaine à l’heure où les chiffres viennent de tomber. Seulement un tiers des candidatures aux Grand Conseil émanent de femmes, soit
229 candidates contre 394 candidats.
L’espace non mixte est donc une nécessité aujourd’hui pour arriver à une égalité effective. Manuela Honegger, initiatrice de Laliste
Pour Manuela Honegger, qui exerce actuellement les fonctions de conseillère personnelle du maire de Genève, ces chiffres constituent une nouvelle preuve des défaillances des partis, qui malgré toutes les lois et autres mesures ne parviennent, ni à respecter la parité, ni à encourager davantage de candidatures féminines en politique. «
L’espace non mixte est donc une nécessité aujourd’hui pour arriver à une égalité effective », conclut-elle.
Pourquoi la non-mixité ?
Une brève expérience dans le parti politique "SolidaritéS" (gauche anticapitaliste, écologiste et féministe, ndlr) avait fini aussi par la convaincre de lancer cette liste apolitique et non mixte. Elle goûte à d’insupportables séances de manterrupting (fait de couper systématiquement la parole aux femmes) et de
mansplaining (situation où un homme explique à une femme ce qu’elle sait déjà de façon condescendante). Expérience qu'elle raconte encore, avec tout le poids de ces épreuves : «
il y a toujours des hommes qui tentent de me
donner des leçons de politique ou encore de m'expliquer ce qu’est le féminisme. »
Il est difficile pour une femme, que l’on soit au sein de n’importe quel parti, de gauche comme de droite, de prendre la parole. Manuela Honegger, initiatrice de Laliste
«
Je continue de rencontrer tellement de politiciens, poursuit la cheffe de liste.
Alors je sais combien, il est difficile pour une femme, que l’on soit au sein de n’importe quel parti de gauche comme de droite, de prendre la parole. Au sein de Laliste, nous sommes au contraire très solidaires, on se soutient. Les femmes ont envie de faire de la politique et depuis qu’on s’organise entre nous, c’est un plaisir. Car, faire de la politique est un plaisir. »
Un programme axé sur l'égalité femmes-hommes
Sans surprise, l’égalité entre les femmes et les hommes occupe une place centrale dans
leur programme. Elles revendiquent, entre autres, la parité dans toutes les instances politiques et une égalité salariale dans les entreprises du canton.
Elles prévoient aussi une requalification de l’atteinte sexuelle (agression sans pénétration) en viol et l’imprescriptibilité pour toutes les formes de violences sexuelles. A l'agenda également, la lutte contre les discriminations de genre vis-à-vis des femmes, des hommes et des personnes LGBTQI, et le droit de vote des étrangers.
Un programme clairement orienté à gauche mais l’initiatrice de Laliste refuse cette étiquette car elle «
ne se reconnaît plus dans le traditionnel clivage des partis ». Loin d’être une novice en politique, elle dit «
s’interroger chaque jour, pour savoir ce que signifie aujoud'hui être à gauche ou à droite. »
Quoiqu’il en soit, il faudra aux 19 candidates atteindre 7 % du quorum pour remporter des sièges au Parlement. Une épreuve difficile ? «
Pas plus que pour les autres listes » répond la cheffe de liste.
Des partis traditionnels ont peur de perdre des sièges à cause de cette liste
Entretien avec Lorena Parini, professeure associée et directrice de l'Institut
des Etudes genre de l'Université de Genève.
Terriennes - En collaboration avec le Service de promotion de l’égalité du Canton de Genève, vous avez réalisé une recherche "Femmes et hommes dans les élections cantonales et de la Ville de Genève, où en sommes-nous ? " C’était en 2008, qu’avez-vous observé ? Y a-t-il eu des évolutions depuis ?
Lorena Parini - Nous avions observé que les partis de gauche et les Verts étaient plus actifs dans le recrutement de candidates sur leurs listes et que les partis de la droite traditionnelle ou de la droite populiste étaient moins actifs. Depuis, les discours sur la meilleure représentation des femmes au parlement se sont intensifiés mais les résultats ne sont pas toujours là, puisque actuellement il y a 26 femmes au parlement cantonal sur 100 député.e.s.
Comment expliquer la faible représentativité des femmes en politique dans une ville comme Genève ?
Lorena Parini - Les explications sont variées : tout d'abord il y a toujours la difficulté pour les femmes qui ont des enfants à dégager du temps pour la politique, puis il y a aussi le fait que la politique est encore largement un domaine masculin dans lequel les rapports de force sont assez violents et n'incitent pas les femmes à participer.
Par le passé, une liste de femmes au PS avait permis de porter au Parlement une nouvelle génération de femmes politiquesLorena Parini, politiste suisse
Que vous inspire cette initiative lancée par Manuela Honneger ? Peut-on défendre la parité et dans le même temps lancer une liste non-mixte ?
Lorena Parini - Ce n'est pas la première fois qu'à Genève de telles initiatives voient le jour. Le but de cette liste est de provoquer un petit choc auprès des partis traditionnels qui ont peur de perdre des sièges à cause de cette liste. Peut-être qu'à l'avenir, ils réfléchiront plus sérieusement à la composition de leurs listes.
Les partis sont-ils réticents à promouvoir des candidatures féminines comme l’explique Laliste ?
Lorena Parini - Comme je l'ai dit plus haut certains partis sont plus réticents que d'autres. Les Verts et Ensemble à Gauche ont défini une liste paritaire alors que le PS partis traditionnellement pro-femmes n'a pas atteint la parité sur sa liste pour ces élections. PDC et PLR présentent environ 30% de candidates et l'UDC et le MCG sont en dessous de 30%. Mais le mode de scrutin à Genève à la proportionnelle avec possibilité de biffer et panacher les listes ne garantit bien entendu pas aux femmes d'être élues, ni aux hommes d'ailleurs. Les résultats sont parfois très différents que la propositions sur la liste car avec le jeu des biffage et panachage cela peut changer considérablement.
Y a-t-il eu dans le passé une démarche similaire qui a porté ses fruits en Suisse ?
Lorena Parini - Il y a eu, en effet, par le passé une liste femmes au PS qui avait permis de porter au Parlement une nouvelle génération de femmes politiques.
Egalité salariale, la Suisse peut aussi attendre...
D'ici là, les femmes auront peut-être avancé sur le front de l'agalité salariale. Le 28 février 2018, alors que la loi sur ce sujet devait être débattue, les Suissesses apprenaient qu'elles devraient encore attendre un moment avant que le parlement fédéral ne décide de mesures concrètes pour faire reculer la discrimination salariale avec les hommes. Le Conseil des États venait de réussir l’exploit d’entrer en matière sur un projet très attendu et de le renvoyer immédiatement en commission car jugé insatisfaisant. #yaduboulot !
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