Suisse : toujours pas de loi sur le congé paternité

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Le Conseil fédéral persiste et ne signera pas : le congé paternité reste absent de la loi. Etudes, sondages, arguments économiques, rien n’y fait. A quelques jours de la grève des femmes du 14 juin, la Suisse reste le dernier pays d'Europe à ne pas reconnaître le droit des pères à rester à la maison, ne serait-ce que quelques jours, à la naissance d'un enfant.

Le Conseil fédéral est en passe d'en informer le Parlement : il rejette l’initiative pour un congé de paternité de 20 jours pour "ne pas mettre en péril la compétitivité de l’économie suisse". Il le fera en catimini, sans s’expliquer en conférence de presse sur la manière dont il conçoit sa politique familiale. Alors que commence la session parlementaire à Berne, le centre droit planche sur un contre-projet à l’initiative.

Un sujet clivant

Si le Conseil fédéral fait profil bas sur ce dossier, c’est qu’il est divisé. Le 18 octobre dernier, trois de ses sept membres, soit Simonetta Sommaruga, Alain Berset et Doris Leuthard, ont tenté de proposer un contre-projet réduisant ce congé à deux semaines, mais ils ont été minorisés par leurs quatre collègues de l’UDC et du PLR.

"L’arrivée d’une femme supplémentaire au Conseil fédéral n’aura été d’aucun secours, déplore la chroniqueuse suisse Liza Mazzone. Karin Keller-Sutter a beau considérer 'naturel de faire tout ce que ses frères pouvaient faire', elle ne voit visiblement pas les choses ainsi lorsqu’il s’agit pour les hommes de pouponner dans la sphère privée. Aucun effet non plus la batterie d’arguments de la Commission fédérale pour les questions familiales (COFF), qui a démontré l’effet positif d’un congé parental sur la santé de l’enfant, le partage des tâches, la reprise d’une activité professionnelle par les mères, la productivité et même les rentrées fiscales."

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Les partisans d’un contre-projet ont désormais deux options. Soit ils tablent sur l’initiative en estimant qu’elle a toutes ses chances devant le peuple, soit ils tentent d’élaborer un contre-projet dans l’espoir que les pères ne soient plus réduits à un seul jour de congé, comme c’est le cas pour les moins bien lotis d’entre eux.
 

Une nouvelle génération de pères participent activement aux tâches éducatives et domestiques.

Valérie Piller Carrard, présidente de Pro Familia Suisse​

La gauche prendra probablement la première option, ainsi que le laisse entendre Valérie Piller Carrard (PS/FR), présidente de Pro Familia Suisse. "Dans la population, je sens une dynamique favorable au congé paternité grâce à l’arrivée d’une nouvelle génération de pères qui participent activement aux tâches éducatives et domestiques", déclare la Fribourgeoise, qui a elle-même récolté des signatures sur les marchés. "L’écho a été très positif. Très peu de gens ont refusé de signer l’initiative", témoigne-t-elle. Cette attitude sera probablement partagée par le Parti bourgeois-démocratique (PBD). "Je ne suis pas sûre qu’un contre-projet ait un sens. Cette initiative peut gagner devant le peuple, même si elle doit recueillir la majorité des cantons", note la cheffe du groupe PBD Rosmarie Quadranti.

Pragmatisme et petits pas

Au centre droit, on semble s’acheminer plutôt vers la quête d’un compromis. Deux ardents combattants du congé paternité de toujours le prônent. Hugues Hiltpold (PLR/GE), qui s’en est fait l’avocat en 2009 déjà, estime qu’il ne faut pas négliger l’aspect financier. "L’initiative coûte 400 millions, c’est beaucoup. Il faut trouver un chemin médian et réfléchir à un contre-projet portant sur deux semaines.» On en reviendrait ainsi à la proposition de Martin Candinas (PDC/GR), que le parlement avait rejetée de justesse par 97 voix contre 90 en avril 2016. Le Grison en appelle aujourd’hui à la raison. "En politique, c’est le faisable qui compte, pas le souhaitable", affirme-t-il. La conquête du congé maternité l’enseigne: ce genre de progrès ne se réalise pas du premier coup, il faut sans cesse revenir à la charge. En procédant par petits pas.

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Retardataire

En matière de congé paternité, la Suisse a pris du retard sur l’Europe. En 2018, l’Union européenne a adopté une directive accordant un congé parental de quatre mois à chaque parent – homme comme femme – qui travaille.

Si la France fait de la résistance à Bruxelles, l’Allemagne a fait passer son congé parental à 12 mois en 2007 déjà dès l’arrivée au pouvoir d’Angela Merkel. Pour ne pas parler des pays scandinaves, qui ont toujours joué un rôle de pionniers dans ce domaine.

En Suisse, la notion de "congé parental", qui implique généralement une période obligeant les deux parents à se libérer alternativement de leur travail à l’arrivée d’un enfant, ne s’est pas encore imposée. Pourtant, c’est bel et bien un tel congé que la Commission fédérale de coordination pour les questions familiales (COFF) a proposé en 2010 déjà. Un vrai pavé dans la mare, à l’époque. La Suisse venait à peine d’introduire le congé maternité de 14 semaines qu’un aréopage de spécialistes proposait de lui greffer un congé parental de 24 semaines. Coût : 1,2 milliard de francs par an. Le modèle a vite été oublié.

L’avenir appartient à ceux qui prennent un congé parental

Que ce soit sous la Coupole ou ailleurs, tous les partisans du congé paternité l’admettent : l’avenir, c’est bel et bien le congé parental.  Grâce à sa flexibilité, il permet d’évoluer vers un partage plus équitable du travail domestique et familial dès la naissance de l’enfant", souligne Patrick Robinson, porte-parole de la Coordination romande des organisations paternelles. Pourtant, la COFF a bien l’intention de se rappeler au bon souvenir du Conseil fédéral. Elle compte actualiser cette année encore son modèle de l’époque sur la base des dernières recherches scientifiques, confie l’un de ses membres, Giuliano Bonoli, professeur en politique sociale à l’Université de Lausanne.

L’Allemagne, avec ses 12 mois de congé parental, dispose de l’économie la plus puissante du continent.

Patrick Robinson, porte-parole de la Coordination romande des organisations paternelles

"En Europe, le congé parental s’est imposé comme standard et la Suisse a pris beaucoup de retard à cet égard", constate-t-il. Difficile de croire le Conseil fédéral lorsqu’il prétend qu’un congé paternité de quatre semaines mettrait en danger l’économie. "L’Allemagne, avec ses 12 mois de congé parental, dispose de l’économie la plus puissante du continent et son taux de chômage n’a jamais été aussi bas depuis la réunification."