Fil d'Ariane
Trois noms se détachent. Kamala Harris, sénatrice, Val Demings, élue de la Chambre des représentants, et Keisha Lance Bottoms, maire d'Atlanta. Toutes ont parlé avec vigueur et passion de l'émoi qui a saisi le pays en voyant Georges Floyd mourir, mais aussi de leur propre expérience de femmes noires aux Etats-Unis.
Sur les sites de paris en ligne misant sur la prochaine colistière du candidat démocrate à la Maison-Blanche, leur cote a grimpé. En même temps, celles qui étaient en tête des pronostics il y a encore trois semaines ont vu leur cote s'effondrer : les sénatrices et ex-candidates à la Maison-Blanche Elizabeth Warren et Amy Klobuchar, ou encore la gouverneure du Michigan, Gretchen Whitmer.Toutes sont des candidates blanches.
Avec la soif de justice, de changement, des manifestants qui se mobilisent depuis la mort de Georges Floyd, le 25 mai, les électeurs afro-américains "exigent une vice-présidente noire", estime Daniel Gillion, professeur de sciences politiques à l'université de Pennsylvanie.
Dès le mois de mars, l'ancien vice-président de Barack Obama avait promis qu'il choisirait une femme pour affronter avec lui le républicain Donald Trump le 3 novembre. Joe Biden avait plusieurs fois souligné qu'il envisageait des candidates afro-américaines. Populaire chez les électeur.trice.s noir.e.s, à qui il doit en bonne partie sa victoire dans la primaire démocrate, ce vétéran de la politique sait que leur mobilisation est clé pour tout démocrate rêvant de décrocher la Maison-Blanche.
Sur CBS, il a confié que les deux dernières semaines avaient "accru le besoin et l'urgence" de choisir quelqu'un qui est "totalement en phase" avec lui. "Je veux quelqu'un de solide et quelqu'un qui puisse assumer la présidence, qui sera prêt à dès le premier jour", a ajouté celui qui, à 77 ans, sera le plus vieux dirigeant dans l'histoire des Etats-Unis s'il remporte l'élection.
Dans cette campagne présidentielle extraordinaire, déjà bouleversée par la pandémie de coronavirus, puis la mort de George Floyd, il n'est pas exclu qu'un autre événement inattendu vienne influencer son choix, qu'il compte révéler autour du 1er août. Mais à ce stade, "Joe Biden a de nombreuses raisons de choisir l'une des candidates noires", reconnaît Kyle Kondik, politologue à l'université de Virginie.
Ex-rivale de Joe Biden lors de la primaire démocrate, Kamala Harris, 55 ans, figurait dès le départ dans le peloton de tête des possibles colistières, grâce notamment à sa solide expérience.
The Justice in Policing Act is the first step to ensure that those who wear a badge and carry a gun face accountability and consequence for misconduct. pic.twitter.com/DN2XGJd3Li
— Kamala Harris (@KamalaHarris) June 9, 2020
(traduction : La Loi sur la justice dans les services de police est la première étape pour que ceux qui portent un badge et une arme à feu fassent l'objet de poursuites en cas de faute et en assument les conséquences.)
Les deux démocrates, qui se connaissent de longue date, se sont depuis publiquement réconciliés. Mais à l'heure d'une profonde remise en cause du fonctionnement du système judiciaire et pénal envers les minorités, le passé de procureure de Kamala Harris pourrait lui nuire.
Si Joe Biden "me demande, je dirais oui", a-t-elle déclaré sans ambages au site d'information Axios.
Diplômée de criminologie de l'université d'Etat de Floride en 1979, elle a fait carrière dans la police où elle a exercé vingt-quatre ans, jusqu'à prendre la tête de la police d'Orlando de 2007 jusqu'à 2011. Elle est la première femme à occuper ce poste. Elue de la Chambre depuis 2017, Val Demings, 63 ans, s'était déjà fait remarquer lors du procès en destitution de Donald Trump.
Depuis la mort de George Floyd, les déclarations contre le "racisme institutionnel", alliées au parcours de cette ancienne policière puis cheffe de la police d'Orlando, en Floride, l'ont faite grimper dans les pronostics. "Son passé dans la police lui permet, de façon idéale, de soutenir à la fois les forces de l'ordre et d'évoquer très ouvertement les griefs des manifestants", souligne Kyle Kondik.
"Femmes noires du millénaire, vous avez du pouvoir ! Ignorez le self-talk. 'Je ne suis pas assez brillante.' 'Je ne connais pas les bonnes personnes.' 'Je dois attendre mon tour.' Prenez les devants, car lorsque nous examinons l'état de notre pays en ce moment, nous voyons bien que nous avons besoin de femmes noires jeunes, vives, intelligentes et sans peur", écrit-elle sur son compte twitter.
Black women millennials: know your power. Ignore the "self-talk."
— Rep. Val Demings (@RepValDemings) June 9, 2020
"I'm not bright enough."
"I don't know the right people."
"I need to wait my turn."
Take the lead—because when we look at the state of our country right now, we need young, sharp, smart, fearless black women. https://t.co/lVMEg8Ypil
"Si le vice-président pensait que je pourrais l'aider à gagner en novembre, et que j'étais la mieux placée, j'y songerais sérieusement", a confié Keisha Lance Bottoms à Axios. Agée de 50 ans, mère de quatre enfants, elle fut l'une des premières maires d'une grande ville à soutenir Joe Biden dans la primaire.
C'est ce qu'elle a fait notamment en faisant référence à Martin Luther King : "Une manifestation a un but. Lorsque le Dr King a été assassiné, nous n'avons pas détruit notre ville. Donc si vous aimez cette ville, qui a un héritage de maires noirs, de chefs de police noirs et de gens qui tiennent à elle, où plus de 50% des chefs d'entreprises d'Atlanta et de sa périphérie sont issus de minorités, si vous tenez à cette ville, rentrez chez vous. "
Lors d'une interview pour Axios devenue virale sur les réseaux sociaux, elle ne cache pas son émotion en évoquant son fils de 12 ans jouant avec une arme factice :
“Children get killed for that.”
— Axios (@axios) June 9, 2020
Atlanta Mayor @KeishaBottoms tears up on #AxiosOnHBO while recounting "the talk" she had with her 12-year-old son after finding him playing with a toy gun.
12-year-old Tamir Rice was holding a toy gun when he was killed by a cop in 2014. pic.twitter.com/MsevtcYGuF
Elle évoque aussi son inquiétude de mère pour un autre de ses fils, jeune adulte : "Je suis la mère de quatre enfants noirs aux Etats-Unis. L'un d'eux a 18 ans. Quand j'ai vu le meurtre de Georges Floyd, j'ai été blessée comme une mère peut l'être. Quand j'ai entendu que des violences éclataient dans les manifestations, j'ai fait ce que toute mère fait, j'ai appelé mon fils pour lui demander 'Où es-tu ?'".
Ce 13 juin, après qu'un policier a mortellement blessé un suspect lors d'une tentative d'arrestation, et que des manifestations ont éclaté pour protester contre ce nouveau décès d'un Afro-Américain victime de la police, Keisha Lance Bottoms a annoncé la démission d'Erika Shields, qui dirigeait la police de la ville depuis plus de vingt ans. "En raison de son désir qu'Atlanta soit un modèle de ce qu'une réforme significative devrait être dans tout le pays, Erika Shields a présenté sa démission immédiate de cheffe de la police", explique la mairesse d'Atlanta.
D'autres candidates sont en lice. Stacey Abrams, 46 ans, candidate malheureuse au poste de gouverneure de Géorgie, a vu sa cote baisser ces derniers jours sur le site spécialisé PredictIt, pour arriver au niveau d'une autre candidate pressentie : l'ancienne conseillère à la sécurité nationale du président Barack Obama, Susan Rice, 55 ans.