Fil d'Ariane
Svetlana Tikhanovskaya, candidate à la présidentielle, en meeting électoral à Brest, 326 km au sud-ouest de Minsk, au Belarus, le 2 août 2020.
Le procès par contumace de l'opposante bélarusse en exil Svetlana Tikhanovskaïa s'est ouvert le 17 janvier 2023 à Minsk, en pleine accélération de la machine répressive du régime autoritaire d'Alexandre Loukachenko, dont elle est devenue la bête noire. Réfugiée en Lituanie, Svetlana Tikhanovskaïa, 40 ans, est visée par une dizaine d'accusations, notamment celles de haute trahison et de "conspiration pour prendre le pouvoir de manière inconstitutionnelle". Ce 27 février 2023, lors d'une audience dans un tribunal de Minsk, le parquet a requis contre elle 19 ans de prison, selon l'agence de presse officielle bélarusse Belta.
Contre les quatre alliés en exil de l'opposante – Maria Moroz, Pavel Latouchko, Olga Kovalkova et Sergueï Dylevski – qui sont jugés avec elle, le parquet a requis 12 ans de prison. Les procès de plusieurs collaboratrices du site d'information Tut.by, principal média indépendant du Bélarus, dont sa rédactrice en chef Marina Zolotova, se tiennent aussi à huis clos.
Dans un entretien avec l'AFP, Svetlana Tikhanovskaïa a qualifié ce procès de "farce" et de "vengeance personnelle" d'Alexandre Loukachenko contre celle qui a fait trembler son pouvoir en 2020. Elle a expliqué avoir contacté son avocat commis d'office, mais celui-ci n'a jamais répondu. "Je ne sais même pas ce que mon soi-disant avocat fera demain (mardi) dans ce tribunal, a-t-elle ajouté. Je ne sais pas combien de temps ce procès durera, combien de jours, mais je suis sûre qu'ils me condamneront à beaucoup, beaucoup d'années de prison".
#MAEmix Biélorussie - Procès de Svetlana Tikhanovskaïa (17.01.23) https://t.co/oSPegCuGmu
— DiploMix (@DiploMix) January 17, 2023
En marge du forum de #Davos, l'opposante bélarusse en exil, Svetlana #Tikhanovskaïa annonce faire l'objet d'un procès en son absence à Minsk. Un parmi d'autres au moment où le régime #Loukachenko, allié de la Russie, accroit sa répression contre les défenseurs des #droitshumains. pic.twitter.com/WewXoaYmRm
— TV5MONDE Info (@TV5MONDEINFO) January 17, 2023
Au printemps 2020, deux candidats potentiels à la présidentielle du 9 août ont été incarcérés, dont Sergueï Thikanovski, le mari de Svetlana. C'est cette opération qui l'avait incitée à prendre le relais, unifiant tous les détracteurs du chef de l'Etat biélorusse derrière elle et drainant des foules d'une ampleur inédite. Dès son premier meeting, Svetlana Tikhanovskaïa a réussi le tour de force, dans un pays qui n'a jamais vu émerger d'opposition forte, de rassembler des milliers de sympathisants :
#Belarus #Беларусь #выбары2020 Premier meeting pour Svetlana Tikhanovskaïa et 7500 personnes se sont pressés pour venir l'entendre elle ainsi que Babariko et Tsepkalo.
— Aleksander GLOGOWSKI #FBPE (@Aleks_Paris) July 19, 2020
Il y a comme du changement dans l'air ! pic.twitter.com/ThL3BOwYkH
Si l'opposante semble aujourd'hui à l'abri des geôles de Minsk en raison de son exil à l'issue de son procès par contumace, les autorités bélarusses ont trouvé un autre moyen de la punir en annonçant de nouvelles poursuites contre son mari, toujours emprisonné au Bélarus. Blogueur populaire qui critiquait férocement le président Loukachenko, Sergueï Tikhanovski a été condamné en décembre 2021 à 18 ans de prison, notamment pour "organisation de troubles massifs" et "incitation à la haine dans la société". Un an plus tard, les autorités bélarusses l'inculpe pour "insubordination" à l'égard de l'administration pénitentiaire, une accusation passible de deux ans de prison supplémentaires.
"Sveta ! Sveta !" scandaient des foules d'une ampleur sans précédent rassemblées pour ses meetings de campagne. Ils plébiscitaient Svetlana Tikhanovskaïa, une mère de famille devenue un phénomène populaire en défiant l'autoritaire et vieillissant président Alexandre Loukachenko pour l'élection présidentielle du dimanche 9 août 2020.
En quelques semaines, cette ancienne traductrice et enseignante d'anglais est sortie de l'anonymat pour devenir la principale rivale de l'homme qui dirige cette ex-république soviétique d'une main de fer depuis vingt-six ans sans jamais avoir laissé émerger la moindre opposition unie et structurée.
Svetlana Tikhanovskaïa n'avait pourtant pas l'ambition de diriger ce pays de 9,5 millions d'habitants, elle qui a renoncé à sa carrière pour se consacrer à son fils aîné, né malentendant. Si elle est dans la course, c'est simplement que son mari Sergueï Thikanovski, vidéo-blogueur en vue, a été incarcéré après avoir fait acte de candidature, promettant d'écraser "le cafard" Alexandre Loukachenko.
Svetlana Tikhanovskaïa décide alors de reprendre le flambeau "par amour" pour son "coup de foudre" rencontré il y a seize ans alors qu'elle était étudiante et lui patron d'une boîte de nuit à Mozyr. Elle réunit les dizaines de milliers de parrainages nécessaires, et la commission électorale valide sa candidature à la surprise générale, quand celles de deux opposants, jugés plus sérieux, sont rejetées.
Je suis fatiguée de tout devoir supporter, je suis fatiguée de me taire, je suis fatiguée d'avoir peur.
Svetlana Tikhanovskaïa
Svetlana Tikhanovskaïa se présente comme "une femme ordinaire, une mère, une épouse", qui mène la bataille par devoir malgré les menaces qui l'ont conduite à exiler à l'étranger sa fille de 8 ans et son fils de 13 ans, désormais. "J'abandonne ma vie tranquille pour (Sergueï), pour nous tous. Je suis fatiguée de tout devoir supporter, je suis fatiguée de me taire, je suis fatiguée d'avoir peur. Et vous ?", lance-t-elle à Minsk sous les vivats d'une foule de dizaines de milliers de personnes le 30 juillet 2020. Dans les autres villes du pays aussi les sympathisants descendent dans la rue pour l'encourager, appeler au "changement" et reprendre en choeur une chanson appelant à faire tomber les murs des prisons biélorusses.
Scènes surréalistes à #Grodno pour qui connaît le #Bélarus. Acclamations pr la candidate d’opposition Svetlana Tikhanovskaïa sur fond de drapeaux blanc rouge blanc, drapeau originel du Bélarus post-soviétique - vidéo : @franakviacorkapic.twitter.com/8DrYvhh9YN
— Antoine (@Presqueprsiden1) August 1, 2020
Car son mari, poursuivi pour de multiples crimes qualifiés de fantaisistes par ses partisans, est toujours incarcéré. Il est désormais même accusé d'avoir voulu fomenter des émeutes avec des mercenaires russes. Bien d'autres opposants ont connu un sort similaire à l'approche du scrutin.
Pour ses partisans, "Sveta" est devenue une égérie. The Village, un site d'information biélorusse, la qualifie de "Jeanne d'Arc accidentelle". D'abord hésitante dans ses apparitions publiques, la jeune femme a gagné en prestance et en assurance, impressionnant avec ses deux interventions télévisées autorisées lors desquelles elle dénonce les dérives et mensonges du régime biélorusse.
"De manière inattendue, son premier discours à la télévision était fort, sans fausse note ou point faible", reconnaît le journal d'opposition Nacha Niva. Son style simple, direct, trouve un écho chez nombre de Biélorusses, et se situe aux antipodes de l'attitude bouillonnante de son mari qui s'illustrait par des vidéos coup de poing dénonçant la corruption du régime de Loukachenko.
Cette prise d'assurance et cette image de force tranquille, Svetlana Tikhanovskaïa l'a organisée avec l'aide de deux autres jeunes femmes : Veronika Tsepkalo, la femme d'un opposant en exil à Moscou, et Maria Kolesnikova, la directrice de campagne de Viktor Babaryko, un ancien banquier emprisonné alors qu'il souhaitait se présenter. Toutes trois offrent un renouveau à l'opposé du style macho cultivé par le président de 65 ans, moustache et front dégarni.
Chacune a adopté un geste : le poing levé pour Svetlana Tikhanovskaïa, les mains en coeur de Maria Kolesnikova et le doigts en "V" de la victoire de Veronika Tsepkalo. Trois symboles qui sont devenus l'affiche de cette campagne hors du commun.
Face à elles, les foules reprennent en coeur un chant devenu leur hymne : "Allons abattre cette prison! Aucun mur ne doit se dresser ici !"
Maria Kolesnikova, Svetlana Tikhanovskaya et Veronika Tsepkalo en conférence de presse le 17 juillet 2020.
Maria Moroz, cheffe de l'état-major de campagne de Svetlana Tikhanovskaïa a été interpellée le 6 août 2020, puis relâchée peu après, selon le quartier général de la rivale du président Alexandre Loukachenko. Les autorités, elles, expliquent qu'elle a été "invitée pour une conversation" sans plus de précisions quant à son contenu, démentant avoir voulu arrêter la responsable de la campagne de l'opposante Svetlana Tikhanovskaïa.
Arrestations à Sloutsk où devait se tenir un meeting de Svetlana Tikhanovskaïa. Au dernier moment les autorités ont décidé qu’il y avait des « réparations urgentes » à faire sur la place.... et le meeting n’a pas eu lieu #Bélarus pic.twitter.com/7XLLwCY0UD
— Antoine (@Presqueprsiden1) August 4, 2020
Ce soir le dernier meeting de campagne de Svetlana Tikhanovskaïa a été interdit par les autorités du #Bélarus et le pouvoir a organisé une fête sur les lieux initialement prévus du rassemblement.(1)pic.twitter.com/bBHDlI80qQ
— Antoine (@Presqueprsiden1) August 6, 2020
Alexandre Loukachenko, l'homme fort de Biélorussie, ancien directeur de sovkhoze de 65 ans, n'apprécie guère la concurrence de celle qu'il qualifie de "pauvre nana" : "Ces pauvres nanas, elles ne comprennent rien de ce qu'elles disent, de ce qu'elles font". Et d'ajouter : "On ne dirige pas un pays en sortant de nulle part."
"Je veux vraiment une élection honnête, c'est pourquoi j'y appelle", déclare Svetlana Tikhanovskaïa après avoir voté dans un bureau à Minsk. Dans la soirée du 9 août 2020, déjà, la victoire d'Alexandre Loukachenko était annoncée avec 80,23% des voix, devant Svetlana Tikhanovskaïa, 9,9% des voix. Des milliers de Biélorusses sont alors descendus dans les rues du pays pour manifester contre le gouvernement, l'opposition dénonçant des fraudes. Selon l'ONG de défense des droits humains Viasna, la répression des manifestations à Minsk a fait un mort et des dizaines de blessés.
La candidate de l'opposition a aussitôt rejeté les résultats officiels, demandant au président de céder le pouvoir.
Ces résultats sont en décalage complet avec tout ce que l’on sait par ailleurs.
Anna Colin Lebedev, experte de l’évolution politique et sociale des pays d’ex-URSS
Pour Anna Colin Lebedev, experte de l’évolution politique et sociale des pays d’ex-URSS, il ne fait aucun doute que les résultat annoncés ne reflètent pas la réalité des urnes : "Ces résultats sont en décalage complet avec tout ce que l’on sait par ailleurs via d’autres comptes rendus. A mon sens, ces chiffres ne correspondent à rien. Nous disposons par exemple de procès-verbaux de bureaux de votes, photographiés soit par les électeurs quand ceux-ci étaient affichés sur la porte du bureau de vote, soit par des membres des commissions électorales."
Pour l'experte, s'il n'y a pas de preuve d'une victoire de l'opposante, le président Loukachenko est loin de la victoire annoncée : "Même dans les bureaux de vote où Loukachenko arrive en tête, on reste très loin des 80 % affichés par le pouvoir politique. Aussi, on constate que dans plusieurs bureaux de vote, où le comptage s’est fait, à mon sens, de manière plus transparente, Tikhanovskaïa arrive très largement en tête ou en tête de manière sensible."
Lire l'intégralité de l'interview de Anna Colin Lebedev sur le site de TV5MONDE ► Réélection d'Alexandre Loukatchenko en Biélorussie : "La vague protestataire est quelque chose de totalement inédit"
⚠️ #Belarus "What's happening now is not worth a single lost life »
— inna shevchenko (@femeninna) August 11, 2020
Belarusian opposition leader Svetlana #Tikhanovskaya left the country for Lithuania. In her heartbreaking video address, Svetlana said ‘I wish no one the choice I faced.Kids are the most important thing in life’ pic.twitter.com/kkO2MO33tM
#Bielorussie Une autre vidéo de Tsikhanovskaya est apparue.
— inna shevchenko (@femeninna) August 11, 2020
"Moi, Svetlana Tikhanovskaya... »
"s'il vous plaît ne sortez dans les rues »
"Merci d'avoir participé à l'élection présidentielle. Le peuple a fait son choix" pic.twitter.com/ahpt8bswJB
Le 11 août, le ministre lituanien des Affaires étrangères, Linas Linkevicius, annonçait que Svetlana Tikhanovskaïa se trouvait "en sécurité" en Lituanie :
Biélorussie : la candidate d'opposition, Svetlana Tsikhanovskaïa, se dit prête à « agir en tant que cheffe de la nation [...] pour organiser un autre tour des élections » (vidéo)
— Figaro Live (@Figaro_Live) August 17, 2020
Hier encore, Alexandre Loukachenko n'avait pas envie de rejouer la partie : https://t.co/5mtrexxfSR pic.twitter.com/Njr5O3iArO
"Il y a en Europe des pays plus courageux et d'autres moins, ce qui ne signifie pas qu'ils ne nous soutiennent pas", a-t-elle commenté, à propos de l'échec des 27 à tomber d'accord sur des sanctions en raison d'un véto chypriote, ajoutant "Les manifestations au Bélarus ne vont pas cesser. Les gens n'accepteront plus ce régime sous lequel ils vivent depuis des années. Ils le combattront de plus en plus".
A la demande de l'opposante biélorusse Svetlana Tikhanovskaïa, Emmanuel Macron a promis mardi d'aider à la médiation dans la crise politique qui secoue la Bielorussie.
— Bertrand Schneider (@Tioumliline) September 29, 2020
Fin septembre, l'opposante a appelé Emmanuel Macron à être "le médiateur dont nous avons terriblement besoin" pour résoudre la crise au Bélarus. Une rencontre a eu lieu lors de la visite du président français en Lituanie. "Le Président Macron pourrait être ce médiateur, avec les leaders d'autres pays. Il pourrait être capable d'influencer Poutine, avec lequel il a de bonnes relations", confie la militante biélorusse. "Moi, je ne peux pas m'arrêter et abandonner, parce que trop d'innocents sont en prison", conclut-elle.
Depuis la militante parcourt l'Europe pour plaider la cause de l'opposition bélarusse et obtenir l'appui des dirigeants en mesure de faire pencher la balance en sa faveur.
Le 22 octobre 2020, alors que Svetlana Tikhanovskaïa se trouve en visite à Copenhague, le Parlement européen décerne le prix Sakharov des droits de l'homme à "l'opposition démocratique" au président Alexandre Loukachenko au Bélarus.
Le Parlement européen a décerné le prix Sakharov des droits de l'homme à "l'opposition démocratique" au président Alexandre Loukachenko au Bélarus, emmenée par sa figure de proue Svetlana Tikhanovskaïa, a indiqué son président David Sassoli #AFP pic.twitter.com/cO5aC5TR6z
— Agence France-Presse (@afpfr) October 22, 2020
L'opposition démocratique, c'est ce collectif de femmes menée par Svetlana Tikhanovskaïa, que l'Union européenne considère comme la présidente élue. "C'est un choix très politique, pour Paul Germain, correspondant de TV5MONDE à Bruxelles. Le Parlement indique ainsi qu'il soutient les revendications légitimes démocratiques du peuple bélarusse. Pour l'Union europénne, Alexandre Loukachenko a perdu les élections."
#Bielorussie : le Parlement européen décerne le #prixsakharov des droits de l'homme à "l'opposition démocratique" du pays.
— TV5MONDE Info (@TV5MONDEINFO) October 22, 2020
Quel signal est envoyé par Bruxelles ? Les explications de notre correspondant @paulgermaintv5 pic.twitter.com/PEZArL7DQx
Pour la députée européenne Maria Arena , le Parlement européen veut soutenir des citoyens qui défendent leurs droits démocratiques dans un pays voisin de l'UE. pic.twitter.com/tUbiruijQX
— TV5MONDE Info (@TV5MONDEINFO) October 22, 2020