Fil d'Ariane
Lycéenne, elle écrivait des poèmes sur son blog. Après 15 ans de détention dans les geôles de Bachar Al-Assad, Tal al-Mallouhi a enfin retrouvé la liberté. Le régime syrien l'avait condamnée pour "espionnage" au profit des Américains.
La blogueuse syrienne Tal al-Mallouhi, emprisonnée à l'âge de 19 ans puis condamnée pour espionnage, à nouveau libre. Photo non vérifiée et non datée, reprise sur les réseaux sociaux.
Tal al-Mallouhi a 33 ans aujourd'hui. Ses quinze dernières années, elle les a passées emprisonnée dans les prisons du gouvernement syrien aujourd'hui déchu. Cette poétesse blogueuse fait partie des milliers de détenus libérés ces derniers jours à la faveur de l'offensive éclair des rebelles islamistes qui se sont emparés en onze jours de villes clés de Syrie et ont chassé Bachar al-Assad du pouvoir.
Elle a encore besoin de temps pour réaliser qu'elle est libre, que tout va bien maintenant et que la peur et la terreur sont parties. Ahd al-Mallouhi, mère de Tal al-Mallouhi
Après ces longues années de détention, elle a encore besoin de temps "pour réaliser qu'elle est libre, que tout va bien maintenant et que la peur et la terreur sont parties", confie sa mère, Ahd al-Mallouhi.
Avant son arrestation en décembre 2009, un peu plus d'un an avant le début de la guerre en Syrie, la lycéenne écrivait sur son blog de la poésie et des commentaires sur la situation sociale.
Tu resteras un exemple
Je marcherai avec tous ceux qui marchent
Et non
Je ne resterai pas immobile
Juste pour regarder les passants
C'est ma patrie
Dans laquelle
J'ai
Un palmier
Une goutte dans un nuage
Et une tombe pour me protégerC'est plus beau
Que toutes les villes de brouillard
Et les villes qui
Ne me reconnaissent pas
Mon défi :
Je voudrais avoir le pouvoir
Même pour un jourPoème de Tal al-Mallouhi (traductionGhias al-Jundi)
Au moment de sa condamnation à 5 ans de prison "pour espionnage à destination des services de renseignements américains", la communauté internationale s'était mobilisée. La France avait tenu à rappeler à la Syrie à ses engagements internationaux sur la liberté d'expression et le droit à un procès juste. Les Etats-Unis avaient condamné le "procès secret" de Tal Al-Mallouhi et appelé la Syrie à libérer la jeune femme. "Nous appelons le gouvernement syrien à relâcher immédiatement tous ses prisonniers de conscience, et à autoriser ses citoyens à jouir de leurs droits universels d'expression et d'association sans peur de représailles", avait ajouté le porte-parole du département d'Etat de l'époque.
Reporters sans frontières avait dénoncé une "condamnation cruelle et injuste". La Syrie fait partie de la liste des pays qualifiés d’"Ennemis d’Internet” par l'ONG. Tal Al-Mallouhi avait été arrêtée le 27 décembre 2009. Ses CD, livres et ordinateur avaient été saisis. Détenue dans la prison de Douma, maintenue au secret pendant près de onze mois, gardée dans des conditions déplorables, elle était accusée par les autorités syriennes d’espionner pour le compte de l’ambassade américaine en Egypte, précisait RSF sur son site internet.
Selon RSF, les accusations reposaient en partie sur une lettre ouverte que la jeune fille avait adressée à Barack Obama sur son blog, lui demandant de prendre une position plus équilibrée concernant les Arabes et les musulmans. Elle s’intéressait aussi au sort des Palestiniens. Selon les informations recueillies par Amnesty International, la Cour suprême de sûreté de l'État aurait établi que Tal al Mallohi aurait reçu une somme d'argent de l'ambassade des États-Unis au Caire, la capitale égyptienne où vivait la jeune femme, en échange d'une liste de noms d'agents de la sûreté syriens.
Des accusations niées en bloc par la famille de la jeune femme.
Dénonçant un procès "inéquitable", Amnesty International avait lancé une Action urgente le 17 septembre 2010, préoccupée par le fait que Tal al Mallohi soit détenue au secret par une branche de la Sûreté de l'État à Damas et exposée à des risques de torture et autres mauvais traitements.
La Syrie est placée 173e sur 178 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.
Le pouvoir de Bachar al-Assad qui a succédé à son père Hafez en 2000 a méthodiquement réprimé toute voix dissidente. Depuis le début en 2011 de la guerre en Syrie déclenchée par la répression brutale de manifestations prodémocratie, plus de 100.000 personnes ont péri dans les prisons syriennes, notamment sous la torture, estimait en 2022 l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).
J'avais l'habitude de la voir pour des visites d'une heure et demie, et chaque mot était surveillé. Ahd al-Mallouhi, mère de Tal al-Mallouhi
Tal al-Mallouhi est la petite-fille d'un ancien ministre syrien qui avait été en poste sous le président Hafez al-Assad. Condamnée initialement à cinq ans de prison, elle y est restée dix années de plus. Les autorités ne l'ont jamais relâchée à l'issue de sa peine.
"J'avais l'habitude de la voir pour des visites d'une heure et demie, et chaque mot était surveillé, raconte sa mère. La famille va avoir besoin de temps pour se reparler" et se reconstruire.
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