Le viol comme arme de guerre, ce n'est pas nouveau...
Je l'ai vraiment vu en Libye. Là encore, c'était très difficile à documenter. Il n'y avait pratiquement pas d'écrit, pas de témoignages... Les ONG elles-mêmes étaient très circonspectes, voire méfiantes.
Or le gouvernement libyen vient de passer un décret reconnaissant que les
femmes violées sont des victimes de guerre au même titre que d'autres victimes de blessures ou de tortures, et qu'elles ont le droit d'être indemnisées, de percevoir une pension, d'avoir accès à des soins médicaux et psychologiques, d'avoir des formations, des prêts, un logement... Les enfants issus des viols, eux aussi, seront protégés. Trois ans après, quel chemin parcouru dans un pays comme la Libye ! Ce n'est qu'un décret, car
la situation chaotique dans l'Etat libyen fait que la loi n'est pas une priorité. Mais il est signé et une commission est en train de se mettre en place pour prendre des dispositions. Des Syriennes m'ont parlé de ce décret. Elles savent désormais que la femme violée n'est pas une coupable, mais une victime. Psychologiquement, c'est extrêmement important.
En voulant protéger les victimes, ne risque-t-on pas de les stigmatiser ?
Le décret, dès les premières lignes, garantit l'anonymat aux victimes de viol par Kadhafi, ses fils ou pendant la révolution. C'est une condition essentielle, sinon, aucune ne viendrait réclamer quoi que ce soit. Aujourd'hui, les quelques ONG qui tentent d'approcher les victimes dissimulent leur vocation sous des noms comme "comité de la femme et de l'enfant".
Pour que les aides dont les victimes bénéficieront ne les trahissent pas, la commission de soutien devra travailler avec beaucoup de subtilité. Le gouvernement libyen a même demandé l'assistance de la France, pour consulter des juristes et des psychologues ayant déjà travaillé sur ces questions.
D'où vient cette prise de conscience ?
Des femmes courageuses se sont fait porte-parole. Elles ont influencé le gouvernement libyen, qui compte quelques personnes éclairées, comme le ministre de la Justice El-Magari.
A sa modeste mesure, mon livre
Les proies: Dans le Harem de Khadafi, traduit en arabe, a été un choc pour la société libyenne. En février 2013, des femmes ont manifesté sur la place Verte, brandissant des posters reproduisant la couverture de mon livre.
En Syrie, la situation n'est-elle pas différente ?
Kadhafi avait fait du viol une arme de pouvoir, avant d'en faire une arme de guerre, pendant la révolution. Ce n'est pas le cas en Syrie. Là, les services secrets sont connus pour être des tortionnaires particulièrement durs et sophistiqués. En 2012, un rapport d'Amnesty International publiait la liste des
31 tortures utilisées dans les geôles syriennes. J'ai retrouvé ce que m'ont dit les femmes violées : isolement, enfermement dans des cellules trop petites, le bâton électrique dans le vagin...
Les rebelles utilisent-ils, eux aussi, l'arme du viol ?
Je ne sais pas. Il y a des exactions ; il y a des enlèvements de femmes alaouites pour les échanger contre des prisonniers ou d'autres femmes ; il y a incontestablement des violences, mais je n'ai jamais entendu parler de viols. Peut-être y en a-t-il, mais mon enquête ne l'a pas montré.