Syriennes, enceintes et réfugiées au Liban

Prises dans la tourmente de la guerre civile, elles n'échappent à personne : selon l'organisation internationale des droits humains Human Rights Watch, dans un rapport publié le 4 juillet 2014, les femmes de Syrie sont victimes aussi bien du régime que des groupes rebelles. En trois ans de conflit, elles ont subi des arrestations arbitraires, des tortures, des viols, du harcèlement et des discriminations, perpétrés par tous les belligérants, sans exclusive. Elle forment aujourd'hui le gros des bataillons de réfugiés en attente dans les pays voisins. Parmi elles, des femmes enceintes sont prises en charge par le HCR, au Liban, à quelques kms de la frontière avec la Syrie. Reportage à Baalbeck
 
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Syriennes, enceintes et réfugiées au Liban
Le docteur Ibtihaj Khalil reçoit une Syrienne venue pour un test de grossesse ©Melinda Trochu
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Dans le centre de Baalbeck, à quelques kilomètres de la Syrie, le HCR et International Medical Corps (soutenus par l’instance sunnite Dar el Fatwa) reçoivent dans un de leurs centres les réfugiées syriennes enceintes.

C’est le docteur Ibtihaj Khalil qui s’occupe des futures mamans. Environ 200 femmes par mois (à 90% des Syriennes) viennent pour des consultations. « Elles sont de toutes conditions sociales mais la plupart sont pauvres ou vulnérables », détaille Ibtihaj Khalil qui travaille dans ce centre depuis dix-sept ans.

« Depuis le début de la guerre en Syrie, j’ai 50% de travail en plus dû aux réfugiées. Les femmes connaissent maintenant le service. Elles sont souvent anxieuses et déprimées. Elles viennent entre femmes, avec les sœurs, mères, belles-mères. Mais les maris sont rares, ils ont honte de venir ici. »

L'ombre des morts

Au centre, les femmes consultent dès le début de la grossesse, parfois même pour faire un test. « Les réfugiées syriennes n’ont pas de problème majeur pendant leurs grossesses. Le problème c’est qu’elles aiment avoir beaucoup d’enfants. Même si elles n’en ont pas les moyens, elles aiment être enceintes. Il y a cette idée de repeupler la Syrie car beaucoup de gens sont morts » raconte le docteur. « Les plus jeunes filles que je vois dans mon cabinet ont treize ans. En moyenne, mes patientes ont 3 à 4 enfants mais il y a parfois des familles de dix, douze membres. »

Syriennes, enceintes et réfugiées au Liban
L’hôpital Rayan a enregistré 268 naissances de janvier à mars 2014 - ©Melinda Trochu
Mona Kiwan, chargée de santé au HCR, explique : « Les femmes ont droit à quatre visites et deux échographies payées par le HCR. Elles n’ont qu’une franchise de 3000 livres libanaises (soit 1€50) à débourser par consultation. » Pour les cas de grossesses difficiles, le HCR étudie au cas par cas. « On voit souvent des problèmes d’infection urinaire notamment dus au manque d’eau potable. »

En février dernier, le HCR a enregistré 1883 bébés au Liban dont 560 dans la Bekaa. « Nous avons peu de mortalité infantile mais par contre il y a beaucoup de prématurés à cause des conditions de vie. Il y a aussi des problèmes d’infections et de consanguinité » explique Mona Kiwan. Au centre, l’équipe accueille des soins prénataux et postnataux et fait également de la prévention. Tous se félicitent « que de plus en plus de femmes demandent une contraception : pilule, stérilet ou préservatifs. »

Si les consultations sont quasi gratuites, le transport, lui, est à la charge des femmes qui viennent parfois de camps excentrés. Pour celles qui ne peuvent se déplacer, des cliniques mobiles avec des sages-femmes vont dans les camps informels. « Des accouchements dans les camps, ça arrive encore un peu mais on fait beaucoup d’information auprès des femmes » assure Mona Kiwan.

Dans la Bekaa, le HCR travaille en partenariat avec 18 hôpitaux dont l’hôpital Al Rayan depuis mai 2013. Situé à dix minutes du centre de Baalbeck, il accueille en ce jour d’avril Zahra, 29 ans, qui vient d’accoucher de son 8ème enfant.

Syriennes, enceintes et réfugiées au Liban
Le docteur Ali Chafic Abdul Sater est le directeur général de l’hôpital Al Rayan et le chef du service obstétrique. Il regrette que ces réfugiées syriennes restent sourdes aux possibilités de contraception © Melinda Trichu
"Les soins sont meilleurs ici"

La petite Racha est la première de la famille à naître au Liban. Exténuée après sa césarienne, Zahra raconte entourée des femmes de sa famille : « J’ai eu trois consultations avant mon accouchement. Ça s’est bien passé au Liban mais j’aurais préféré accoucher en Syrie car c’est ma patrie. » Arrivée depuis six mois de Hama, elle se félicite tout de même : « Les soins sont meilleurs ici. »

Sur le lit d’à côté, dans sa robe typique et sous son voile à carreaux rose et gris, Hayat, 22 ans, vient de donner naissance à son deuxième garçon. La jeune femme originaire d’Alep a eu quatre consultations avant son accouchement. Le nouveau-né, souffrant d’un problème cardiaque, est aux soins intensifs. Le docteur Ali Chafic Abdul Sater, directeur général de l’hôpital et chef du service obstétrique, explique : « Le HCR va payer 75% des soins vu les complications. Le reste est souvent payé par des ONG ou le Hezbollah. Cela dépend des cas médicaux et du statut social des réfugiées. »

A l’hôpital Rayan, les accouchements concernent désormais à 75% des Syriennes. Les mamans restent seulement 24 heures à l’hôpital avant de retrouver leur appartement ou leur tente. Dans un sourire, Hayat assure qu’elle ne veut pas « un autre enfant tout de suite. » Mais le docteur affirme : « Là, elle vient d’accoucher donc elle dit qu’elle ne veut pas d’autre enfant. Mais revenez dans 24 heures et elle en voudra. »

Il ajoute, désemparé : « Ces femmes n’aiment pas la contraception et refusent même la ligature des trompes après de nombreuses grossesses. J’ai vu une patiente dont c’était la neuvième césarienne. C’est extrêmement risqué ! Culturellement, il y a aussi cette idée qu’elles garderont leurs maris si elles leur donnent beaucoup d’enfants… »
 

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Dans le cabinet du docteur Ibtihaj Khalil, des moulages montrent l’évolution de la grossesse © Melinda Trochu