Tampons, coupes menstruelles et choc toxique : la mort d'une adolescente en Belgique relance le débat

Maëlle, 17 ans, est morte à la suite d'un choc toxique déclenché par le port d'un tampon hygiénique, et à la suite d'une erreur de diagnostic. C'était le jeudi 9 janvier 2020 à Charleroi, en Belgique. Le syndrome du choc toxique ou SCT, est provoqué par une bactérie présente chez 4% des femmes. Cette maladie est difficilement détectable, faute d'études et de statistiques. Un manque lié au tabou persistant sur les règles.
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tampon et coupe
Le syndrome du choc toxique, une maladie rare et dont le diagnostic est difficile. Le CST est provoqué par l'usage de tampons ou de coupes menstruelles de manière prolongée, ce qui favorise les bactéries. Elle peut être mortelle ou entraîner l'amputation de membres.
©Patricia Moraleda/Pixabay
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"Notre Maëlle (...) vient de nous quitter en moins de 48 heures, dû à ce choc toxique et à ses tampons, elle avait été vue 5 heures après les premiers symptômes par un médecin de garde. C’est inacceptable. Maëlle connaissait le danger et était doublement vigilante. Ça ne l'a pas épargnée". Voilà les mots des parents de Maëlle, peu après sa mort, le 9 janvier 2020.
facebook parents gaelle
La jeune femme de 17 ans a été victime d’un choc toxique, une maladie causée par l’utilisation de tampons hygiéniques. Elle était rentrée de la salle de sport trois jours plus tôt avec de la fièvre et souffrant de nausées. Le médecin de garde prense qu'elle a contracté une grippe gastro-intestinale. Mais les symptômes perdurent et s'aggravent le lendemain. La mère de Maëlle appelle une ambulance, qui l'emmène à l'hôpital où le premier diagnostic est maintenu. C'est dans un second hôpital, où elle a été transférée en soins intensifs, qu'on lui diagnostique un choc toxique. Il est déjà trop tard, elle décède peu de temps après. Laurence, sa maman, souhaite désormais informer le plus possible "pour que le décès de Maëlle, puisse en éviter d’autres", comme elle l'a confié à la RTBF.
 
Le "SCT" : le syndrôme du choc toxique

Le syndrôme de choc toxique (SCT) est une infection généralisée qui se propage dans l'organisme par voie sanguine. Le plus souvent, il a pour origine une bactérie, notamment la bactérie S. aureus. Cette souche de bactérie est une souche particulière de staphylocoque doré. Elle est présente naturellement dans le vagin de 4% des femmes. (10 à 40 % des êtres humains sont porteurs de staphylocoque doré et elle n’est habituellement pas dangereuse, ndlr). Parmi ces 4 %, seule une femme sur dix ne dispose d’aucun anticorps pour l’éliminer. C’est ce 0,4 % qui est à risque.

Ces chocs entraînent des diarrhées, des vomissements, de la fièvre et peut entraîner la mort. Il est donc recommandé de changer son tampon ou sa coupe menstruelle toutes les quatre à cinq heures, et de ne surtout pas les garder la nuit, pour éviter l'accumulation de bactéries. Il est également conseillé de faire bouillir la coupe après chaque utilisation. Un principe de précaution que plusieurs fabricants de coupes menstruelles ont décidé de mettre en application.

Composition des tampons ou mauvais usage ?

Une femme qui choisit le tampon comme protection hygiénique va en utiliser près de 11 000 au cours de sa vie. Comme le montre le documentaire Tampon, notre ennemi intime réalisé en avril 2017 par Audrey Gloaguen, la plupart des protections périodiques comportent des résidus toxiques, et pourtant "il n'existe à ce jour aucune étude sur l'impact des tampons sur la santé des femmes". L'équipe de journalistes a mené l'enquête auprès d'experts mondiaux ainsi que de lanceurs d'alerte "pour que ce produit facteur d'émancipation ne devienne pas un symbole de régression", comme le dit la voix-off du film.
 
Dans une étude réalisée en 1994, Philip Tierno, un médecin qui travaille sur le SCT depuis de longues années, préconisait déjà l’utilisation de tampons 100 % coton (c’est-à-dire la plupart des tampons bio) au lieu des autres tampons (composés de viscose, une fibre artificielle). Selon lui, la présence de fibres synthétiques dans les tampons offrirait un milieu favorable à la production de la toxine TSST-1.

"Le SCT a sans doute fait des ravages dans les années 1990 dont on ne sait strictement rien. Les victimes de la maladie le confirment d’ailleurs. Souvent, elles ont erré de service en service, sans que personne comprenne de quoi elles souffraient. Ce qui est très grave, car plus cette maladie est diagnostiquée tôt, plus on a de chance d’en guérir sans séquelle", explique Elise Thiebaut autrice de Ceci est mon sang (Editions La Découverte).

Et de nous rappeller cette affaire remontant à 1979, provoquée par la mise sur le marché d’un tampon super absorbant par Procter et Gamble sous le nom de Rely, et qui avait causé la mort de 38 personnes après 813 cas de syndrome du choc toxique.

L'écrivaine dénonce le fait qu'en France il n'existe pas d'obligation de signalement au niveau national des cas de syndrôme toxique, "Je connais des cas de personnes décédées sans même que le SCT soit diagnostiqué, on ne sait pas exactement combien il y a de cas, mortels ou pas. Ce qu'on sait, c'est qu'il n'y a que 10% des cas de SCT qui se soldent par une amputation ou par un décès".

Dans un rapport intitulé "Le syndrome du choc toxique, mythe ou réalité?" publié en octobre 2018, le Pr. Raudrant, gynécologue obstétricien à Sainte-Foy-lès-Lyon, évoque clairement l’impact des tampons sur la muqueuse vaginale, "causant des inflammations répétées susceptibles d’affecter la flore vaginale et par conséquent la santé gynécologique". Selon lui, "la prévalence de cette infection gravissime est évaluée aux États-Unis à 1 sur 124 000 individus par année, entre treize et vingt-quatre ans. On suppose, faute de données hexagonales, qu’il en va de même en France".

Les cups aussi ...

A la suite du débat lancé à la suite du récent décès de Maëlle en Belgique, une jeune femme a décidé de prendre la parole pour témoigner mais aussi et surtout pour informer.

Sandrine Graneau a 36 ans, elle est la mère de trois enfants. Victime d'un choc toxique en juin 2019 provoqué par une coupe menstruelle, elle a dû se faire amputer des deux jambes ainsi que d'une partie des doigts de la main. Elle raconte son histoire dans Le Parisien. La jeune femme a créé une association baptisée Dans mes baskets, pour justement fournir le maximum d'informations et de prévention concernant l'usage des tampons hygiéniques ou des cups menstruelles et du risque de SCT.
 
Je pense à toutes celles qui comme moi y ont laissé des doigts, des mains, des bras, des pieds ou des jambes.
Sandrine Graneau, victime de SCT
"Quand j’entends que l’infection est liée à un mésusage des cups et tampons par les femmes, cela me met hors de moi, tant les informations que l’on nous donne varient. Prenez les cups, selon le fabriquant, il est écrit sur les notices que l’on peut les garder 4, 6, 8 ou 12 heures ! Comment on s’y retrouve là-dedans ? Pourquoi un temps d’utilisation clair et net n’est-il pas indiqué en gros ? Après tout, on le fait bien sur les paquets de pâtes", confie-t-elle au quotidien. 
 
Dans un message publié sur sa page Facebook, elle réagit à la disparition de la jeune Maëlle : "Personnellement je pense à la souffrance endurée par la famille de cette jeune fille, mais aussi aux familles des autres femmes qui n'ont pas survécu au choc toxique. Je pense à toutes celles qui s'en sont sorties indemnes, mais traumatisées. Je pense à toutes celles qui comme moi y ont laissé des doigts, des mains, des bras, des pieds ou des jambes."

Une industrie aveugle et sourde

A ce jour, le choc toxi-infectieux n’est pas classé comme une maladie à déclaration obligatoire. Conséquence : les scientifiques manquent de statistiques et d’information. On estime à une vingtaine le nombre de cas par an en France, un par an en Belgique.
 
Cette industrie n’a pas jugé bon de mener des études approfondies et transparentes sur l’impact de leurs produits pour la santé des femmes.
Elise Thiebaut
L'agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié lundi 20 janvier son rapport concernant les protections féminines. Selon ce rapport, qu'il s'agisse de tampons ou de coupes menstruelles : "toutes les protections intimes internes présentent un risque rare mais grave de choc toxique". "L'hypothèse d'un lien entre le risque de SCT menstruel et la composition de ces produits ou la présence de substances chimiques résiduelles a été émise par les experts", explique l'agence. Elle souligne cependant, qu'"aucun élément de la littérature scientifique ou les résultats de cette saisine ne permettent à ce jour de confirmer ou d'infirmer cette hypothèse".  Les chercheur.e.s de l'Anses ont néammoins appellé les fabriquants de tampons et de coupes à délivrer une information plus claire, notamment sur la durée maximale du port de ces protections.

Selon l'une des chercheures qui a coordonné l'expertise sur la sécurité des produits à l'Anses, Aurélie Mathieu, pharmacienne toxicologue, les recherches ont mis en évidence un certain nombre de substances chimiques dans les protections féminines, sans montrer de risques sanitaires liés à celles-ci. L'experte juge cependant anormale la présence de toutes ces substances, tout en préconisant un port maximal de 4 heures. Selon elle, l'information auprès des jeunes filles pourrait aussi passer par le médecin traitant.
 

Elise Thiebaut n'hésite pas, elle, à pointer du doigt l’industrie des protections périodiques (qui représente 26 milliards d’euros par an) : "Alors que l’on découvre l’importance du microbiote vaginal pour la santé sexuelle et reproductive, alors que les fabricants refusent encore de donner la composition de leurs tampons malgré une pétition signée par plus de 300 000 personnes ("Rendre visible la composition des tampons", pétition en ligne aujourd’hui fermée, ndlr), alors qu’on y a trouvé de la dioxine, du glyphosate et autres résidus toxiques susceptibles d’être des perturbateurs endocriniens, cette industrie n’a pas jugé bon de mener des études approfondies et transparentes sur l’impact de leurs produits pour la santé des femmes."

Pour elle, "le faible investissement scientifique sur ces sujets montre le peu de cas qui est encore fait de la santé des femmes quand des intérêts industriels sont en jeu".

Alors voici quelques recommandations : en cas de fièvre, d'éruption cutanée, de douleurs abdominales, de vomissements ou de diarrhée pendant les règles, il faut immédiatement enlever son tampon ou sa coupe, se rendre au plus vite aux urgences et alerter soi-même le personnel médical, s'il ne semble pas assez informé, qu’il y a un risque de SCT.