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Entourée de ses deux sœurs, Habiba Ahmat prépare la rentrée scolaire. Avec enthousiasme, elle range délicatement ses nouveaux cahiers et stylos dans son sac à dos. Cette élève de terminale scientifique met toute les chances de son côté pour obtenir le baccalauréat à la fin de l'année scolaire. "Ces fournitures vont me permettre de bien travailler, je voudrais devenir infirmière pour aider les malades", lance la jeune femme, tout sourire. Une ambition qui a failli se briser en classe de cinquième, le jour où elle a eu ses premières règles. "Mes camarades se sont moqués de moi parce que mes habits étaient tachés de sang. J'ai eu tellement honte que je ne voulais plus aller à l'école", se rappelle Habiba, tirant nerveusement sur la fermeture de son cartable. Avant d'ajouter : "Finalement ma mère m'a encouragée à retourner au collège et maintenant je ne suis plus gênée d'aller en classe."
En Afrique, le Fonds des Nations unies pour l'enfance estime qu'une fille sur dix manque un à trois jours d'école par mois en raison de ses menstruations. S'il n'existe aucune statistique officielle au Tchad, le corps enseignant constate des cas d'abandon dans des écoles souvent dépourvues de latrines, d'eau potable et de savon. "Les filles ne sont pas à l'aise pour se changer. Les garçons se moquent d'elles et elles ne reviennent plus en classe. J'ai été témoin de quelques cas d'abandon à N'Djamena, mais c'est plus fréquent encore en province", rapporte Daniel Yerima Djaoubé, enseignant au collège. Si ce professeur de français avoue faire "quelques sensibilisations" dans sa classe pour expliquer "le fonctionnement naturel du corps des femmes", il estime que cet apprentissage doit être réalisé en famille. "Il faut que les parents en parlent à leurs enfants pour éviter les surprises et les ignorances", argumente-t-il.
Il y a une gêne culturelle à parler de sexualité, donc des cycles menstruels, en famille au Tchad.
Sandrine Naguertiga, initiatrice de la campagne "Réglée comme elle"
Mais même au sein de la famille, le sujet des menstruations est encore largement tabou, contraignant certaines à se débrouiller seules à l'arrivée de leurs premiers cycles. Les adolescentes utilisent alors des tissus ou des feuilles en période de règle, faute de pouvoir s'acheter des protections jetables vendues deux euros en moyenne en boutique. "Il y a une gêne culturelle à parler de sexualité, donc des cycles menstruels, en famille au Tchad", explique Sandrine Naguertiga initiatrice de la campagne "Réglée comme elle" lancée avec succès sur les réseaux sociaux en 2017. Objectif : briser le silence en publiant en ligne des témoignages de professionnels de santé ou d'hommes et de femmes décomplexés. "Dans certaines communautés, une femme ne peut pas faire à manger lorsqu'elle a ses règles", ajoute-t-elle. Souvent, des tantes ou des amies informent les jeunes filles sur les cycles menstruels plutôt que les mamans. Mais des cas encore trop rares juge la militante.
Comme Sandrine Naguertiga, l'association Tchad Helping Hands s'est lancée le défi de briser les tabous. Son crédo : la fabrication de protections périodiques lavables. Son atelier de couture - tout naturellement appelé "Mon intime" - est installé depuis six mois au quartier Klemat, où les cliquetis des machines à coudre se mêlent aux rires des adolescentes. Car ici, ce sont les jeunes femmes qui fabriquent elle-mêmes leurs serviettes hygiéniques en tissu, sous l'oeil expert d'un couturier. "Pour fabriquer une couche, il faut du tissu éponge, du tissu plastifié qui va éviter les fuites et du tissu doux pour assembler le tout", introduit Aboubakar Hassan au début du cours qui compte ce jour-là une dizaine de filles. Chacune est installée devant une machine à pédale et suit les consignes étape par étape, dans une ambiance décontractée. Loin des tabous.
Toutes sont venues volontairement et gratuitement après avoir été démarchées par les membres de l'association au lycée. "J'avais vraiment envie d'avoir des protections qui ne me coûtent rien et que je puisse réutiliser plusieurs mois de suite", détaille Zara, un bout de tissu vert dans une main, une aiguille dans l'autre. Les yeux rivés sur sa machine à coudre, l'adolescente assemble les différents tissus qui compose sa protection périodique avec beaucoup de concentration. Et après une journée de formation, dernière étape : la fixation des pressions. "C'est comme des boutons qui vont attacher la couche sur votre dessous", explique sans gêne le couturier. "C'est vraiment très facile à faire et ça me semble très confortable par rapport à la mousse que j'utilise d'habitude", se réjouit Amina, voile blanc lui couvrant la moitié du visage.
Des filles nous ont fait part de problèmes vaginaux quand elles utilisent des protections non adaptées.
Marina Adef Oumar Idriss, responsable de projet "Mon intime"
Chaque adolescente repart avec un kit composé de quatre serviettes hygiéniques lavables utilisables pendant trois ans. "Elles peuvent les emmener facilement à l'école, c'est très discret", explique Marina Adef Oumar Idriss, responsable de projet à Mon intime. Cette féministe de 32 ans explique que le prototype de protection périodique lavable mis au point par le couturier a été examiné et validé par un gynécologue tchadien. "Des filles nous ont fait part de problèmes vaginaux quand elles utilisent des protections non adaptées. C'est aussi l'une des causes qui explique que certaines filles préfèrent rester à la maison plutôt que d'aller à l'école", commente Marina Adef Oumar Idriss. Et de conclure : "Avec ce kit, les filles peuvent être à l'aise en classe." Si l'association fonctionne pour le moment sur fonds propres, elle a quand même amélioré le quotidien de 400 jeunes femmes à N'Djamena en distribuant ses kits et espère en faire autant dans les 23 régions du pays avec l'aide de partenaires.
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