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"Mais je vais mourir et vieillir", lance Marie avec le sourire. "Hélas Marie non, tu n'as pas eu le temps de vieillir", rétorque Nadine Trintignant en voix off.
Dès les premières images, le film - diffusé en direct le 26 janvier sur la chaîne Arte et en ligne et en replay jusqu'au 25 avril - évoque la fin tragique de l'actrice. "Comme tant de femmes battues, tu as reçu un premier coup. Quand tu as voulu quitter cet homme, il s'est acharné à te détruire, à gommer ton si beau visage, à t'arracher à la vie", paroles d'une mère à son enfant disparu, bien trop tôt, dans un acte de violence extrême.
Tes rêves brisés nous fait remonter le fil du parcours de la comédienne : archives, extraits de films, de coulisses de tournages et de répétitions. On (re)découvre l'envers du décor, l'intimité d'une actrice à l'énergie animale, sensuelle, à la fois forte et si fragile, qui croque la vie et le cinéma à pleines dents.
Nadine Trintignant explique qu'elle ne voulait pas qu'on garde pour seule image de sa fille celle d'une femme battue. A 87 ans, la metteuse en scène a lâché le métier il y a dix-huit ans, depuis la mort de Marie, malgré sa passion pour le cinéma. "Je le regrette aujourd'hui", confie-t-elle à l'AFP, "J’adorais faire du cinéma". "Les cinq derniers films que j’ai faits, je les avais écrits et tournés avec Marie", raconte-t-elle. Après, "j'ai dit, je ne vais faire qu'écrire, je ne vais pas tourner".
Élevée par une mère cinéaste et un père acteur, Marie Trintignant rêve très tôt de devenir actrice, même si elle prétend, pince-sans-rire, dans une interview, avoir hésité entre "vétérinaire et courtisane". Elle fait ses premiers pas devant la caméra à 11 ans avec son père dans Défense de savoir, réalisé par sa mère. "Qu'est-ce-qu'elle joue bien, qu'est-ce-qu'elle est douée !", s'enthousiasme son père "Elle joue comme Humphrey Bogart !".
A 17 ans, elle crève l'écran dans le rôle de Mona aux côtés de l'acteur disparu Patrick Dewaere, dans Série noire d'Alain Corneau, son beau-père. "Je me jetais dans tout, prête à mourir à chaque prise parce que je n'avais pas de métier, parce que j'avais Patrick [Dewaere] en face qui donnait tellement qu'on ne pouvait pas être neutre", raconte-t-elle. L'émotion nous gagne à la vue des rushs des scènes avec ces deux écorchés vifs, aux destins si différents mais aussi tragiques.
L'actrice apprend au fil des films à mettre de la distance. Avec l'ami de la famille, Claude Chabrol, tourner dans une ambiance décontractée lui fait le plus grand bien. "Il m'a fait comprendre que dans le ludisme on allait plus loin", commente-t-elle. En larmes, dévastée par la vie, désespérée, lors d'une performance d'actrice digne d'une Romy Schneider dans L'important c'est d'aimer, elle incarne Betty, une femme alcoolique en rupture avec sa famille. Prise sous la protection de Laure, une habituée du bistrot au nom tristement symbolique "Le Trou", incarnée par la magnifique Stéfane Audran. Ses discussions avec Laure l’amènent à replonger dans son passé.
Outre Chabrol et sa mère, Marie Trintignant sera dirigée par les plus grands : Ettore Scola, Pierre Salvadori, Michel Deville.
En 1999, la mère et la fille écrivent à quatre mains le scénario de Victoire ou la douleur des femmes, qui raconte la vie d'une fille- mère en 1939, médecin (gynécologue- accoucheur) à Paris dans les années 50 et féministe 20 ans plus tard. Avec pour toile de fond la lutte pour le droit à l'avortement et l'arrivée de la pilule. "Nous avions envie d'écrire un film engagé", commente Nadine Trintignant. "Elle, elle s'est vraiment battue pour ce combat-là, on ne peut pas défendre quelque chose sans savoir ce qu'il s'est passé", ajoute Marie Trintignant sur le plateau d'un journal TV.
"C'est un documentaire très joyeux et uniquement sur la profession, parce qu'elle ne voulait pas d’intrusions dans sa vie privée", décrit-elle. Les quatre fils de Marie, nés de quatre pères différents, sont pudiquement évoqués.
Avec pudeur également, la réalisatrice aborde la mort de sa fille Pauline à seulement neuf mois. Marie avait alors huit ans. "Tu aimais la prendre dans tes bras, tu aimais rire avec elle. Et puis un jour sombre à Rome, impossible de te dire, ta soeur est morte", dit-elle, en voix off. "Je mettrais longtemps à comprendre que dans un couple, quand on perd un enfant, on n'attend plus grand chose de la vie", écrit Nadine dans un livre consacré à son premier époux, Jean-Louis, intitulé C'est pour la vie ou pour un moment, paru en novembre 2021. "C'est sur, on se dit 'J'aurais du mourir avant elle'", confie Marie Trintignant dans un entretien.
Tout au long du documentaire, se succèdent des extraits d'interview de la comédienne entrecoupés des témoignages de réalisateurs mais aussi d'acteurs ayant partagé l'affiche avec Marie Trintignant. Apparition d'un autre fantôme, celui de Guillaume Depardieu, lui aussi disparu, avec qui Marie a tourné trois films, dont Comme elle respire. "Elle n'est pas chiante comme toutes les autres comédiennes, elle est jolie, elle joue bien et en plus elle sent bon", lance-t-il avec la gouaille qui le caractérisait. Sur un plateau de télévision, Jean-Pierre Marielle, qui lui donne la réplique au théatre dans Le retour d'Harold Pinter, revendique sa totale admiration pour l'actrice et la femme "exceptionnelle", en reconnaissant être "son groupie".
"Moi j'aime bien voir les gens, j'en choisis un ou deux et je joue pour eux", confie Marie après avoir regardé le public à travers le rideau, juste avant une représentation où elle partage la scène avec son père. Puis, comme une parenthèse enchantée, on déguste ce moment magique : un tango joyeux et amoureux entre Marie et François Cluzet, son compagnon de l'époque, et père de son deuxième enfant, dans la pièce qu'ils ont écrite ensemble Il n'y a pas que les chiens qui s'aiment.
Faire ce documentaire "m’a apporté de voir Marie rieuse", raconte Nadine Trintignant. "Je ne l’avais pas vue depuis très longtemps, même en film".
A aucun moment, même s'il hante nos esprits, le nom de Bertrand Cantat n'est prononcé. "Il n'est pas question pour moi de lui pardonner. Le vrai pardon, c'est l’oubli de ce que l’on vous a fait de mal. Je n'oublierai jamais, je ne peux pas, donc je ne pardonnerai jamais", affirme à l'AFP Nadine Trintignant. "Je n’avais jamais haï personne de ma vie, je ne connaissais pas la haine. Et la haine est quelque chose d’atroce à ressentir, qui vous détruit, qui vous fait mal. Maintenant je la connais", ajoute-t-elle.
Dans la nuit du 26 au 27 juillet 2003 dans leur chambre d'hôtel de Domina Plaza de Vilnius en Lituanie où elle tourne un téléfilm sur Colette, une dispute éclate entre Marie Trintignant et son compagnon Bertrand Cantat. Il la frappe à plusieurs reprises, "une vingtaine de traces de coups est apparente". Il n'appelle pas les secours, mais après quelques heures, décide de joindre au téléphone Vincent, le frère de Marie. Ce n'est qu'au petit matin qu'elle sera emmenée à l'hôpital universitaire de Vilnius dans un coma profond. Rapatriée en France, elle meurt le vendredi 1er août 2003 au lendemain d'une ultime opération.
Le procès se tient du 16 au 29 mars 2004 à Vilnius. Bertrand Cantat est condamné à huit ans de réclusion pour "meurtre commis en cas d'intention indirecte indéterminée". Détenu à Vilnius puis transféré dans une prison de Toulouse, il obtient "pour bonne conduite" sa liberté conditionnelle, en 2007, puis totale en 2010. Nadine Trintignant s'oppose à cette libération et envoie une longue lettre au juge d'application des peines, ainsi qu'au Figaro. "Ainsi que mes petits-enfants, je reste non seulement dévastée par la mort de Marie, mais je garde le souvenir profondément blessant des conditions dans lesquelles M. Bertrand Cantat a tenté de justifier son comportement en commençant par imputer à ma fille la responsabilité de sa propre mort, et en n'hésitant pas à salir sa mémoire. Enfin, je crains que [sa] libération très anticipée n'apparaisse comme tristement significative pour tous ceux qui luttent pour que soient enfin justement sanctionnées les violences faites aux femmes.", écrit-elle.
Après la dissolution de son groupe Noir Désir en 2010, le chanteur fait un retour progressif à la scène, au travers de participations en duo, avec d'autres artistes, ou de collaborations théâtrales. Chacune de ses apparitions publiques provoque la polémique ainsi que des rassemblements de colère.
"J'apprécie les maires qui ont refusé qu'un meurtrier vienne dans leur ville", réagissait de son côté Nadine Trintignant, dans l'émission Stupéfiant sur France 3 en mars 2018.
L'ancienne épouse de Bertrand Cantat, Krisztina Rády, qui l'avait soutenu lors de son procès, se suicide, chez elle, alors que le chanteur est présent dans leur maison familiale à Bordeaux, en 2010. En 2017, dans une enquête publiée par le journal Le Point des témoignages anonymes accusent le chanteur d'avoir multiplié des violences conjugales depuis plusieurs années, notamment contre Krisztina Rády. L'association féministe Femme et libre dépose une plainte, qui sera classée sans suite. Sa présidente, l'ancienne avocate Yael Mellul signe avec Lise Bouvet un livre Intouchables ? dans lequel elle dénonce une omerta autour de Bertrand Cantat.
Contacté par l'AFP, Universal (qui possède le catalogue de Noir Désir et avait sorti "Amor Fati", album solo de Cantat en 2017 dont les dernières dates de concerts avaient été annulées) a refusé de commenter la sortie du documentaire.
Aujourd'hui, un square porte le nom de Marie Trintignant dans le 4ème arrondissement de Paris. Il existe également une rue Marie Trintignant à Brest et une allée à son nom à Rezé en Loire-Atlantique.
Mettant au premier plan le jeu incandescent de l'actrice, ce documentaire révèle une femme à fleur de peau, simple, bourrée de charme, d'intelligence et d'humour. On ne veut plus quitter plus ce regard vert d'eau et malicieux. Sa voix, légèrement rauque qui nous berce tout au long de l'évocation de son souvenir, transperce le voile entre la vie et la mort et résonne avec celle de sa mère, plus grave et mélancolique, comme dans un duo lié à jamais dans l'éternité.
"Je sais bien que rien ne me rendra ma fille", écrivait Nadine Trintignant dans sa lettre. "Je pense à toi Marie et avec toi à toutes les femmes qui ont peur, peur de rester, de fuir et d'être rattrapée", conclut-elle. Avec ce film, c'est une mère qui rend vie à sa fille sous forme de lettre d'amour, bien au delà de la mort.