Théatre : Aglaé, prostituée "riche, heureuse, libre"

Aglaé est une ancienne prostituée. A 70 ans, elle fait le bilan, sans complexe et dans un langage cru : elle a été heureuse, riche, et surtout, elle est restée libre. Le metteur en scène Jean-Michel Rabeux l’a rencontrée. Il en a fait une pièce de théâtre.
Image
Aglaé1
Jusqu'au 27 janvier 2017, la comédienne Claude Degliame prête sa voix à Aglaé (un pseudonyme... pour son fils) au théâtre du Rond-Point, à Paris.
©Alain Richard
Partager3 minutes de lecture

C'est un point de vue qui ne manquera pas d'heurter les "prohibitionnistes", partisans de la pénalisation de la prostitution, en particulier de ses clients. Aglaé, elle, se souvient qu’elle est devenue pute par choix, "parce que ça m’intéressait". Elle l’est restée parce qu'elle avait pris goût à la liberté que lui accordait son métier. 
A 70 ans, Aglaé prend encore quelques clients, parce qu'elle aime le rapport aux clients et parce que : "Ca me plaît de plaire. Pas de faire bander, ça c'est facile. Mais de plaire encore à mon âge."

Ce qui compte, c’est la liberté. Etre obligée, jamais !
Aglaé

Aglaé s'emporte avec autant de virulence qu'autrefois contre tout ce qui peut entraver sa liberté. Les maquereaux, la vie de famille, les flics... "Les flics ? Pire que les macs ! Ils ont tous les droits…" Et pourtant, son fils est gendarme. Par-dessus tout, elle déteste Najat Vallaud Belkacem, ancienne ministre des Droits des femmes, qui a appuyé la proposition de loi visant à pénaliser les clients de la prostitution, adoptée en avril 2016, à la suite des pays de l'Europe du Nord. Un texte qui vise surtout à protéger l'immense majorité des prostituées en France, venues d'ailleurs et forcées de se vendre par des proxénètes, souvent violents. 

► A lire aussi : notre dossier Combattre la prostitution

Nadia, "occupe-toi de ton c..."

Aglaé2
Pute par amour de la liberté, Aglaé se renfrogne en évoquant les macs, les flics, les législateurs.
©Alain Richard
"Ça me plaît d’être une pute ! J’aurais pas pu être bouchère, l’odeur de la viande me dégoûte. Pénaliser la prostitution, c’est comme si j’interdisais la viande parce que l’odeur me fiche la nausée," explique Aglaé d'un ton gouailleur et avec une mauvaise foi intransigeante. Ce qui compte, c’est la liberté. Etre obligée, jamais !

La relation entre une prostituée et son client est une relation entre adultes consentants, poursuit-elle. La prostituée ne force pas ses clients. Et, elle aussi, est consentante. Une opinion qui n'engage qu'elle. "La pute, si elle veut pas, elle a qu’à dire non. Encore faut-il qu’elle puisse. C’est pour ça qu’il faut être légale," démontre-t-elle implacablement. "On sait bien ce qu’ils feraient, les hommes, si les putes n’étaient pas là. On sait ce qu’ils feraient avec leur bite, et avec d’autres choses…" continue-t-elle.

Action !

Aglaé fut un temps un modèle du peintre Braque. Quand il s'en est aperçu - elle ne sait pas comment - son fils s'est étonné de voir le corps maternel exposé dans les musées. Aglaé, elle, n'en a jamais tiré un quelconque avantage. Car jamais elle ne s’est autant ennuyée avec un homme. "Quand tu es modèle, tu fais rien. T’es crevée, mais tu fais rien. Tu bouges pas, tu as froid, ça n’apporte rien." Au moins, dans le métier, "c’est toi qui fais, tu t’actives, tu sers à quelque chose". Pute, c’est comme kinésithérapeute, enchaîne-t-elle dans une comparaison hasardeuse : "Tu empoignes, tu malaxes, mais attention : le geste doit toujours être précis !"

L'amour et la prostitution

En "faisant la pute", Aglaé s'est découverte ; d'une demande d'un client à une autre, son penchant pour les jeux SM se sont révélés. Elle a aussi découvert l'amour, et même quelques grands amours - elle aime les hommes gentils et classe. Aglaé fait entendre une autre voix, qui bouleverse les certitudes et les préjugés sur le sexe, son usage et son commerce. Chez elle, les choix personnels transcendent le débat sur les valeurs morales et la nécessité de légiférer. Scandaleux ?

Tout le mois de décembre 2018 avec sur scène dans le rôle d'Aglaé, la comédienne Claude Degliame, au théâtre du Rond-Point, à Paris.