"Ragnagnas", "ragnoutes" ou "Les Anglais débarquent", mais aussi taxe tampon, "cup" menstruelle, ou syndrôme paralysant ... Tout, tout, tout, vous saurez tout sur les règles, et tout ce qu'on en dit, les tabous, les croyances, un spectacle à en pleurer de rire et de rage. Chattologie, avec seule en scène, la blogueuse Klaire fait grr.
Avant de lancer le spectacle, la comédienne, connue sous son nom de Youtubeuse,
Klaire fait grr, interpelle l'assistance :
"Eh Messieurs, levez la main s'il vous plaît !". Ce soir là, dans la salle du théatre du Café de la Gare à Paris, le public est étonnamment plus mixte qu'on s'y attendrait. Un petit quart est masculin, ce qui n'est déjà pas si mal, au vu de l'intitulé du spectacle :
"Chattologie (courte conférence sur la gestion des flux)".
Car, qui peut bien avoir envie de faire la démarche, de payer son billet pour venir écouter durant toute une soirée, parler de menstruations ? Et bien nous, bien-sûr les Terriennes, et évidemment des femmes, de tous âges, mais aussi donc quelques hommes, plutôt jeunes, le plus souvent "trainés" ici par leur petite amie. Mais quelle drôle d'idée comme sujet de pièce, comme si, nous, les femmes n'en n'avions pas assez de subir ces règles, pendant une bonne moitié de notre vie ?
L'une des réponses se trouve sans doute dans cette petite vidéo.
Ragnagnas ou vieille tante qui débarque
Qu'on se rassure, une fois le rideau levé, le ton est donné, et on comprend vite qu'il sera drôle et décapant, un peu comme le sont les produits chimiques et toxiques qui polluent nos protections hygiéniques, comme certain.e.s l'apprendront justement au cours du spectacle. Car tout y passe. Comment un jour, la petite-fille que l'on a toutes été, a ses premières règles... Le choc, les questions, des fois la fierté mais plus souvent la honte et l'incompréhension face à ce changement physiologique, l'irruption du sang
"qui tâche le jean".
"Un cauchemar qui va durer quarante ans ..." Soupirs dans la salle.
Pour nous raconter cette si "terrible" histoire des règles, la blogueuse Klaire fait grr, qui cette fois n'est plus seule face à sa caméra et ses millions de fans Youtube. La voici tout de noir vêtue, en chair et en os, affrontant le public, et jonglant avec les mots avec gourmandise, si, si. Pour l'occasion, Klaire va aussi endosser une blouse blanche, celle de la scientifique avertie, grosses lunettes noires glissant sur le nez, s'aidant d'un tableau de type PowerPoint, sur lequel des petits textes ironiques et décalés viennent ponctuer le monologue.
Alternativement, elle redevient la pré-ado (rôle qui lui a valu son succès sur la Toile), la voix plus aiguë, ses longs cheveux bruns relevés en queue de cheval, puis se la joue femme fatale, provocatrice et séductrice à coup de croisements de jambes, le ton sensuel et suave. Tout ça pour nous démontrer une chose : que les règles n'ont rien, mais alors rien à voir du tout avec le peu qu'on peut lire dans les livres de cours de SVT ou d'éducation sexuelle.
"Sans aucun doute, oui, ce spectacle est un acte militant. Je ne serai jamais montée sur scène si ce n'était pas pour quelque chose qui méritait d'être défendu", nous confie Klaire,
"Quelles que soient nos expériences personnelles, on se retrouve toutes dedans. Moi par exemple, je raconte l'histoire d'une petite fille qui est réglée très tôt, moi perso c'était l'inverse, mais peut importe. Les avoir très tard c'est aussi un problème. Le but c'était que chacun se reconnaisse dans ce qui est raconté."
Un #metoo des règles ?
Certain.e.s pourraient penser avoir fait le tour sur le sujet. Bien au contraire ! On a toutes, et bien-sûr tous, beaucoup à apprendre. Si chacune vit avec ses règles (ou pas car des femmes n'ont pas de règles, ce qui peut être dû à une maladie génétique, ou en raison d'autres causes, psychologiques ou alimentaires ), elle le vit différemment, avec son corps et sa propre histoire.
"Quand j'ai appris que l'âge des premières règles était passé de 16 ans à 12 ans et demi en quelques années, si on calcule, dans cent ans, la moyenne sera à 9 ans ! On découvre d'autres choses, par exemple, que l'on peut supprimer complètement les règles, de manière médicale, un sujet dont les médecins ne parlent pas beaucoup voir pas du tout. On apprend aussi beaucoup de choses sur la vision historique des règles." A Avignon l'été dernier, lorsque je distribuais les tracts, j'ai pu voir pas mal de réactions assez choquées. Certains trouvaient totalement aberrant de voir un spectacle sur ce thème.
Klaire, comédienne et blogueuse
Un #metoo des règles ?
"La parole se libère, oui mais attention nous vivons nous ici à Paris dans une bulle, un milieu dans lequel le sujet n'est plus tabou, mais dans d'autres contextes et d'autres lieux, on se rend compte qu'il y a encore beaucoup de travail. J'ai donné des représentations du spectacle à Avignon l'été dernier. Lorsque je distribuais les tracts, j'ai pu voir pas mal de réactions assez choquées. Certains trouvaient totalement aberrant de voir un spectacle sur ce thème".
Les uns après les autres, Klaire démonte tous les clichés, comme celui des règles bleues "canard WC" dans les clips de pub pour serviette hygiénique. Elle passe en revue toutes ces croyances ancestrales, comme celles portées par un certain Pline l'ancien. Cet "illustre" tribun et penseur romain du premier siècle après JC, qui dans son Historia Naturalis, (37 volumes), son seul ouvrage parvenu jusqu'à nous, accusait les femmes réglées de faire tomber les fruits des arbres contre lesquels elles s’asseoient, de faire aigrir le vin ou encore de rendre stériles les céréales. Notre experte es-règles interpelle le public aussi, en lui demandant de lui confier les petits noms que chacune utilise pour parler de ses menstrues. Ce soir-là, palme d'or à celui-ci : "Chez moi, on dit festival de Cannes, parce que tapis rouge tout ça, vous comprenez, c'est venu comme ça, c'est quand même plus sympa que ragnagna !"
Un homme averti en vaut ...
Et les hommes dans tout ça, ils sortent comment du spectacle ? "En fait déjà, le bon point, c'est qu'ils sont un peu plus nombreux, et ça c'est une réussite, et lorsque je parle avec eux après le spectacle, ils ne semblent pas si traumatisés ! Au contraire, la plupart me disent qu'ils ont en effet appris beaucoup de trucs, et qu'ils ont ri aussi. On peut voir aussi une sorte de fierté d'être un garçon qui a appris plein de trucs, certains disent qu'ils n'imaginaient pas à quel point tout cela était impactant. Ils ont vraiment l'envie d'en parler autour d'eux. Beaucoup sortent de là en se disant concernés, ce qu'ils ne ressentaient pas auparavant. " (Petite précision, un homme est à la mise en scène, Karim Tougui, ndlr)
Un projet : en 2019, jouer ce spectacle hors de Paris et des grandes villes, mais aller à la rencontre de tous dans les petites villes, et aussi peut-être dans les écoles, le corps enseignant en tout cas se montre très enthousiaste comme nous le dit la comédienne tout comme l'auteure,
"Il faudra peut-être adapter un peu le texte, car si on doit s'adresser à un public plus jeune, il y aura des petites-choses à réécrire!", préfère anticiper Klaire.
A l'écriture, une jeune femme,
Louise Mey, auteure et féministe de coeur.
"La genèse de l'idée ? En fait, quand je parlais de règles autour de moi, on me répondait que c'était dégoûtant et qu'il ne fallait pas en parler, et qu'il y avait des professionnels de la santé, des gynécologues, des hommes notamment qui en parlaient déjà et mieux". Louise Mey est plutôt de ces personnes qui, lorsqu'on leur demande de se taire, ont tendance à faire le contraire
," Je suis tombée sur une vidéo de Klaire sur Marion Maréchal Lepen au sujet des planning familiaux et de l'IVG, ça m'a parlé tout de suite, son ton et son style. Du coup, j'ai écrit ce texte en pensant à elle". "Comme pour mes romans policiers, je me documente beaucoup, sur internet ou dans les bibliothèques. Je me suis penchée sur des rapports, des statistiques, j'ai aussi pas mal discuté avec des professionnels de la santé. Apprendre que prendre la pilule, c'est avoir de fausses règles, en qu'en fait, on pourrait très bien ne pas saigner et juste avoir un traitement contraceptif, ça m'a fait bondir. En gros c'est comme si les hommes, puisque ce sont eux qui ont inventé la pilule, avaient décidé qu'on aurait des règles pour le plaisir, c'est hallucinant ! Même si je reconnais que sans la pilule, évidemment, bien des choses auraient été différentes pour les femmes." On se croirait encore au temps des sorcières. Cette espèce de condamnation globale, à la limite il faudrait qu'on aille vivre dans une cabane 5 jours par mois !
Louise Mey, auteure de Chattologie
Ce qui la met en colère aussi, ce sont
"toutes ces croyances, on se croirait encore au temps des sorcières. Cette espèce de condamnation globale, à la limite il faudrait qu'on aille vivre dans une cabane 5 jours par mois, qu'on s'exile. Et puis il y a aussi la précarité menstruelle, ça me choque beaucoup, et pourtant on ne le sait pas, on n'est pas au courant. C'est incroyable comment les femmes intègrent cela." D'utilité publique et "presque" tout public
Comme Klaire, Louise s'est posée cette question de l'âge minimum pour aller voir cette pièce, car parfois des parents sont venus accompagnés de leurs ados.
"Moi je me suis dit qu'à 11 ans, alors que du sang coulait déjà de mon corps et que c'était Versailles tous les mois, je vivais des choses difficiles, que ce soit dans la rue ou à l'école, on m'avait déjà suivie dans la rue, des hommes avaient cherché à me toucher, bref, en quoi ce spectacle où l'on parle des règles serait-il plus violent et déconseillé pour des ados ? Au contraire, peut-être que si à 11 ans j'avais pu voir ce type de spectacle, avoir ces explications et même pouvoir en rire, cela m'aurait beaucoup aidé". Chattologie, ce n'est pas juste pour se moquer des hommes et de leur méconnaissance du sujet, ou juste pour rire de notre "pauvre" condition de femme, ce sont aussi des chiffres, des données, comment la période des règles et celle qui les précède peuvent être handicapantes, voire paralysantes chez un certain pourcentage, non négligeable, de filles, "
Si chaque mois, le même pourcentage d'hommes étaient dans l'impossibilité de travailler, imaginez, la panique, le monde s'arrêterait de tourner non ? Sûr, le gouvernement aurait mis en place un congé menstruel comme ça existe au Japon."
Et puis il y a les maladies aussi, l'endométriose par exemple, qui touche une femme sur 10 en âge de procréer, une maladie si mal diagnostiquée, souvent par hasard, avec un retard moyen de cinq années. Les violences comme l'excision, cette ablation du clitoris perpétrée par les exciseuses, ici et ailleurs dont des millions de petites-filles sont victimes. Ou encore, la disparition peu à peu des médecins gynécologues, comme
"à Ivry sur-Seine, il n'y a plus un seul gynéco !", ce qui laisse présager d'années sombres pour la prise en charge de la santé des femmes.
Bref, il y a beaucoup, beaucoup de choses dans
Chattologie, spectacle féministe s'il en est. A vous peut-être d'aller y puiser ce que vous y trouverez, un peu de vous, de votre mère, grand-mère, ou de votre fille, de toutes les femmes et de leur condition sous patriarcat depuis la nuit des temps. Voilà un spectacle libérateur, car on rit beaucoup, réparateur, car cela fait du bien d'entendre à voix haute tous ces non-dits, et pédagogique (même si ce mot fait peur, il serait dommage de s'en priver). Un spectacle que l'on pourrait ranger dans la catégorie "utilité publique" car comme on peut le lire sur le tract de promotion de la pièce,
"ce sujet vous concerne, que vous soyez doté.e d'un utérus, d'un pénis, ou d'une trottinette électrique".