Article paru dans le Temps, reproduit ici grâce à un partenariat avec TV5MONDE.com De plus en plus de femmes et d’hommes font le choix de ne pas devenir parent. Pour s’épanouir dans leur carrière ou s’accorder plus de liberté. Mais cette décision est encore mal perçue.
«Et toi, quand est-ce que tu t’y mets?» Cette petite phrase, Jennifer (prénom fictif), 35 ans, l’a entendue très souvent. Car, à l’heure des familles monoparentales, recomposées ou homoparentales, il existe encore un choix de vie tabou: celui de ne pas vouloir d’enfants du tout. D’où cette subtile question qui a le mérite de passer comme chat sur braise sur la question du désir de devenir mère de famille. Et qui peut être complété par «tu sais, l’horloge tourne», «je voudrais tellement devenir grand-mère», ou l’indémodable «tu n’as pas peur de le regretter plus tard?».
«Les femmes qui ne désirent pas d’enfants sont jugées car la figure de la mère est très idéalisée», explique Isabelle Tilmant. L
a psychothérapeute belge a écrit deux livres sur le désir de maternité. Elle donnait le mardi 30 septembre 2014 à Genève une conférence organisée par l’association
Bloom and Boom. « Quand une femme dit ne pas vouloir d’enfants, cela fait basculer une croyance qui est: la mère est amour. Du coup, chacun réalise qu’il aurait pu ne pas être là. Nous ne voulons pas voir cette ambivalence des femmes vis-à-vis de la maternité, car cela nous renvoie à celle de notre propre mère.»
Reporter et écrivaine, Laurence Deonna, 77 ans, a accompli de nombreux reportages au Moyen-Orient. Elle y a rencontré beaucoup de femmes obligées d’avoir des enfants sous peine d’être écartées de la société. «Lors de mes reportages, les femmes me touchaient le ventre en me demandant: tu attends un enfant? Elles vivaient ce que l’on ressent en filigrane chez nous. Nous, nous avons acquis la liberté de pouvoir choisir. Mais à chaque interview, on me demandait si je ne regrettais pas de ne pas avoir eu d’enfants.»
Rejet des femmes, incompréhension vis à vis des hommes
La pression est plus forte pour les femmes, même si les hommes qui ne souhaitent pas devenir père peuvent aussi se heurter à une certaine incompréhension. Elle est plus puissante encore dans les milieux traditionnels et religieux, où l’enfantement n’est pas une option mais un devoir. Les célibataires peuvent échapper à un certain nombre de questions gênantes, mais dès qu’ils sont en couple, la pression grimpe. Jennifer, elle, est avec son ami depuis huit ans. «Je vois bien dans leur regard que les gens se demandent ce qu’on fait ensemble sans enfants.»
Les femmes de 40 à 49 ans qui n’ont pas d’enfants sont de plus en plus nombreuses. En 2000, c’était le cas de 40% d’entre elles à Zurich et de 36% d’entre elles à Bâle. Faute d’études fines, il est difficile de déterminer combien n’ont pas voulu devenir mère et combien n’ont pas pu le devenir. Mais, ceux qui décident de vieillir sans descendance sont de plus en plus nombreux. Ce n’est sans doute pas qu’une question de célibat car le nombre de couples vivant sous le même toit sans enfant est en constante augmentation en Suisse, selon l’Office fédéral des statistiques. Des 3,3 millions de ménages recensés en 2007, 27% étaient composés de parents avec enfants, 5,4% de familles monoparentales et 67% de couples sans enfants. Il s’agit non seulement de jeunes adultes ou de personnes âgés, mais aussi d’un nombre toujours plus grand d’adultes qui n’auront jamais d’enfants. Le phénomène est plus important en Suisse alémanique qu’en Romandie, mais il progresse dans tous les pays.
L'horreur de la maternité
Jennifer ne souhaite pas être enceinte. C’est ce qui la rebute le plus. Devenir responsable d’un bébé totalement dépendant d’elle l’effraie et l’idée d’abandonner son travail durant vingt semaines la déprime. «Je préfère me réaliser que me projeter à travers quelqu’un», dit-elle. La Lausannoise ne déteste pas les enfants pour autant et n’exclut pas de changer d’avis un jour. Elle a grandi avec l’idée qu’elle fonderait une famille quand l’envie s’en ferait sentir. Seulement voilà, à 35 ans, le projet ne la tente toujours pas. Cette ambivalence est courante. Celles que la maternité horrifie depuis leur adolescence et qui réclament à cor et à cri une ligature des trompes à 20 ans sont une minorité.
Mais en arrivant vers la quarantaine, les femmes savent qu’elles n’auront plus le choix très longtemps. Et beaucoup passent alors par une phase de réflexion. «Et s’ils avaient raison?» «Et si j’allais le regretter?» «L’envie d’avoir ou non des enfants se vérifie entre 38 et 45 ans», dit Sara Emeri. La metteure en scène de 33 ans vit en Belgique et joue dans un spectacle de rue nommé Boudin et chansons, où elle égratigne méchamment les bambins. Elle n’a pas d’enfant, mais a subi trois interruptions de grossesse. «J’ai fait le choix de ne pas céder à la pression sociale ou religieuse, ni à la pression du temps. Soit je trouve un père et tout se met en place, soit ce n’est pas le cas et ce n’est pas grave. La femme est encore vue comme une mère et c’est hyperculpabilisant. Avant, la question de l’enfant n’était pas autant sacralisée.»