Fil d'Ariane
Depuis des années que Tran To Nga, franco-Vietnamienne de 82 ans mène un combat contre plusieurs géants de la pétrochimie, dont Bayer-Monsanto, pour avoir produit "l’agent orange" qui a fait des millions de victimes pendant la guerre du Vietnam. La justice française vient de la débouter une nouvelle fois, mais la militante ne compte pas s'arrêter là.
En bas à droite de l'image, Tran To Nga, 82 ans, toujours sur le front pour défendre les millions de victimes du défoliant épandu par l’armée étasunienne pendant la guerre du Vietnam, ici lors d'un rassemblement le 4 mai 2024 à Paris.
Nouveau chapitre, et surtout nouveau revers dans le long combat judiciaire mené par Tran To Nga, militante Franco-Vietnamienne pour faire reconnaitre les désastres provoqués par l'agent orange. Le 22 août 2024, la cour d'appel de Paris a jugé irrecevables ses demandes pour faire reconnaître la responsabilité de Bayer-Monsanto et de 13 autres groupes agrochimiques, fournisseurs de l'"agent orange", défoliant ultra-toxique utilisé par l'armée américaine pendant la guerre du Vietnam.
"Les demandes de Mme To Nga se heurtent à l'immunité de juridiction dont les sociétés (...) bénéficient", indique l'arrêt consulté par l'AFP. Tran To Nga, 82 ans, compte se pourvoir en cassation, selon ses avocats.
Dans un communiqué, le collectif Vietnam-Dioxine fait part de sa "consternation et incompréhension" : "La justice française serait inapte à juger le procès historique de l’agent orange. L’immunité de juridiction, statut dont se prévalent les sociétés incriminées pour s’écarter de toute responsabilité civile, est jugé recevable. Comme le précise les avocats de Nga : «'Dans cette affaire qui est une affaire de principe, les juges ont endossé une attitude conservatrice à rebours de la modernité du droit et contraire au droit international et au droit européen '".
"Je ne m'arrêterai pas. Je serai du côté des victimes jusqu'à mon dernier souffle", confiait Tran To Nga il y a quelques mois - dans un entretien en vietnamien à l'AFP - précisant avoir refusé "beaucoup d'argent" des multinationales pour éviter un procès.
La lutte pour obtenir justice pour les victimes de l'agent orange durera longtemps. Mais je pense avoir choisi la bonne voie. Tran To Nga
Cette ancienne directrice d'école poursuit devant les tribunaux français quatorze multinationales, dont les géants Bayer-Monsanto et Dow Chemical, pour avoir produit et vendu l'agent orange - appelé ainsi à cause de la couleur des bidons dans lesquels il était stocké.
Jusqu'à présent, seuls les anciens combattants américains et d'autres pays impliqués dans le conflit ont obtenu une indemnisation au titre de l'agent orange. En mai 2021, le tribunal d'Evry (près de Paris) a rejeté ses demandes, en considérant que les entreprises assignées avaient agi sur ordre de l'Etat américain, et qu'elles ne pouvaient donc pas être jugées par une juridiction française.
"La lutte pour obtenir justice pour les victimes de l'agent orange durera longtemps. Mais je pense avoir choisi la bonne voie", assure-t-elle. "Je n'ai aucune haine envers le gouvernement ou le peuple américain. Seuls ceux qui ont causé la dévastation et la douleur doivent payer pour ce qu'ils ont fait", ajoute-t-elle.
Le mardi 7 mai 2024, le procès intenté par Tran To Nga, âgée de 82 ans, contre Bayer-Monsanto et 13 autres firmes ayant fabriqué ou commercialisé l’Agent Orange avait repris devant la Cour d’Appel de Paris. Face à ces géants de l’agrochimie, les avocats Me William Bourdon et Me Bertrand Repolt plaideront sa cause, pour elle mais aussi pour les millions de victimes de ce défoliant.
A l’initiative du Collectif Vietnam Dioxine, des personnalités politiques, syndicales et associatives lui apportent leur soutien, dans une tribune au Monde.
Le 4 mai 2024, plusieurs centaines de personnes se sont retrouvées autour de Tran To Nga lors d'un rassemblement organisé par le Collectif Dioxine Vietnam, Place de la République à Paris.
Tran To Nga est née le 30 mars 1942 dans le Delta du Mekong, dans le sud du Vietnam et grandit dans une famille aisée favorable à l'indépendance. Scolarisée à l'école Marie Curie de Saïgon, elle y apprend le français. En 1955, elle a 13 ans, et sa mère décide de l'envoyer à Hanoï pour la mettre à l'abri d'une arrestation.
Journaliste, résistante et militante franco-vietnamienne, elle obtient son diplôme universaire en pleine guerre du Vietnam et rejoint très vite la résistance. Pendant quatre mois, elle voyage à pied, notamment sur la piste Hô Chi Minh. Comme beaucoup d'autres victimes, Tran To Nga n'a pas compris au début les risques d'une exposition au puissant défoliant. Alors âgée d'une vingtaine d'années, elle était stationnée sur la base militaire de Cu Chi (sud), contrôlée par le Nord communiste, en tant que journaliste stagiaire.
Tran To Nga lutte depuis des années contre ceux qui ont utilisé l'agent orange contre la population vietnamienne durant la guerre du Vietnam.
Dans les mois qui suivent, Tran To Nga est à nouveau victime des épandages d’agent orange : "Comme je suivais les troupes du Front national de libération du Sud-Vietnam pour l’agence d’information Giai Phong, je traversais la jungle, marchais dans les marécages, en me trempant dans des zones humides et des sols pollués".
Entre 1962 et 1971, l'armée américaine a épandu 68 millions de litres d'agent orange sur les champs et les forêts pour empêcher la progression de la guérilla communiste. "L'agent orange" a des conséquences dramatiques. Il détruit la végétation, pollue les sols, intoxiquent végétaux et animaux. Aujourd'hui encore, les conséquences sanitaires se font sentir sur la population.
Pendant longtemps, je me suis reprochée d'être une mauvaise mère, d'avoir donné naissance à un bébé malade et de ne pas avoir pu le sauver. Tran To Nga
Directrice d'école à Hô Chi Minh-Ville après la guerre, ce n'est que des décennies plus tard qu'elle réalise que sa fillette a été victime de l'agent orange, après avoir rencontré des anciens combattants et leurs enfants handicapés.
Sa fille aînée, Viêt Haï, née en 1968, est atteinte d'une malformation cardiaque, la tétralogie de Fallot. Sa fille décède dans la jungle à l'âge de 17 mois. Ses deux autres filles, nées en 1971 et 1974, sont atteintes de malformations cardiaques et osseuses. "Pendant longtemps, je me suis reprochée d'être une mauvaise mère, d'avoir donné naissance à un bébé malade et de ne pas avoir pu le sauver", souffle Tran To Nga, désormais grand-mère.
Comme elle l'explique dans son autobiographie. Tran To Nga souffre de pathologies caractéristiques d'une exposition à cet herbicide, en l'occurrence le diabète de type 2. Elle a aussi eu deux tuberculoses et un cancer.
L'Association vietnamienne des victimes de l'agent orange affirme que 4,8 millions de personnes ont été directement exposées. Plus de trois millions d'entre elles ont développé des problèmes de santé. Et chaque année au Vietnam, environ 6000 enfants naîtraient avec des malformations congénitales.
Le ministère américain des Anciens combattants admet que des cancers, des diabètes et certaines malformations congénitales peuvent être liées à l'agent orange, bien qu'il n'existe aucune preuve scientifique.
Soutenue par de nombreuses associations, Tran To Nga décide alors de porter plainte en 2014 contre des entreprises ayant fabriqué ou commercialisé "l'agent orange", dont Monsanto (racheté en 2018 par l'allemand Bayer) et le fabricant américain Dow Chemical.
"Ce n'est pas pour moi que je me bats, mais pour mes enfants et ces millions de victimes". Les conséquences sanitaires de "l'agent orange"qui s'attaque au système immunitaire, se transmettent aux générations ultérieures, ce qui constitue une véritable "extermination familiale", selon les propres mots de Tran To Nga.
À lire aussi dans Terriennes :