Tran To Nga, une femme en guerre contre "l'agent orange"

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L'ultime combat de Tran To Nga

L'ultime combat de Tran To Nga, 80 ans, qui depuis des années réclame justice après le déversement de l'agent orange sur son pays pendant la guerre du Vietnam. On la voit au milieu de ses soutiens, lors du procès en janvier 2021 à Evry (France).

©AP Photo/Thibault Camus
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Le combat continue pour Tran To Nga. Cette Franco-Vietnamienne de 80 ans est partie en guerre contre 14 géants de la pétrochimie, parmi lesquels Bayer-Monsanto, pour avoir produit "l’agent orange" : un puissant herbicide déversé par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam, responsable aujourd'hui encore de très nombreux cancers et malformations génétiques. 

Tran To Nga assure qu'elle a refusé "beaucoup d'argent" des multinationales pour éviter un procès. "Je ne m'arrêterai pas. Je serai du côté des victimes jusqu'à mon dernier souffle", lance l'octogénaire, dans un entretien en vietnamien à l'AFP. 

La lutte pour obtenir justice pour les victimes de l'agent orange durera longtemps. Mais je pense avoir choisi la bonne voie. Tran To Nga

Cette ancienne directrice d'école poursuit devant les tribunaux français quatorze multinationales, dont les géants Bayer-Monsanto et Dow Chemical, pour avoir produit et vendu l'agent orange - appelé ainsi à cause de la couleur des bidons dans lesquels il était stocké.

Jusqu'à présent, seuls les anciens combattants américains et d'autres pays impliqués dans le conflit ont obtenu une indemnisation au titre de l'agent orange. En mai 2021, le tribunal d'Evry (près de Paris) a rejeté ses demandes, en considérant que les entreprises assignées avaient agi sur ordre de l'Etat américain, et qu'elles ne pouvaient donc pas être jugées par une juridiction française.

Toujours aussi déterminée, elle a fait appel et lance une campagne de financement participatif en vue du procès en appel, prévu en 2024. "La lutte pour obtenir justice pour les victimes de l'agent orange durera longtemps. Mais je pense avoir choisi la bonne voie", assure-t-elle. "Je n'ai aucune haine envers le gouvernement ou le peuple américain. Seuls ceux qui ont causé la dévastation et la douleur doivent payer pour ce qu'ils ont fait", assure-t-elle.

Une vie de résistante

Tran To Nga est née le 30 mars 1942 dans le Delta du Mekong, dans le sud du Vietnam et grandit dans une famille aisée favorable à l'indépendance. Scolarisée à l'école Marie Curie de Saïgon, elle y apprend le français. En 1955, elle a 13 ans, et sa mère décide de l'envoyer à Hanoï pour la mettre à l'abri d'une arrestation. 


Une pluie gluante dégouline sur mes épaules et se plaque sur ma peau. Une quinte de toux me prend. […] Je vais me laver. Et puis j’oublie aussitôt. 

Tran To Nga, autobiographie "Ma terre empoisonnée"

Journaliste, résistante et militante franco-vietnamienne, elle obtient son diplôme universaire en pleine guerre du Vietnam et rejoint très vite la résistance. Pendant quatre mois, elle voyage à pied, notamment sur la piste Hô Chi Minh. Comme beaucoup d'autres victimes, Tran To Nga n'a pas compris au début les risques d'une exposition au puissant défoliant. Alors âgée d'une vingtaine d'années, elle était stationnée sur la base militaire de Cu Chi (sud), contrôlée par le Nord communiste, en tant que journaliste stagiaire. 

Ma terre empoisonnée

Tran To Nga lutte depuis des années contre ceux qui ont utilisé l'agent orange contre la population vietnamienne durant la guerre du Vietnam. 

©Stock éditions

"Mes descendants et moi-même sommes empoisonnés"

Dans les mois qui suivent, Tran To Nga est à nouveau victime des épandages d’agent orange : "Comme je suivais les troupes du Front national de libération du Sud-Vietnam pour l’agence d’information Giai Phong, je traversais la jungle, marchais dans les marécages, en me trempant dans des zones humides et des sols pollués".

Entre 1962 et 1971, l'armée américaine a épandu 68 millions de litres d'agent orange sur les champs et les forêts pour empêcher la progression de la guérilla communiste. "L'agent orange" a des conséquences dramatiques. Il détruit la végétation, pollue les sols, intoxiquent végétaux et animaux. Aujourd'hui encore, les conséquences sanitaires se font sentir sur la population.

Pendant longtemps, je me suis reprochée d'être une mauvaise mère, d'avoir donné naissance à un bébé malade et de ne pas avoir pu le sauver. Tran To Nga

Directrice d'école à Hô Chi Minh-Ville après la guerre, ce n'est que des décennies plus tard qu'elle réalise que sa fillette a été victime de l'agent orange, après avoir rencontré des anciens combattants et leurs enfants handicapés.

Sa fille aînée, Viêt Haï, née en 1968, est atteinte d'une malformation cardiaque, la tétralogie de Fallot. Sa fille décède dans la jungle à l'âge de 17 mois. Ses deux autres filles, nées en 1971 et 1974, sont atteintes de malformations cardiaques et osseuses. "Pendant longtemps, je me suis reprochée d'être une mauvaise mère, d'avoir donné naissance à un bébé malade et de ne pas avoir pu le sauver", souffle Tran To Nga, désormais grand-mère.

Comme elle l'explique dans son autobiographie. Tran To Nga souffre de pathologies caractéristiques d'une exposition à cet herbicide, en l'occurrence le diabète de type 2. Elle a aussi eu deux tuberculoses et un cancer.

Mes descendants et moi-même sommes empoisonnés. L'examen de la fameuse liste des maladies établies par les Américains permet de dire que je souffre de 5 des 17 pathologies inventoriées. Tran To Nga 

L'Association vietnamienne des victimes de l'agent orange affirme que 4,8 millions de personnes ont été directement exposées. Plus de trois millions d'entre elles ont développé des problèmes de santé. Et chaque année au Vietnam, environ 6000 enfants naîtraient avec des malformations congénitales.

Le ministère américain des Anciens combattants admet que des cancers, des diabètes et certaines malformations congénitales peuvent être liées à l'agent orange, bien qu'il n'existe aucune preuve scientifique.

"Une extermination familiale"

Soutenue par de nombreuses associations, Tran To Nga décide alors de porter plainte en 2014 contre des entreprises ayant fabriqué ou commercialisé "l'agent orange", dont Monsanto (racheté en 2018 par l'allemand Bayer) et le fabricant américain Dow Chemical. 

"Ce n'est pas pour moi que je me bats,  mais pour mes enfants et ces millions de victimes". Les conséquences sanitaires de "l'agent orange"qui s'attaque au système immunitaire, se transmettent aux générations ultérieures, ce qui constitue une véritable "extermination familiale", selon les propres mots de Tran To Nga.

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