Transport aérien : viols de nuit, stupeur et tremblements

Les agressions sexuelles se multiplient dans les avions. Le personnel navigant, rarement formé pour répondre à ce type de violence, ne sait comment gérer les situations. Et les plaintes s'accumulent. Un tabou se brise.
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Viols de nuit
En 2015, aux Etats-Unis, 170 agressions de ce type auraient été recensées par le FBI. Un chiffre certainement sous évalué car le personnel de bord, non formé pour gérer les agressions sexuelles entre passagers,  ne communique que très rarement ce type "d'incidents" au pilote.
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10 accidents et "seulement" 44 morts ! 2017  est bien "l'année la plus sûre de tous les temps, tant par le nombre d'accidents qu'en termes de victimes", claironne l'Aviation Safety Network (ASN)  un site  américain spécialisé dans les catastrophes aériennes.
avion décollage
En cas d'agression sur un vol, il appartient au personnel de bord d'informer les pilotes qui décideront si l'incident mérite (ou non) un signalement
(Pixbay)

Mais combien de viols et autres agressions sexuelles ?

La question peut paraître saugrenue.

Elle est pourtant légitime.
Il s'agit d'un tabou au sein des compagnies aériennes. Et très peu acceptent de communiquer autour de tels faits.
Air France nous a cependant indiqué "ne pas avoir de statistiques sur ce sujet mais nous pouvons vous confirmer que l’occurrence est assez faible".  Est-ce que le personnel navigant reçoit une formation particulière en de domaine ?  " Les équipages sont par ailleurs continuellement sensibilisés à l'importance d'exercer une vigilance particulière sur ces contrôles lors des vols de nuit. Comme dans toute situation portant atteinte à l'intégrité de nos passagers à bord, la police est contactée par l'équipage afin qu'elle puisse prendre en charge les passagers concernés à l'arrivée du vol."
Ce qui n'est pas la règle partout, notamment aux Etats-Unis.

Aux Etats-Unis, 63 agressions sexuelles en 2017

Le FBI a compétence pour enquêter sur les crimes commis à bord d'avions dans l'espace aérien américain ou impliquant des citoyens américains. Mais il ne classe pas les agressions sexuelles séparément des autres crimes dans les avions. Il  dit avoir enquêté sur 63 agressions sexuelles sur des avions au cours de l'exercice 2017, contre 38 trois ans plus tôt.

Par ailleurs, les compagnies aériennes, qui craignent par dessus tout la mauvaise publicité dans un secteur ultra-concurrentiel, ne sont pas tenues de les signaler au gouvernement fédéral.
Avion viol de nuit
Voyageant seule lors de vols long courrier, sous l'effet d'un sédatif pour supporter le voyage, telle est le portrait-robot de ces femmes victimes d'agressions sexuelles dans le transport aérien
Jan Vašek pour Pixabay

Au cours des dernières années, il y a eu plusieurs témoignages dans les médias d'agressions sexuelles en avion. Certains incidents récents impliquent des adolescentes. D'autres, des femmes célèbres comme Randi Zuckerberg, la sœur du PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, et l'actrice Anika Noni Rose.
Les deux femmes ont récemment raconté leurs mésaventures. Mais on ne sait pas exactement à quelle fréquence tout cela se produit car aucun organisme fédéral ne recueille de données sur le harcèlement sexuel ou les agressions aériennes.

Le mode opératoire des agressions est sensiblement toujours le même.
L'agression a lieu la nuit, lors de vols longs courrier. La passagère s'assoupit, parfois après la prise d'un tranquillisant. Elle reprend peu à peu conscience, dans un demi- sommeil parce qu'elle sent  indisposée, troublée, avec la certitude de plus en plus affirmée qu'elle est victime d'un comportement anormal sur sa personne. Son état de confusion  se dissipe quand elle réalise tout à coup la situation :  un homme a les mains sur elle.

Un bonus de 10000 miles pour une agression sexuelle

Allison Dvaladze, une américaine, a été agressée sexuellement  lors d’un voyage en avion entre Seattle et Amsterdam. C'était en 2016. Elle a crée une page Facebook pour raconter son histoire et recueillir les témoignages sur ces agressions.
Lors du vol, raconte-t-elle sur CNN,"J'ai senti une main dans mon entrejambe, et j'ai réalisé que c'était l'homme à côté de moi. Je l'ai giflé tout de suite, crié "non", sans même penser."

Allison Dvaladze
Allison Dvaladze
(capture écran Twitter)

Ce qui ne décourage pas son agresseur.
Nouvelle main déplacée de sa part et nouvelle giffle assenée.
Rien n'y fait. 
Excédée, appeurée, elle déboucle sa ceinture de sécurité et court à l'arrière de l'appareil où elle raconte l'agression à l'équipage.  "Je crois qu'ils faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour me réconforter, mais il était évident qu'il n'y avait pas de procédure claire pour ce qu'ils devraient faire. Ils m'ont demandé ce que je voulais qu'ils fassent, et à ce moment-là, je ne pouvais penser à rien sauf à vouloir quitter l'avion."
Difficile à 10.000 mètre d'altitude....
On finit par la changer de place.
Une fois arrivé à destination, à l'aéroport d'Amsterdam, l'agresseur quitte l'appareil sans problème. Allison Dvaladze envoie un mail à Delta Airlines, la compagnie de transport, pour témoigner de cette violence. La compagnie lui répond un mois plus tard. Elle lui offre un bonus de 10000 miles sur sa carte grand-voyageur. Un "geste de bonne volonté"...


Les gens doivent comprendre que ces femmes ont besoin d'être entendues, et qu'il faut les croire...

Mike Adams, ex agent du FBI

Des agressions difficiles à prouver

Mike Adams a servi comme agent du FBI pendant 26 ans, dont près de 5 ans à l'aéroport international de Seattle. Il affirme avoir vu au moins un de ces cas d'agression tous les mois. Il a expliqué au Seattle Times qu’il est difficile d’obtenir des preuves de ces attaques. " Lorsque les lumières sont baissées, que personne ne regarde, c’est très difficile à prouver, d’avoir des témoins. La plupart du temps, les passagers voisins ne voient rien. C’est compliqué d’observer quoi que ce soit depuis un siège près du hublot. Toutes les femmes ne vont pas le signaler immédiatement parce que c’est terriblement choquant. Elles restent stupéfaites. Et si elles le rapportent au personnel de bord, les agents ne savent pas toujours quoi faire. Il m’est arrivé d’observer des réponses complètement incohérentes de la part de l’équipage.  Les gens doivent comprendre que ces femmes ont besoin d'être entendues, et qu'il faut les croire "  Mais à quoi attribue-t-il ce sentiment d'impunité ? "La résolution de ces types de crimes est très difficile. Vous avez besoin de faits, de circonstances et de preuves hors de tout doute raisonnable pour condamner quelqu'un. "

Que faire en cas d'agression ? Dans la mesure du possible, il est recommandé de filmer l'agresseur ou de provoquer carrément un scandale afin que la peur change de camp.

Protect airline
Une du site Facebook  FBI-Federal Bureau of Investigation  qui a lancé la campagne "be air conscience" pour sensibiliser le public
(capture écran)

Des procédures de signalements normalisées ?

" Nous avons des protocoles généraux pour les agressions en vol, mais il y a très peu de formations et de protocoles spécifiques" assure Sara Nelson, présidente de l’AFA, principal syndicat aérien américain qui représente les hôtesses et les stewards.

Elle confiait à CNN : " Pendant mes 22 ans en tant qu'agent de vol, je n'ai jamais pris part à une conversation - en formation ou autre - sur la façon de traiter le harcèlement sexuel ou agression sexuelle pendant un vol."

Dans une enquête  très fouillée parue en août 2016 sur le site américain Slate, un chiffre donne le vertige :  sur 2 000 membres d’équipage, 1 sur 5  déclare avoir traité des plaintes pour des agressions sexuelles lors des vols. Et dans moins de la moitié des cas, les autorités au sol ont  été prévenues. Le ou les agresseurs ont pu quitter l'appareil et l'aéroport sans difficulté.
Il appartient au commandant de bord de signaler les faits aux autorités locales. Insuffisant pour Sara Nelson : "Il faudrait qu’il y ait des procédures de signalement normalisées dans tout le secteur aéronautique. Dans la plupart des cas, à mon avis, il faut que les forces de l’ordre soient présentes à la descente de l’avion. Mais comme nous n’avons aucune directive standard, il est bien possible que cela ne soit pas toujours les cas."