Travailler ou élever son enfant, certaines Allemandes doivent encore choisir

Une étude publiée en décembre 2012 par l’Institut fédéral allemand de Recherche démographique montre que l’image de la “mauvaise mère” prévaut toujours dans une large frange de la population de l’Ouest du pays, pouvant expliquer en partie la faible natalité allemande.
Image
Travailler ou élever son enfant, certaines Allemandes doivent encore choisir
Crédit photo : Thinkstock
Partager 7 minutes de lecture
Teresa est une jeune mère active. Cette Allemande, habitante de Cologne (extrême Ouest de l'Allemagne) et âgée de 31 ans a accouché d’un petit garçon en juin 2012. Elle s’apprête à reprendre son travail de cadre en février, au sein d’une grande entreprise d'électroménager et de hautes technologies. "Je travaillerai 20 heures par semaine dans le développement, en informatique." Avant d’être enceinte, elle travaillait à plein temps dans la même entreprise. "C’est comme ça pour toutes les femmes en Allemagne, il est très rare qu’elles reprennent leur travail à 100%. D’ailleurs dans ce cas il s’agit souvent de Françaises !", commente la jeune femme. Au total, elle aura interrompu son activité professionnelle pendant huit mois. "Pour l’Allemagne, c’est très court. Normalement, on s’arrête plutôt pendant un an." La raison de ce long congé parental n’est pas uniquement le fait du manque d’infrastructures ou des indemnités versées pendant la première année de maternité. Une étude, intitulée (Keine) Lust auf Kinder ?, (Pas) envie d’enfants ? (lien en allemand) et publiée en décembre 2012 par le Bundesintitut für Bevölkerungsforschung (lien en allemand) (BIB), l’Institut fédéral de recherche sur la population, pointe du doigt des préjugés persistants vis-à-vis des mères qui retournent travailler rapidement après la mise au monde de leur enfant. Elle y cherche une explication à la faible natalité allemande : chaque femme met au monde en moyenne 1,39 enfant, contre 2,01 en France. L’étude du BIB se fonde essentiellement sur des sondages et des statistiques. Ainsi, à la question : "Un petit enfant (de moins de trois ans) sera-t-il malheureux si sa mère exerce une activité professionnelle ?", 63% des Allemand(e)s de l’Ouest de 18-40 ans interrogés répondent par l’affirmative. La même question recueille 36% de réponses favorables à l’Est du pays.
Travailler ou élever son enfant, certaines Allemandes doivent encore choisir
Crédit photo : jurgko, Pixabay
"Mères-corbeaux" à l’Ouest Pour les auteurs de l’étude, ce sondage révèle qu’en ex-RFA, "la mère appartient à l’enfant, qui ne devrait pas être placé à la crèche avant ses trois ans pour cause d’activité professionnelle. Les femmes qui n’empruntent pas cette voie gagnent rapidement le surnom de Rabenmutter (littéralement "mère-corbeau") à l’Ouest de l’Allemagne." Ce terme, sans équivalent français, désigne communément une mère qui n’est pas pleinement dévouée à ses enfants et privilégie ses centres d’intérêts personnels à ses petits. L’étude conclut que, "face à ce dilemme, par le passé, les femmes qui avaient effectué de longues études ont choisi leur activité professionnelle plutôt que de mettre au monde des enfants." A titre indicatif, les réponses positives à la même question s’élèvent respectivement à 41 et 38 % en France et en Belgique, mais à près de 65% en Autriche et en Russie . Pour sa part, Teresa aurait répondu "non" à ce sondage. "Ce n’est pas du tout mon opinion, mais bien celle de mes copines. Pour elles, je mets mon fils à la crèche beaucoup trop tôt. Alors que pour moi, il est important qu’il voit d’autres enfants." Depuis sa grossesse, elle a essuyé des critiques régulièrement. "Des personnes de l’ancienne génération, mais aussi des plus jeunes, m’ont dit "tu ne vas pas le voir, tu vas manquer tout son développement, ses premiers pas." Mais je crois que non, car je le vois quand même !" Elle estime que plus de la moitié des personnes qu’elle rencontre lui ont fait de telles réflexions, lui expliquant parfois qu’elle serait elle-même malheureuse.
Travailler ou élever son enfant, certaines Allemandes doivent encore choisir
Crédit photo : PublicDomainPictures, Pixabay
Prendre les pères en compte Teresa estime cependant que ces idées ont évolué depuis une dizaine d’années. "Je pense à une amie orthophoniste. Quand elle a commencé à travailler, pas mal d’enfants venaient en consultation le matin, puisque leurs mamans qui ne travaillaient pas pouvaient les y conduire. Depuis huit ou dix ans, il y en a beaucoup moins. Car les mères travaillent."  Pour elle, la reprise d’une activité professionnelle est plus ou moins aisée selon le métier exercé : "Dans les grandes entreprises, il n’y a pas trop de problèmes. Et mes copines qui sont profs retrouvent facilement leur poste car elles peuvent le faire à mi-temps." Jenny Schlüpmann vit à Berlin. Elle a également pu bénéficier d'un travail à mi-temps à la naissance de ses deux enfants, aujourd'hui âgés de 11 et 16 ans. "Je suis physicienne, mais à l'époque je travaillais comme assistante d'un vice-président d'université. Ce travail universitaire rendait l'aménagement du temps de travail plus facile." Mais quand elle a eu l'occasion d'augmenter son temps de travail, elle ne l'a pas fait tout de suite. "Je voulais passer du temps avec les enfants. C'est un choix personnel, ce d'autant plus que mon salaire suffisait comme ça, ce qui n'est pas le cas pour tout le monde." Pendant la première année de leur aîné, son mari est lui aussi passé à mi-temps. Comme ça, chacun s'occupait à tour de rôle de l'enfant. Au bout d'un an, ils ont pu le placer en crèche. Pour les auteurs de l’étude du BIB, il faut prendre en compte ce rôle joué par le père dans l’éducation du petit enfant. 73% des personnes interrogées sur cette question estiment qu’un père est aussi apte qu’une mère à l'élever. Comparé à la France (89%) ou la Belgique (82%, ce taux reste assez faible. Dans ces deux pays, souligne l’étude, "l’activité professionnelle de la mère est également mieux acceptée." Mais qui dit activité professionnelle des parents, dit aussi garde d’enfant. Teresa et son mari ont trouvé une crèche, non sans difficulté. Ils attendent de voir ce que donnera l’application à l’été 2013 d’une nouvelle loi octroyant une place en accueil de jour à chaque enfant âgé de 1 à 3 ans. Parallèlement, une allocation supplémentaire destinée aux mères qui souhaitent rester à la maison pour élever leurs enfants doit être instaurée. "On construit beaucoup de crèches en ce moment, mais il n’est pas sûr qu’il y en aura assez, relate la jeune mère. En plus la plupart ferment à 16h. Je n’ai jamais entendu parler d’exemple de crèche ouverte jusqu’à 20h comme en France. Elles le sont tout au plus jusqu’à 17h." A Berlin, Jenny Schlupmann se souvient de crèches aux horaires plus souples, notamment dans les hôpitaux pour accueillir les enfants d'infirmières travaillant la nuit.
"Là-bas, elles n’ont pas de souci" L’étude du BIB insiste sur les différences régionales dans la manière d’approcher la maternité. A l'Est de l'Allemagne, seul le tiers des 18-40 ans estime que la présence continue de la mère est indispensable au développement de son enfant. Parallèlement, bien que le modèle de la famille nucléaire - les deux parents et deux enfants - tende à devenir la règle comme dans beaucoup de pays occidentaux, les familles nombreuses sont plus fréquentes à l’Est qu’à l’Ouest, et les couples sans enfant plus rares. "En Allemagne de l’Est, la situation est différente, considère Teresa à propos des modes de garde. Il y a pas mal de places en crèche. Sous la RDA, il était courant d’y mettre les enfants très tôt. Je connais des mamans là-bas, elles n’ont pas de souci." Une situation que confirme Jenny Schlupmann. "Nous avons profité de l'Est, où il était absolument courant de mettre son enfant à la crèche." Avant la réunification allemande de 1990, les crèches étaient déjà rares à l’Ouest, et l’école se faisait déjà à mi-temps, avec des après-midi libres. En RDA, les femmes travaillaient davantage, le placement en crèche des enfants était fréquent. Des logements étaient également distribués aux jeunes familles. Pour autant, malgré toutes les difficultés rencontrées, la politique familiale allemande tient pour être l’une des plus généreuses d’Europe, avec un budget de 195 milliards d’euros par an. 

L'étude “(Pas) envie d'enfants ?“ en quelques chiffres

Selon l’étude de l’Institut fédéral allemand de recherche sur la population : - 63% des Allemand(s) de l’Ouest de 18-40 ans pensent qu’un enfant de moins de 3 ans sera malheureux si sa mère travaille, contre 36% à l’Est. - Les mères sont souvent plus jeunes à l’Est. Selon les régions, l’âge moyen à la naissance du premier enfant passe de 27 à 33 ans. - Les femmes qui ne deviennent jamais mères sont également moins nombreuses à l’Est. - Dans les grandes villes, les naissances sont plus tardives et les enfants moins nombreux. - Seuls 45% des Allemands de 18-50 ans sans enfant pensent qu’ils seraient plus heureux s’ils avaient un enfant dans les trois ans.