La coïncidence est fâcheuse : la Ligue du droit international des femmes avait choisi ce mardi 26 août 2014 pour célébrer trois décennies de luttes. Quelques heures plus tard, les droits des femmes étaient relégués en annexe du ministère de la santé dans le nouveau gouvernement français... De quoi faire aussitôt réagir ces disciples de Simone de Beauvoir : "Au lendemain de la loi du 4 août sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes que nous devions fêter lundi prochain, le coup porté est fatal : le nouveau gouvernement Valls 2 réduit les droits des femmes a un Secrétariat d'État. Ce remaniement sonne la fin d'un Ministère de plein exercice, promesse de François Hollande candidat en 2012 que les féministes avaient appelé de leurs vœux."
La physicienne Annie Sugier, l'avocate Linda Weil-Curiel et la politicienne belge Anne-Marie Lizin, trois féministes "historiques" qui se sont rencontrées autour de l'auteure du Deuxième sexe constituent aujourd'hui le trio de choc qui perpétue la tradition de coups d'éclat, portée par la Ligue du droit international des femmes. Après la révolution iranienne de 1979 qui vit les chefs de file religieux arriver au pouvoir, elles voulaient, comme Simone de Beauvoir en ce début des années 1980, donner une portée universelle aux droits des femmes, afin qu'ils ne soient plus soumis au relativisme culturel, une approche toujours contestée par d'autres courants féministes en Europe, Outre Atlantique et au delà, pour des raisons stratégiques ou ontologiques...
Réfugiées
Elle voulaient aussi alors obtenir des Nations unies et des Etats potentiels d'accueil que soit accordé le statut de "réfugiée politique" aux femmes victimes, sous toutes les latitudes, de violences masculines. L'aventure de ces trois rebelles a passionné le photographe belge Philippe Luc qui la retrace grâce à quelques clichés marquants de leurs actions des décennies passées.
La physicienne Annie Sugier, l'avocate Linda Weil-Curiel et la politicienne belge Anne-Marie Lizin, trois féministes "historiques" qui se sont rencontrées autour de l'auteure du Deuxième sexe constituent aujourd'hui le trio de choc qui perpétue la tradition de coups d'éclat, portée par la Ligue du droit international des femmes. Après la révolution iranienne de 1979 qui vit les chefs de file religieux arriver au pouvoir, elles voulaient, comme Simone de Beauvoir en ce début des années 1980, donner une portée universelle aux droits des femmes, afin qu'ils ne soient plus soumis au relativisme culturel, une approche toujours contestée par d'autres courants féministes en Europe, Outre Atlantique et au delà, pour des raisons stratégiques ou ontologiques...
Réfugiées
Elle voulaient aussi alors obtenir des Nations unies et des Etats potentiels d'accueil que soit accordé le statut de "réfugiée politique" aux femmes victimes, sous toutes les latitudes, de violences masculines. L'aventure de ces trois rebelles a passionné le photographe belge Philippe Luc qui la retrace grâce à quelques clichés marquants de leurs actions des décennies passées.
“Le droit des femmes variait au gré des cultures comme si l'universalité n'existait pas“
26.08.2014Entretien avec Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes
Mères d'Alger
Dès 1984, elles adoptent des méthodes "musclées", pour se faire entendre en France et au delà. Ainsi elles manifestent bruyamment devant l'ambassade d'Algérie pour que les "mères d'Alger" obtiennent justice et puissent retrouver leurs enfants franco-algériens après des enlèvements par leur père de l'autre côté de la Méditerranée. Une bataille de plusieurs années pour faire évoluer le droit entre les deux pays - et aujourd'hui, ce passage par la loi ou la jurisprudence est toujours le but affiché du mouvement. Une démarche couronnée de succès : le 21 juin 1988, une convention est signée entre les deux pays.
Dès 1984, elles adoptent des méthodes "musclées", pour se faire entendre en France et au delà. Ainsi elles manifestent bruyamment devant l'ambassade d'Algérie pour que les "mères d'Alger" obtiennent justice et puissent retrouver leurs enfants franco-algériens après des enlèvements par leur père de l'autre côté de la Méditerranée. Une bataille de plusieurs années pour faire évoluer le droit entre les deux pays - et aujourd'hui, ce passage par la loi ou la jurisprudence est toujours le but affiché du mouvement. Une démarche couronnée de succès : le 21 juin 1988, une convention est signée entre les deux pays.

Excisées en France
La plus grande réussite de ce trio de choc touche à la sexualité des femmes, à l'excision et autres mutilations sexuelles pratiquées même en Europe, en France ou au Royaume Uni par exemple. Linda Weil-Curiel a donc revêtu sa robe d'avocate en se portant partie civile contre les actrices de l'excision en France, les mères qui envoient leurs petites filles se faire mutiler, les exciseuses qui les mutilent. Provoquant la polémique, elle est parvenue à force de plaidoiries dans de retentissants procès à faire condamner ces femmes, considérées alors plus comme des victimes, en particulier les mères enfermées dans leurs traditions, que comme des coupables.
Vingt ans après les premières procédures, le débat reste ouvert sur la meilleure stratégie, entre lois coercitives, éducation, persuasion, pour en finir avec ces pratiques déchirantes en Afrique ou en Asie - sans doute tout cela à la fois, comme le montrent les Afars en Ethipopie. Mais dans les pays d'immigration, de plus en plus de voix rejoignent celles de la Ligue du droit international des femmes, jusque dans la très communautariste Grande Bretagne. Linda Weil Curiel est aujourd'hui partout consultée en Europe pour mettre en place de nouvelles législations. D'anciennes "matrones" praticiennes et des mamans désemparées, condamnées, sont devenues ses amies, avec lesquelles elle a écrit des livres et parcouru le monde.
Interruption volontaire de grossesse
L'Europe, elles la mobilisent encore, sur un autre front, alors qu'elles ne pensaient plus devoir le faire : le droit à l'avortement, qu'elles voudraient voir inscrit en lettres capitales dans la Charte européenne des droits fondamentaux, prélude au traité constitutionnel européen, alors que partout des gouvernements, ou des formations ultra-conservatrices, tentent de le faire reculer en Espagne, en Pologne, en Irlande, en Italie, et même en France, près de 40 ans après cette conquête cardinale pour les Terriennes.
Courir sans tchador
Cette poignée de femmes firent bouger les lignes sur d'autres terrains. De sport d'abord, avec le Comité Atlanta+ lancé à l'occasion des Jeux olympiques de Barcelone qui réintégrèrent, après 30 ans d'exclusion pour cause d'apartheid, l'Afrique du Sud. Mais qui, dans le même temps, accueillaient 35 équipes nationales qui ne comptaient aucune sportive dans leurs rangs ! Elles enrôlent alors à leurs côtés des sportifs tels le navigateur Eric Tabarly. Leur objectif vise les JO suivants, ceux d'Atlanta précisément. Mais les soubresauts du monde font perdurer le comité au delà d'Atlanta, et entraînent les combattantes là où les femmes ne peuvent exercer leurs talents d'athlète, en Afghanistan ou en Arabie Saoudite par exemple.
La plus grande réussite de ce trio de choc touche à la sexualité des femmes, à l'excision et autres mutilations sexuelles pratiquées même en Europe, en France ou au Royaume Uni par exemple. Linda Weil-Curiel a donc revêtu sa robe d'avocate en se portant partie civile contre les actrices de l'excision en France, les mères qui envoient leurs petites filles se faire mutiler, les exciseuses qui les mutilent. Provoquant la polémique, elle est parvenue à force de plaidoiries dans de retentissants procès à faire condamner ces femmes, considérées alors plus comme des victimes, en particulier les mères enfermées dans leurs traditions, que comme des coupables.
Vingt ans après les premières procédures, le débat reste ouvert sur la meilleure stratégie, entre lois coercitives, éducation, persuasion, pour en finir avec ces pratiques déchirantes en Afrique ou en Asie - sans doute tout cela à la fois, comme le montrent les Afars en Ethipopie. Mais dans les pays d'immigration, de plus en plus de voix rejoignent celles de la Ligue du droit international des femmes, jusque dans la très communautariste Grande Bretagne. Linda Weil Curiel est aujourd'hui partout consultée en Europe pour mettre en place de nouvelles législations. D'anciennes "matrones" praticiennes et des mamans désemparées, condamnées, sont devenues ses amies, avec lesquelles elle a écrit des livres et parcouru le monde.
Interruption volontaire de grossesse
L'Europe, elles la mobilisent encore, sur un autre front, alors qu'elles ne pensaient plus devoir le faire : le droit à l'avortement, qu'elles voudraient voir inscrit en lettres capitales dans la Charte européenne des droits fondamentaux, prélude au traité constitutionnel européen, alors que partout des gouvernements, ou des formations ultra-conservatrices, tentent de le faire reculer en Espagne, en Pologne, en Irlande, en Italie, et même en France, près de 40 ans après cette conquête cardinale pour les Terriennes.
Courir sans tchador
Cette poignée de femmes firent bouger les lignes sur d'autres terrains. De sport d'abord, avec le Comité Atlanta+ lancé à l'occasion des Jeux olympiques de Barcelone qui réintégrèrent, après 30 ans d'exclusion pour cause d'apartheid, l'Afrique du Sud. Mais qui, dans le même temps, accueillaient 35 équipes nationales qui ne comptaient aucune sportive dans leurs rangs ! Elles enrôlent alors à leurs côtés des sportifs tels le navigateur Eric Tabarly. Leur objectif vise les JO suivants, ceux d'Atlanta précisément. Mais les soubresauts du monde font perdurer le comité au delà d'Atlanta, et entraînent les combattantes là où les femmes ne peuvent exercer leurs talents d'athlète, en Afghanistan ou en Arabie Saoudite par exemple.

Dévoilées
Aujourd'hui, à la croisement de ce combat sur les stades et dans les rues, alors que des sportives saoudiennes ou iraniennes participent aux plus hautes compétitions, voilées, la Ligue du droit international des femmes se radicalise autour de la laïcité. Elles appuient l'initiative d'habitantes d'Aubervilliers (banlieue Nord de Paris), exaspérées par la prégnance du foulard dans leur ville, et qui ont décidé de se mobiliser à l'instar des Québécoises en plein débat sur le sujet outre Atlantique : "Femmes sans voile, françaises et fières de leur origine maghrébine, nous sommes exaspérées d'être importunées sans cesse par des extrémistes religieux au sujet de notre tenue vestimentaire. Elle serait non conforme à leur interprétation du Coran qui rendrait sacré le port du voile qu'ils voudraient nous imposer. Nous, femmes sans voile d'Aubervilliers (France), adhérons totalement à l'action lancée par des femmes sans voile au Québec, qui appellent, le 10 Juillet 2014, à une journée sans voile, afin de dénoncer la condition des femmes qui sont voilées, peu importe où elles sont, qui elles sont, ou la raison pour laquelle elles portent le hijab, le niqab, la burqa, le tchador etc."
"On peut commencer un combat avec quelques femmes décidées, c'était le cas des quatre mères d'Alger et c'est le cas des quatre femmes d'Aubervilliers", souligne avec une certaine tendresse Annie Sugier.
C'est l'exaspération face aux remarques et aux insultes qui a poussé les deux "Nadia", françaises d'origine maghrébine, toutes deux porte-parole de leur mouvement et présentes pour les 30 ans de la Ligue, à s'engager ainsi. A l'évidence pour elles, le voile est bien plus qu'un simple vêtement, et, qui plus est, n'est pas lié directement à l'islam.
Aujourd'hui, à la croisement de ce combat sur les stades et dans les rues, alors que des sportives saoudiennes ou iraniennes participent aux plus hautes compétitions, voilées, la Ligue du droit international des femmes se radicalise autour de la laïcité. Elles appuient l'initiative d'habitantes d'Aubervilliers (banlieue Nord de Paris), exaspérées par la prégnance du foulard dans leur ville, et qui ont décidé de se mobiliser à l'instar des Québécoises en plein débat sur le sujet outre Atlantique : "Femmes sans voile, françaises et fières de leur origine maghrébine, nous sommes exaspérées d'être importunées sans cesse par des extrémistes religieux au sujet de notre tenue vestimentaire. Elle serait non conforme à leur interprétation du Coran qui rendrait sacré le port du voile qu'ils voudraient nous imposer. Nous, femmes sans voile d'Aubervilliers (France), adhérons totalement à l'action lancée par des femmes sans voile au Québec, qui appellent, le 10 Juillet 2014, à une journée sans voile, afin de dénoncer la condition des femmes qui sont voilées, peu importe où elles sont, qui elles sont, ou la raison pour laquelle elles portent le hijab, le niqab, la burqa, le tchador etc."
"On peut commencer un combat avec quelques femmes décidées, c'était le cas des quatre mères d'Alger et c'est le cas des quatre femmes d'Aubervilliers", souligne avec une certaine tendresse Annie Sugier.
C'est l'exaspération face aux remarques et aux insultes qui a poussé les deux "Nadia", françaises d'origine maghrébine, toutes deux porte-parole de leur mouvement et présentes pour les 30 ans de la Ligue, à s'engager ainsi. A l'évidence pour elles, le voile est bien plus qu'un simple vêtement, et, qui plus est, n'est pas lié directement à l'islam.
“A Aubervilliers, on voit de plus en plus de petites filles qui portent le voile, c'est intolérable“
28.08.2014
La Ligue du droit international des femmes, elle même, n'échappe pas aux discussions enflammées à propos de ce resserrement autour de la laïcité, après les reculs pour les femmes surgis des révolutions arabes, même si celles-là sont loin d'être achevées. Ce 26 août, l'une des plus fidèles compagnes du mouvement posait la question : au nom de la défense de la laïcité doit-on aller jusqu'à défendre des dictatures féroces telles celle de Bachar Al Assad en Syrie ? La question risque malheureusement d'être posée longtemps encore...
