Troisième sexe, genre neutre ou intersexué : la France fait un premier pas, puis recule

C'était une première en France et en Europe, mais qui aura fait long feu. En août 2015, un tribunal français ordonnait aux services de l'état-civil de corriger l'acte de naissance d'une personne intersexuée, afin d'y apposer la notion de sexe "neutre". Une décision infirmée en appel le 22 mars 2016 par la Cour d'appel d'Orléans. Il n'empêche que le débat sur le troisième sexe est relancé.
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Mise à jour 22 mars 2016. La cour d'appel d'Orléans a finalement refusé de reconnaître à un sexagénaire la possibilité de faire figurer la mention "sexe neutre" sur son état civil, contrairement à ce qu'avait décidé, pour la première fois en France, le tribunal de Tours le 20 août 2015.

Dans un arrêt rendu le 21 mars 2016, les magistrats de la cour d'appel ont estimé "qu'admettre la requête de Monsieur X reviendrait à reconnaître, sous couvert d’une simple rectification d'état civil, l'existence d'une autre catégorie sexuelle".

Le cas de la première personne française à avoir obtenu la mention "sexe neutre" sur son état civil sera sans doute porté devant la Cour de cassation, et éventuellement devant la Cour européenne des droits de l'Homme à Strasbourg.
Le parquet général, qui avait fait appel de la décision du tribunal de Tours, a reconnu que la Cour européenne des droits de l'Homme admet "un droit à l'identité sexuelle, droit lié à l'épanouissement personnel, qui est un aspect fondamental du droit au respect de sa vie privée". Cependant, pour le ministère public, "la loi française ne prévoit en aucune façon la possibilité de porter la mention 'sexe neutre' sur un acte d’état civil".

Retour sur une petite révolution vite avortée

Durant quelques mois, le genre neutre pouvait donc se conjuguer au présent et en français. La justice d'une ville, en l'occurrence, Tours, avait pris fait et cause pour une personne dite "intersexuée". Le Tribunal de Grande Instance tourangeau avait officiellement ordonné aux services de l'état civil de la mairie de réécrire une partie de l'acte de naissance de cette personne, en stipulant dans la case sexe, le terme "neutre". Ce jugement remonte à août 2015.


Le quotidien gratuit 20 minutes a pu se procurer en exclusivité le rapport du magistrat chargé du dossier : « le sexe qui (lui) a été assigné à sa naissance apparaît comme une pure fiction (…) imposée durant toute son existence. Il ne s’agit aucunement de reconnaître l’existence d’un quelconque « troisième sexe », mais de prendre acte de l’impossibilité de rattacher l’intéressé à tel ou tel sexe ».

Appellez-moi « ille »

« Il » ou « elle » souhaite rester anonyme et préfère qu’on la désigne comme « ille », c’est le terme adopté par les intersexués. Agée de 64 ans, « ille » explique qu’elle a souffert toute sa vie d’avoir été classée dans le genre masculin. Elle raconte être née avec un «vagin rudimentaire» et «un micropénis» mais «sans testicules».

«A l'adolescence, j’ai compris que je n’étais pas un garçon. Je n’avais pas de barbe, mes muscles ne se renforçaient pas »

Cette décision loin de faire l’unanimité avait incité le parquet de Tours à faire appel, parce qu'il craignait que « cette requête renvoie à un débat de société générant la reconnaissance d'un troisième genre ».

Australie, pionnière du genre neutre

La France n’est pas le premier pays à tenter d'avancer sur le terrain du genre neutre. En Australie, en avril 2014, la plus haute juridiction du pays, avait reconnu « qu’une personne peut être ni de sexe masculin ni de sexe féminin ». Les juges de la Haute Cour avaient alors autorisé, à l’unanimité, l’enregistrement d’une personne comme étant d’un genre « spécifique ».

Norrie May-Welby
Norrie May-Welby

Au cœur de cette décision, un certain Norrie May-Welby . Après une longue bataille administrative, le transexuel australien devient donc à 52 ans, la première personne « neutre » du monde. Né homme en 1961, en Ecosse, il décide à 28 ans de changer chirurgicalement de sexe. L’opération n’a pas eu selon elle, les résultats espérés, du coup, elle cesse tout traitement hormonal et se retrouve « assexuée ».

Norry May-Welby demande et obtient de son pays en 2010 d’être reconnue comme telle, sous le terme « sexe spécifique ». Seulement, les juges vont très vite revenir sur cette décision. A l’époque, l’affaire nourrit les tabloïds australiens ainsi que les émissions de débat à la télévision. Norrie devient peu à peu la porte-parole du combat pour la reconnaissance d’un « troisième sexe ». Ce qu’elle a donc fini par obtenir le 2 avril 2014.

«Les gens vont peut-être comprendre qu'il n'y a pas que deux options. Vous pouvez être une femme ou un homme, mais certains de vos proches ne le sont pas forcément»

Oui au troisième sexe en Inde

Le débat autour d’un sexe « neutre » devient planétaire. L’Inde a aussi, 15 jours après l’Australie en avril 2014,  reconnu l’existence d’un « troisième sexe ». La Cour suprême a ordonné au gouvernement de l'Inde et aux Etats du pays d'identifier les transgenres comme un troisième genre neutre et leur donner droit aux mêmes aides sociales et en termes d'emploi que les autres groupes minoritaires. «Les transgenres sont des citoyens de ce pays et ont droit à l'éducation et à tous les autres droits», explique le juge qui présidait alors la plus haute instance judiciaire indienne.

Cette décision faisait suite au recours intenté en 2012 par un groupe conduit par Laxmi Narayan Tripathi, militant connu des eunuques et transgenres pour obtenir la reconnaissance de leurs droits.

«Pour la première fois, aujourd'hui, je suis très fier d'être indien», a dit le militant aux journalistes réunis devant la Cour suprême. «Mes soeurs et moi avons le sentiment d'être de vrais Indiens et sommes très fiers car nos droits ont été reconnus par la Cour suprême», a-t-il ajouté.

transgenres indiens

La cause des transgenres indiens a peut-être marqué un point, mais cela ne change rien sur le terrain de la défense des droits des homosexuels. La même Cour suprême indienne avait, 4 mois plus tôt, refusé de dépénaliser l'homosexualité qui reste un crime.

Classé « X » ou « transgenre »

D'autres Etats ont déjà passé le cap du troisième sexe. En 2011, l’Argentine a autorisé les individus à changer leur état civil sans avoir à apporter la preuve d'une opération de réassignation sexuelle. En juin 2013, le Népal a ordonné d'ajouter une catégorie «transgenre» aux passeports. Auparavant, le Portugal, la Grande-Bretagne et l'Uruguay avaient pris des décisions similaires. L'Allemagne et le Népal autorisent leurs ressortissants à inscrire un X dans la case «sexe» du passeport. L’Allemagne est même allé plus loin en novembre 2014, elle autorise que les bébés nés sans être clairement identifiés comme garçon ou fille, soient enregistrés sans indication de sexe, une première en Europe.

Cette mesure est destinée à atténuer la pression qui pèse sur les parents, poussés à décider en urgence d'opérations chirurgicales controversées, pour attribuer un sexe à un nouveau-né. Les parents sont désormais autorisés à laisser vierge la case afférente sur les certificats de naissance, créant ainsi une catégorie indéterminée dans les registres d'état-civil.

« Choisir son sexe »

C’est d’ailleurs le combat que mène maître Mila Petkova, l’avocate de la première personne française déclarée comme « neutre » à Tours.

« A la naissance, un bébé intersexué n’a pas de sexe qui peut être déterminé, et tout sexe qu’on va lui attribuer par la suite, que ce soit par la société ou par des actes chirurgicaux, n’est qu’une pure fiction finalement.
A la naissance, ces bébés ne peuvent pas être déclarés comme fille ou garçon. Aujourd’hui, on ne décide pas de son sexe, la décision est prise par le corps médical, je milite pour qu’on laisse ces personnes dans la case sexe neutre, le temps que la personne décide d’elle-même de son sexe
. » explique-t-elle sur France Info.

Pour Philippe Reigné, spécialiste des droits du genre, interrogé sur la même radio, cette décision se base sur le principe de liberté d’appartenance sexuelle, « un des aspects les plus fondamentaux, selon la Cour européenne des Droits de l’homme, du droit au respect de la vie privée ».

Le genre neutre, un combat suédois

Pour rappel en 2012, en Suède, le mouvement pour la neutralité sexuelle avait franchi une étape importante: quelques jours après la Journée internationale des femmes, un nouveau pronom, « hen » (contraction de il « han » en suédois et elle « hon ») fut ajouté à la version numérique de l'Encyclopédie nationale suédoise.

Pour les militants de la neutralité sexuelle, la société devrait viser à effacer totalement les stéréotypes et les rôles sexuels traditionnels, y compris aux niveaux les plus terre-à-terre. Selon eux, les parents devraient pouvoir choisir n'importe quel prénom pour leur enfant , c’est à dire, Jack pour une fille ou Lisa pour un garçon.
 

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Capture du catalogue Leklust

Une marque suédoise de vêtements pour enfants avait supprimé les rayons «fille» et «garçon» de ses magasins, ce qui avait suscité beaucoup de réaction sur la blogosphère. Au même moment, un catalogue de jouets suédois (de la marque Leklust) s’était amusé à redistribuer les rôles : un garçon déguisé en Spiderman poussant un landau rose, et une petite fille en salopette en jean conduisant un tracteur jaune.

Du passeport jusqu’aux cours de récréation, les combattants du genre neutre fourbissent leurs armes et n’ont pas fini de questionner la société sur la reconnaissance et les liberté des personnes « hors codes », en recherche de leur identité sexuelle et hélas, souvent en souffrance.

Une militante assassinée en Argentine

Diana Sayacan
Diana Sayacan, militante des droits trans en Argentine.

Et pour les militants aussi, la bataille reste rude. Et c’est parfois au péril de leur vie, qu’il paye leur combat. Pour exemple, la mort de Diana Sayacan. Cette militante argentine vient d’être assassinée. Elle était l'origine de la loi d'identité de genre en Argentine, l’une des premières dans le monde.