Trou noir : la scientifique Katie Bouman harcelée sur les réseaux sociaux

Impossible de la rater, la première photo d'un trou noir a fait la Une des médias du monde entier. Puis dans son sillage, est apparu le visage de Katie Bouman, la jeune scientifique qui a contribué à cette avancée historique. Ce qui n'a pas plu à tout le monde. La voilà harcelée sur les réseaux sociaux. Des internautes l'accusent de n'avoir participé que de façon mineure à cette découverte et de voler la vedette à un homme.
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Katie
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En seulement quelques jours, Katie Bouman s'est retrouvée en pleine lumière. Et pour cause, de nombreux médias l'ont présentée comme la femme derrière la toute première image d'un trou noir, rendue publique le 10 avril dernier.

La scientifique de 29 ans a posté, sur sa page Facebook personnelle, un cliché d'elle-même, heureuse et incrédule, alors que l'image du trou noir apparaît sur son écran d'ordinateur.
Le Massachussets Institute Technology (MIT), où elle a étudié, salue sa contribution dans une série de tweets. Katie Bouman tient à rappeler sur son profil Facebook que le cliché du trou noir a été rendu possible grâce à un travail d'équipe : "Je suis tellement excitée que nous puissions enfin partager ce sur quoi nous travaillons depuis un an ! L'image montrée aujourd'hui est la combinaison d'images produites par plusieurs méthodes. Aucun algorithme ni aucune personne n’a créé cette image, il a fallu le talent incroyable d’une équipe de scientifiques du monde entier et des années de travail acharné pour développer l’instrument, le traitement des données, les méthodes d’imagerie et les techniques d’analyse nécessaires pour rendre cet exploit possible. C’est vraiment un honneur et je suis très chanceuse d’avoir eu l’occasion de travailler avec vous tous".
 
Si beaucoup ont salué le travail de la jeune femme, sa mise en avant n'a cependant pas été au goût de tout le monde. Sa page Wikipédia est signalée par un utilisateur qui écrit que "quelqu’un qui n'est même pas professeur adjoint n’est certainement pas remarquable en tant que scientifique".

Pour certains internautes, Katie Bouman a été poussée sur le devant de la scène pour servir un agenda féministe. Plusieurs faux comptes Twitter - depuis supprimés par la plateforme - ont été créés à son nom. Des vidéos postées sur Youtube l'accusent d'être une "imposture". Les articles de presse la concernant seraient des "conneries féministes". "De temps en temps, il peut y avoir une femme intelligente [qui contribue à des avancées]. Mais en général, ce n'est pas tout à fait vrai", dit l'une d'elles.

L'effet Matilda, encore et toujours

Ces "Haters" (c'est ainsi qu'on désigne les harceleurs qui écrivent des messages haineux sur les réseaux sociaux, ndlr) sont même allés jusqu'à éplucher la page GitHub où se trouve le code informatique de l'algorithme utilisé pour réaliser la photographie du trou noir, cherchant ainsi à évaluer sa réelle participation au projet. Ils tirent la conclusion suivante : le véritable héros n'est autre qu'un homme, Andrew Chael, astrophysicien américain et membre de l'équipe de plus de 200 scientifiques qui ont contribué à ce projet.
Sur Twitter, Andrew Chael prend la défense de sa collègue et écrit : "Donc, apparemment, très peu de personnes en ligne utilisent le fait que je suis le principal développeur de la bibliothèque de logiciels 'eht-imaging' pour lancer des attaques affreuses et sexistes contre ma collègue et amie Katie Bouman. Arrêtez."
 
Cette volonté d'invisibiliser les femmes dans le domaine scientifique porte un nom. On parle de l'effet Matilda, en référence à la féministe américaine Matilda Joslyn Gage, théorisé en 1993 par l'historienne des sciences Margaret Rossiter. Vingt-six ans après, la théorie continue de se vérifier.