A l’occasion de la journée des droits des femmes tunisiennes le 13 août, le Président du Comité général de la fonction publique a livré des chiffres décourageants en ce qui concerne la féminisation des postes à responsabilité dans les administrations.
La Tunisie a un calendrier bien fourni quand il s’agit de la journée des droits des femmes. Le 8 mars y est fêté comme dans plusieurs pays. D'un autre côté, le 13 août correspond à un moment fondateur : la promulgation du
Code du statut personnel en 1956 par Habib Bourguiba, considéré comme une avancée majeure pour la condition féminine. Pour rappel, le CSP a abolit la polygamie et créé une procédure judiciaire pour le divorce. Ainsi, le consentement mutuel des futurs époux est devenu obligatoire pour célébrer un mariage.
Plus de soixante ans après, les Tunisiennes ont encore de nombreux défis à relever. C’est le Président du Comité Général de la Fonction Publique, Mohammed Cherif qui le reconnaît :
« On remarque un écart incommensurable entre les hommes et les femmes fonctionnaires, âgés entre 20 et 25 ans. L’on compte 26 745 hommes contre seulement 2.262 femmes. Pour la tranche d’âge 35/40 ans, l’écart est insignifiant, soit 55.945 hommes et 53.638 femmes ».
Et d’ajouter :
« Le taux le plus inquiétant, en revanche, c’est celui qui concerne la place qu’occupent les femmes dans les postes de décision ; un taux qui n’excède pas les 2% et qui vient contrecarrer toutes les attentes et tous les objectifs tracés dans le programme national de développement ».
Le responsable tunisien
s’exprimait lors d’une conférence qui s’est tenue vendredi dernier à Tunis, à l’occasion de la journée des droits des femmes. Les autorités tunisiennes s'y sont engagées à réduire ces écarts mettant en évidence la discrimination que les Tunisiennes subissent encore.
« Elles sont plus sujettes au chômage que les hommes ; soit 28% de chômeuses contre seulement 12% de chômeurs. Sur le plan politique, la femme ne représente que 21% du gouvernement postrévolutionnaire », a ajouté Naziha Laâbidi, ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, qui participait également à la conférence.
Ce bilan correspond à des objectifs non atteints.
La Constitution postrévolutionnaire de 2014, adoptée après plus de deux ans de débats acharnés, est le texte qui offre le plus de garanties aux femmes dans le monde arabe et musulman. Cette loi fondamentale prévoit la représentativité des femmes dans les assemblées élues, un salaire équitable dans des conditions décentes de travail et le principe de parité.
« L’Etat garantit l’égalité des chances entre la femme et l’homme pour assumer les différentes responsabilités et dans tous les domaines», détaille l’article 46.
Pour autant, Naziha Laâbidi n’estime pas dresser un bilan
« alarmant ». A titre d’exemple, en France, les femmes qui constituent 60% des effectifs de la fonction publique, ne représentent que 10% des plus hauts fonctionnaires,
selon les données officielles.
Toutes les violences faites aux femmes sont désormais punies
La ministre se montre plutôt confiante car le 26 juillet dernier, le parlement tunisien
a adopté à l’unanimité une loi intégrale pour lutter contre les violences faites aux femmes. Celle-ci prévoit la reconnaissance de toutes les formes de violences physiques, morales, psychologiques, sexuelles (y compris le harcèlement dans les lieux publics) ou encore économiques. Le texte prévoit une assistance juridique et psychologique aux victimes. Ainsi, la modification de l’article 227 bis du code pénal rend impossible qu’
une victime de viol épouse son agresseur pour lui épargner une condamnation.
La ministre des Femmes fait savoir qu’une étude sera bientôt lancée sur
« le coût de la violence ».
Une avancée qu'ONU Femmes applaudit. Dans un communiqué, l'organisation internationale dit attendre la concrétisation de la loi. Tout comme les femmes tunisiennes et, avec elles, les organisations de défense de leurs droits qui ont oeuvré en faveur de ce texte.
En attendant, les organisations féministes ont du pain sur la planche. Elles doivent veiller à ce que le président tunisien, Béji Caid Essebsi, tienne ses promesses. Dans un discours prononcé ce 13 août, il s'est engagé à relancer
la question d'égalité dans l'héritage (la femme hérite toujours de la moitié de la part d'un homme) et a appelé à abroger la circulaire interdisant à une Tunisienne d'épouser un non-musulman, alors que la liberté de conscience est inscrite dans la loi.
"Aller vers la parité ne veut pas dire aller à l'encontre de la religion", a-t-il affirmé lors de son allocution.
Ancienne constituante, la député Nadia Chaabane (La voix démocratique et sociale, gauche) n'a pas tardé à saluer cette annonce :
« C’est une excellente nouvelle quand on pense aux nombreuses femmes qui souffrent à cause de cette circulaire. On se retrouve avec des familles qui ont des statuts différents. Pour certains couples, leur mariage célébré à l'étranger n'est pas reconnu. Quand il y a des enfants, les mères sont considérées comme des mères célibataires. Ce qui peut entraîner des problèmes de refus de chambre d’hôtel pour un couple, d’héritage entre conjoints, etc. Abolir cette circulaire c’est mettre fin à une discrimination terrible, celle d’imposer l’appartenance religieuse du conjoint. Ceci a aussi le mérite d’arrêter une hypocrisie car beaucoup de couples se trouvaient face au dilemme de la conversion alors qu’il n’y avait pas de la conviction derrière ».
Et d'ajouter :
« Comme c’est une circulaire, en deux jours elle peut être annulée. Il suffit que le ministre de la Justice rédige une nouvelle circulaire annulant la précédente. Reste à l’envoyer à tous les services consulaires, à toutes les mairies etc. Cela ne sera pas fait demain, mais ce serait très étonnant que le document ne soit pas écrit dans les jours qui viennent. C’est une simple formalité. La liberté de conscience est tout de même inscrite dans la Constitution depuis 1956 ».
Argent et pouvoir
En ce qui concerne l'héritage, Nadia Chaabane est également optimiste car le débat porté par des militants et des associations depuis les années 90, voire avant, devient enfin officiel. Si certaines familles décident de distribuer de façon équitable leurs biens parmi leurs enfants, ce n'est pas le cas partout. Dans certaines régions, les femmes n'héritent pas des terres. Et quand il s'agit d'entreprendre, certaines Tunisiennes ont moins de biens à faire valoir afin d'obtenir un prêt.
"Ce qui empêche l'autonomisation économique de nombreuses femmes. Avec cette question d'héritage ont touche à un sujet très sensible. On parle d'argent et de pouvoir", rappelle la députée.
De précédentes tentatives pour rendre le système d'héritage équitable ont échoué. Et ceux qui portent ces revendications font face à de violentes attaques. Mais cette femme politique ne se laisse pas intimider : "
Comme dans de nombreuses occasions, y compris lors du vote de la loi contre les violences faites aux femmes,
on mènera une campagne de pression. On ne va pas les laisser s'endormir".
Béji Caid Essebsi qui s'inscrit dans une démarche de conciliation entre la religion et l'égalité entre les femmes et les hommes, peut compter sur leur combativité.
"Mon islam est l'islam tunisien qui donne des droits aux femmes", disait-il alors qu'il était candidat à la présidentielle en 2011. Les Tunisiennes se battant depuis plus de soixante ans pour leurs droits ne se contenteront pas de promesses.