Fil d'Ariane
Après deux ans de guerre en Ukraine, les stéréotypes de genre et les violences sexistes et sexuelles ne connaissent pas de trêve. Ces phénomènes se sont même aggravés, selon l'ONG Plan International, qui a recueilli les témoignages de femmes et de jeunes filles ukrainiennes.
Des femmes pleurent en écoutant l'hymne national ukrainien lors d'une manifestation appelant à la libération des soldats ukrainiens capturés par les Russes sur la place de l'Indépendance à Kiev, en Ukraine, le dimanche 27 août 2023.
En Ukraine, au moins 3,6 millions de personnes ont aujourd'hui un besoin urgent d'aide contre les violences sexistes et sexuelles, selon une estimation du Fonds des Nations unies.
Les filles et les jeunes femmes, en particulier, sont de plus en plus exposées à la violence de la part d'un mari ou d'un partenaire intime, aux contenus préjudiciables en ligne et à l'exploitation et aux violences sexuelles, constate de son côté l'ONG Plan International. "La commission d'enquête de l'ONU continue de documenter des cas de viol et d'autres violences sexuelles à l'encontre de femmes mais aussi d'hommes. En novembre 2023, une étude montrait qu'une réfugiée ukrainienne sur quatre subit des violences sexuelles ou physiques après avoir fui le pays", développe Diane Richard, porte-parole de Plan International France.
Les questions de violence de genre ne sont pas du tout vues comme une priorité par la communauté internationale. Seulement 4% des financements sont dédiés à cette question. Diane Richard
"Or les questions de violence de genre ne sont pas du tout vues comme une priorité par la communauté internationale, souligne-t-elle. Seulement 4% des financements sont dédiés à cette question. C'est donc le secteur le plus sous financé dans la réponse à la guerre en Ukraine."
Le phénomène n'est pas nouveau car la violence fondée sur le genre était "déjà très répandue et en augmentation en Ukraine, et très présente dans la région" avant février 2022, selon un rapport de l'OSCE. Un sondage de l'Organisation européenne mené en 2018 concluait que 75 % des Ukrainiennes avaient subi une forme de violence depuis l’âge de 15 ans et 35 % d’entre elles avaient subi de la violence physique et/ou sexuelle.
L’une des raisons de l’augmentation de ces violences depuis le début du conflit est le renforcement des rôles traditionnels des hommes et des femmes. C'est ce que mettent en évidence les témoignages de filles, de jeunes femmes, de travailleur·euses d'ONG et de réfugié·es ukrainien·nes, recueillis par Plan International France.
Le conflit exacerbe les stéréotypes sexistes et renforce les perceptions militarisées de la masculinité. Les hommes et les garçons sont de plus en plus considérés comme des défenseurs de leur pays tandis que les responsabilités domestiques et de soins incombent aux femmes et aux filles. "En Ukraine, en Pologne, en Moldavie, en Roumanie, nous avons mené de nombreux entretiens avec des femmes, des réfugiées, mais aussi avec des personnes qui travaillent au contact de la population. Beaucoup de ces femmes nous on dit que la guerre exacerbait les rôles traditionnels des hommes et des femmes", rapporte Diane Richard.
Les rôles traditionnels renforcés par la guerre, ici des femmes, en cuisine, elles préparent des raviolis pour le dîner de Noël dans le village de Kryvorivnia, en Ukraine, le dimanche 24 décembre 2023.
Les jeunes Ukrainien·nes sont aujourd'hui moins enclin·es à considérer l'égalité de genre comme une priorité nationale, comme le montrent plusieurs études. Selon une enquête de l'UNFPA, ils-elles ne sont plus que 2 % à y voir une priorité en 2023 contre 9 % en 2021.
Nous craignons que les effets de la guerre sur les femmes et les filles ne soient pas pris en compte, alors que leurs droits sont déjà menacés. Cela pourrait avoir des conséquences profondes pour les générations à venir. Jennifer Olivier
“Nous constatons que la guerre aggrave les stéréotypes sexistes néfastes tout en alimentant les violences de genre. Nous craignons que les effets de la guerre sur les femmes et les filles ne soient pas pris en compte, alors que leurs droits sont déjà menacés. Cela pourrait avoir des conséquences profondes pour les générations à venir”, estime Jennifer Olivier, responsable des programmes humanitaires de l’ONG Plan International France.
Une bénévole de l'organisation They Need Us distribue une aide humanitaire aux habitantes de Cherkasske, en Ukraine, le 12 juillet 2023.
Les femmes subissent la majorité des répercussions économiques découlant de la guerre. Selon un rapport d'ONU Femmes, "les Ukrainiennes font face à des formes de discrimination multiples et croisées au chapitre de l’accès à des ressources de production clés, comme des terres, du crédit et des intrants et services agricoles ; elles sont plus susceptibles que les hommes d’occuper des emplois précaires saisonniers à temps partiel et faiblement rémunérés lorsqu’elles occupent des emplois en milieux ruraux".
La plus grande vulnérabilité économique des femmes créée par le conflit peut également amener certaines d’entre elles à offrir des services sexuels en échange d’argent ou de ressources. Rapport OSCEPA
Le conflit exacerbe les inégalités préexistantes, soulignait déjà l'an dernier l'OSCEPA (Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) : "La plus grande vulnérabilité économique des femmes créée par le conflit peut également amener certaines d’entre elles à offrir des services sexuels en échange d’argent ou de ressources. Ce type de situation augmente le risque d’exploitation et de traite, et expose les femmes à des grossesses non voulues et à des infections transmissibles sexuellement".
En raison de la discrimination intersectionnelle, les femmes appartenant à des minorités sont encore plus exposées et fragiles. Selon ONU Femmes, "les femmes roms constituent un groupe de personnes particulièrement vulnérables chez les personnes déplacées à l’interne… surtout lorsqu’elles sont enceintes ou qu’elles ont des enfants dont elles doivent s’occuper".
Deux jeunes femmes devant leur immeuble endommagé par une attaque russe à Soumy, en Ukraine, le lundi 3 juillet 2023.
Dès les premiers mois de l’invasion, plusieurs organisations de la société civile pour les femmes ont signalé une augmentation de la violence. En raison de la guerre, les services policiers ont retiré les ressources normalement allouées à la violence fondée sur le genre. Selon les experts sur le terrain, "la violence conjugale n’a pas disparu, elle s’est simplement déplacée avec les gens", rapporte l'OSCEPA.
Certains signes montrent que la violence sexuelle est utilisée comme arme de guerre. Pramila Patten
En mars 2023, la Commission d’enquête internationale indépendante sur l’Ukraine mettait déjà la lumière sur des "cas de violence sexuelle et fondée sur le genre touchant des femmes, des hommes et des filles âgés de 4 à 82 ans dans neuf régions de l’Ukraine et dans la Fédération de Russie". Selon Pramila Patten, la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies sur les violences sexuelles liées aux conflits, "certains signes montrent que la violence sexuelle est utilisée comme arme de guerre".
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