Un an après la chute de Moubarak, que veulent les Egyptiennes ?

Elles étaient au cœur de la révolte, à revendiquer leurs droits dans une Egypte qui discrimine les femmes. Mais un an après la chute de l'ancien despote Moubarak, avec un parlement où dominent les frères musulmans et les salafistes, les femmes égyptiennes redoutent que rien ne change. @font-face {"Calibri"; }p.MsoNormal, li.MsoNormal, div.MsoNormal { margin: 0cm 0cm 0.0001pt; font-size: 12pt;"Times New Roman"; }.MsoChpDefault { font-size: 10pt; }div.WordSection1 { page: WordSection1; }
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Un an après la chute de Moubarak, que veulent les Egyptiennes ?
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« On veut notre liberté »

30.01.2012Meeda, 26 ans, activiste
« On veut notre liberté »
Meeda, activiste.
Le 25 janvier dernier, pour le premier anniversaire du début de la Révolution égyptienne,  Meeda était plantée milieu de l’avenue Talat Haarb qui mène Place Tahrir. Tenant, la bouche bandée, cette pancarte où l’on pouvait lire : « Un an après la chute du régime de Moubarak, rien n’a changé. On réclame toujours la démocratie, la liberté et nos droits. On ne veut pas des islamistes qui vont nous réduire au silence et museler la démocratie et les libertés fondamentales. »

« On nous a forcées à un test de virginité »

Ooda, 22 ans, universitaire en sciences sociales.
« On nous a forcées à un test de virginité »
Ooda, 22 ans, universitaire.
« Le 9 mars dernier, alors que je manifestais Place Tahrir, l’armée m’a embarquée en prison avec 17 autres filles. Là, on nous a forcées à un test de virginité parce qu’on avait dormi sous les tentes avec des garçons ! Certaines ont été battues et soumises à des décharges électriques parce qu’elles refusaient de se livrer au test. Moi aussi, je refusais car je n’ai aucun compte à rendre aux militaires sur ma vie et mes choix de femme. Mais je l’ai fait quand même, de peur d’être torturée. J’ai eu  très peur de la réaction des militaires car j’ai un fiancé depuis deux ans et ne suis pas vierge. Mais dans cette Egypte conservatrice où les relations sexuelles en dehors du mariage sont taboues, çà peut causer des ennuis. J’ai passé  dix jours en prison,  et depuis, je suis poursuivie pour prostitution ! Heureusement, mon fiancé me défend et on a pris une avocate. »

« 83 % des Égyptiennes se déclarent harcelées sexuellement »

Marwa, 45 ans, avocate et activiste
« 83 %  des Égyptiennes se déclarent harcelées sexuellement »
Marwa, avocate.
Elle travaille entre autres pour le Centre Egyptien des Droits de la Femme sur des affaires liées à l’excision et au harcèlement sexuel. « Pour vous faire une idée de la condition des femmes en Egypte, retenez que 83 %  des Égyptiennes se déclarent harcelées sexuellement, et que plus de 90% d’entre elles sont excisées alors qu’une loi l’interdit ! L'excision, comme les tests de virginité, sont répandus dans  toutes les classes sociales car la tradition est la même que vous soyez ouvrier ou responsable d'une banque C’est donc très difficile de faire respecter cette loi à cause des mentalités et de la pauvreté. Plus de 50% de la population vit sous le seuil de pauvreté et rares sont les femmes éduquées et au fait de leurs droits. Changer les mentalités par l’éducation est notre challenge pour lutter contre ces discriminations. Mes clientes ont très peur de porter plainte et d’entamer une procédure contre leurs maris ou leur famille à cause des pressions et du joug familial. Elles ont peur des représailles. Au centre des Droits de la Femme, j’anime des ateliers et des formations pour leur expliquer que des lois protégeant leurs droits existent. Si très peu  de femme victimes entament des procédures, le fait qu’elles connaissent ces lois et leurs droits est déjà un pas »

Une société « hypocrite »

Djamila, 32 ans, mère de famille
Une société « hypocrite »
Une vitrine au Caire.
Sur l’avenue commerçante Talaat Harb du Caire, les boutiques de prêt à porter féminin avec en vitrine, des mannequins portant des jupes ultra courtes et sexy abondent. Des femmes en niqab y posent souvent leur regard. Comme Djamila, 32 ans, mère de famille. « J’adorerais mettre ça ! Mais même pas en rêve ! Si je ne sors pas voilée, mon mari me fait des reproches. Et si j’achetais ce genre de tenues, il me traiterait de prostituée ! Cette société est hypocrite. La liberté n’existe qu’en vitrine». Une société hypocrite ? Oui. Ces mêmes Egyptiens qui interdiraient à leur femme ou à leur fille de porter ces robes sont friands consommateurs de sexe sur le Net. Le dernier ranking de Google en la matière les classe cinquième au monde. Les boîtes de nuit où les danseuses, souvent dénudées, se déhanchent sur les rythmes à la mode, sont elles remplies d’hommes barbus qui ont voté pour les Frères ou les Salafistes. Et L’Egypte est un gros producteur de films pornos dont les actrices sont adulées et coulent des jours paisibles au bord du Nil. »

La femme, « un objet sexuel dans notre société »

Aliaa Magda Elmahdy, 20 ans, étudiante en science politique
La femme, « un objet sexuel dans notre société »
La blogueuse Aliaa Magda Elmahdy.
En octobre dernier, elle a affiché sur sa page Facebook son autoportrait nu, au corps frêle, en bas noirs. Cela a déclenché un énorme scandale, bien que le compteur des « pages vues » ait atteint 4,5 millions en un mois. Même après la révolution, se montrer nue, pour une femme, sur un blog artistique, demeure une provocation politique grave. C’est un acte de liberté inouï, un défi à une société conservatrice où l’immense majorité des femmes se voile, où s’embrasser en public est scandaleux, où le cinéma est censuré. Sur ses blogs, elle continue à mener campagne pour la liberté artistique, les droits des femmes, une société plus libérale, la séparation de l'église et de l'État « On considère toujours la femme comme un objet sexuel dans notre société ». « Je revendique ma liberté sexuelle, le droit de ne pas me marier, mon athéisme. Nous devrions pouvoir vivre notre vie comme nous l’entendons. » Depuis les élections, elle a reçu des menaces de mort et de viol. Et vit dans un lieu tenu secret entre Le Caire et Alexandrie. « La mort rôde et je la sens. Mais je n’ai pas peur. C’est très dangereux pour moi. Et puis, je me sens abandonnée. Mes amis m’ont reniée. Je dois me débrouiller seule pour assurer ma sécurité. Chaque jour que je passe est un combat pour survivre. Je tente de sauver ma peau.». Pour le célèbre écrivain égyptien Alaa al-Aswany, Alia a fait devant les objectifs ce que la majorité des jeunes de son âge font en cachette, notamment s’embrasser ou faire l’amour avant le mariage. «Elle joue le rôle d’un bouc émissaire parfait dans une Egypte qui voit le mal partout».

« L’Islam est le vrai chemin »

Fatehma, 31 ans, mère au foyer.
« L’Islam est le vrai chemin »
Fatehma, mère de famille
Cette femme et son mari ont voté comme la majorité des Egyptiens pour les Frères Musulmans. Pour elle, ces féministes sont « des activistes révolutionnaires qui font la révolution pour faire la révolution ». « Les Frères Musulmans ont largement remporté les élections car ce sont des gens bons et qui oeuvrent pour la société. Ils respectent la Femme, contrairement à ce que pensent toutes ces jeunes agitées de la Place Tahrir. Si la liberté des femmes signifie se mettre nue sur internet et coucher avec qui on veut, et s’habiller de façon provocante en exhibant son corps à la vue de tous, moi, j’appelle cela de la décadence. »

« La condition de la femme recule »

Maida Helwan, enseignante en sciences humaines à l’université du Caire
« La condition de la femme recule »
Maida Helwan, sociologue.
« Je suis sidérée de constater qu’à l’Université où va pourtant la frange aisée et éduquée de la population, il y a bien plus d’étudiantes voilées qu’avant, et que beaucoup se plaignent d’être harcelées tant il y a de frustration chez les garçons! Pour moi, la femme aujourd’hui en Egypte est une esclave de l’homme, de la société, de la religion, de la politique  et de l’économie. Elle est loin l'Égypte émancipatrice des années 70 où les femmes avaient gagné le combat contre la polygamie et obtenu la légalisation du divorce ! Notre condition a même reculé et je crains fort qu’avec un Parlement islamiste à 97% masculin, la rédaction de la future Constitution n’aille pas dans le sens d’une reconnaissance des droits de la Femme. »

« Rien faire sans l’autorisation du frère ou du père »

Saïfa, 28 ans, journaliste au grand quotidien “Al Ahram“
« Rien faire sans l’autorisation du frère ou du père »
Saïfa, journaliste égyptienne.
« Après cette partie, je dois filer vite sinon mon frère va me poser des tas de questions! Je peux toujours dire que je suis retenue par le travail. Mais si je tarde trop, il appelle le journal pour vérifier si j’y suis ! J’en pleure tous les soirs tellement il me fait vivre l’enfer !» Il n’est que 20h et Saïfa aime rejoindre ses amis au café après le travail. Elle fume mais a caché sa cigarette pour la photo. « Bien sûr, ma famille ne sait pas que je fume et que je vais dans les cafés. S’ils le savaient, ils seraient capables de me frapper ou de m’enfermer à la maison !  Nous femmes, n’avons aucune liberté ! On ne peut rien faire sans l’autorisation du frère ou du père. Même faire les boutiques avec les copines est compliqué ! »  Saïfa est représentative de cette classe moyenne élevée de la population égyptienne où les femmes ont éduquées et travaillent mais restent dans la tradition sous le joug de la famille. « Mes parents me laissent partir en voyage de presse avec le journal mais exigent presque que je les tienne au courant toutes les heures de ce que je fais et avec qui je suis ! çà n’a pas de sens !».En tant que journaliste, elle fait de son mieux pour écrire des articles de société sur les discriminations envers les femmes. « Mes papiers sont presque toujours refusés parce que çà dérange. Il faudra du temps pour que les mentalités changent »

« la société féminine est scindée en deux »

Mansouria Komsan, 36 ans, sociologue
« la société féminine est scindée en deux »
Mansouria Komsan et sa mère, place Tahrir.
« Les femmes sont autant  mobilisées que les hommes. Et elles le sont plus encore sur la Toile. Leurs photos dans les manifs fleurissent sur Facebook et sur Twitter. Mais les Égyptiennes ne forment pas un bloc unifié. A l’image de leur société,  elles sont scindées en deux : les féministes laïques d’un côté, les  partisanes d’un État islamique de l’autre. Ces deux mouvements devraient  apprendre à cohabiter. Autre problème : le niveau  d’éducation. A l’inverse de la Tunisie, il n’existe pas de classe  moyenne en Égypte. Seule une petite frange des Égyptiennes est  éduquée, la plupart vivent encore sous le joug de leur père, de leur  mari ou de leur frère. Il faudra au moins une génération pour que le statut de la Femme évolue et trouve une place dans cette Egypte conservatrice. Les jeunes féminises aujourd’hui Place Tahrir préparent la place pour leurs enfants ».

« Peser dans l'Egypte de demain »

Lamis Elalym Khatah, ex-candidate aux législatives
Lamis fait partie de ces très rares femmes à être candidates dans un pays où elles sont sous représentées politiquement, la Constitution leur barrant l’accès à certaines hautes fonctions publiques et politiques. Sur 513 députés au nouveau Parlement, il n’y a ainsi que 12 femmes. Des associations féministes ont dénoncé le recul des femmes dans la vie politique, dû aux derniers amendements de la Constitution - telle la suppression des quotas de 56 sièges au parlement. Heureusement, certains leaders politiques de tendance libérale veulent réformer la Constitution pour instaurer un quota de 30% de femmes sur les listes électorales. En attendant, aux présidentielles prévues le 30 juin prochain, une seule est candidate : Bothaina Kamel, 49 ans, journaliste pour CNN. Une première dans l’histoire du pays. Activiste politique et sociale, elle est connue des Egyptiens pour son émission radio « Nightime Confessions » - fermée  en 1996 sous la poussée des militaires et des religieux. « Je ne veux pas me faire imposer la charia par les Frères Musulmans, ni renoncer au rôle des femmes dans la transition démocratique du pays. Mon action est populaire car je représente l'ambition de nombreuses autres femmes : peser dans l'Egypte de demain. ». Pour Dina Hussien, directrice du Centre Egyptien des Droits de la Femme, « On ne peut avoir de réelle transition démocratique sans une participation accrue des femmes dans la vie politique pour parvenir un jour à une parité hommes-femmes. Mais hélas, avec un parlement composé à plus de 60% par les Frères Musulmans et les Salafistes, je crains que les Femmes n’aient pas leur place »

« Nous aidons plus de 6000 femmes chaque année »

Dina Hussien, directrice du Centre égyptien des Droits de la Femme
Le Centre égyptien des Droits de la Femme (ECWR)a été fondé en 1996 dans un quartier pauvre du Caire par six femmes dont l’avocate Dina Hussien, sa directrice. Reconnue par le Ministère égyptien de la Solidarité sociale, cette ONG a également un statut consultatif au Conseil économique et social de l’ONU et travaille en Egypte avec un réseau de plus de 800 associations locales. « Notre programme phare est l’assistance juridique aux femmes victimes d’harcèlement ou de discriminations dans leurs familles. Nous aidons directement plus de 6000 femmes chaque année. Nos équipes se déplacent dans les villages, informent ces femmes de leurs droits et fournissent une aide juridique directe. Plus de femmes connaîtront leurs droits plus la situation évoluera. L’autre volet est la formation politique. Pour les femmes qui veulent devenir candidates, on leur apprend  à parler en public, comment mener une campagne… Si les femmes ne sont pas plus représentées en politique, la situation ne changera pas. En quinze ans, notre combat porte ses fruits mais le nouveau parlement composé d’hommes en majorité islamistes n’augure rien de bon », expose sa directrice.