Fil d'Ariane
16 septembre 2023. Un an s'est écoulé depuis la mort de Mahsa Amini, un an depuis l'émergence du mouvement #FemmeVieLiberté. Pour marquer cette date qui a bouleversé la société iranienne, et le monde entier, "Mèches de feu" relaie en vers et en musique le message de liberté des femmes d'Iran.
Sur la tombe de Mahsa Amini, l'étudiante de 22 ans morte le 16 septembre 2022 lors de son arrestation par la police des moeurs iranienne, une phrase : "Chère Jina, tu n’es pas morte : ton nom devient un mot de passe." Un mot de passe pour la liberté, qui s'est propagé dans tout le pays, et bien au-delà. #Femme, vie, liberté est devenu le cri de ralliement du combat pour le droit d’exister en tant que femme et en tant qu’être humain pour tous ceux qui renient le régime des mollahs.
Le concert poétique "Mèches de feu" met en scène des poèmes iraniens lus par Julie Gayet et mis en musique par trois femmes musiciennes. Né de la collaboration d'artistes, de bénévoles et de mécènes avec l'association Gondishapour – qui agit pour la scène culturelle iranienne en France – le projet se veut l'écho des voix de la résistance. Un seul objectif commun anime ce collectif : apporter son soutien à celles et à ceux que l’on a parfois du mal à entendre sur la toile de fond d'une actualité dense et dramatique.
Caroline Guillemin, cofondatrice de "Mèches de feu", n'a aucun lien personnel avec l'Iran, mais il y a un an, quand Mahsa Amini est décédée, elle a accusé le coup : "J'ai été choquée par la façon dont elle est morte, mais aussi par le contexte général. Alors je me suis mise à suivre et relayer sur les réseaux sociaux tout ce qui avait trait au mouvement #FemmeVieLiberté", se souvient-elle. Contactée par un ancien collègue iranien – traducteur des poèmes lus dans le spectacle – elle se laisse facilement convaincre : "Je voudrais que ces femmes nous entendent, m'a-t-il dit, qu'elles sachent que, derrière les médias qui ne peuvent pas couvrir toute l'année leur bataille, elles ne sont pas oubliées. "
Qui a envie de laisser à nos filles un champ de ruines sur les droits des femmes ? Caroline Guillemin
A ce stade, le projet n'a pas l'ambition de mobiliser des personnalités connues. Et puis Caroline Guillemin, qui travaille dans le milieu musical, commence à en parler autour d'elle, à la pianiste Shani Diluka, à l'actrice française Julie Gayet... Très vite, elle comprend que la révolte des femmes iraniennes touche un large public : "C'est la première fois que je vois un combat qui réunit tout le monde – les vieux, les jeunes, des gens qui ont des liens avec l'Iran, ou qui n'en ont pas – autour de valeurs universelles et de visages. Pour ma part, je n'oublierai jamais celui de Mahsa Amini." Comment ne peut pas se sentir concerné ? constate-t-elle a posteriori. "Qui a envie de laisser à nos filles un champ de ruines sur les droits des femmes ?"
Portée par cette énergie, une oeuvre musicale prend forme. Un compositeur écrit une pièce pour piano et violoncelle pour accompagner les textes d'un poète iranien. Avec la pianiste Shani Diluka, Sonia Wieder-Atherton au violoncelle et la mezzo-soprano iranienne Anousha Nazari, un puissant trio musical émerge. Vient s'y ajouter l'actrice Julie Gayet, qui prête sa voix aux poèmes. "Ensuite, nous avons réuni une équipe de techniciens qui ont tous accepté de participer bénévolement. Enfin la philharmonie de Paris a accepté de nous accueillir," raconte Caroline Guillemin.
Les interprètes de "Mèches de feu"
L'art au service de la liberté des femmes iraniennes est un choix. Un choix qui permet de communiquer et d'être entendue partout, une façon de faire vivre des valeurs de façon apolitique et non violente. Pour le collectif "Mèches de feu", il est d'autant plus important de rappeler que des femmes, mais aussi des hommes, se battent pour leur liberté et pour leur vie que la répression s'intensifie autour de la date anniversaire du 16 septembre. "Oui les réseaux sociaux sont coupés, mais toutes les familles trouvent le moyen, par VPN ou autre, de voir ce qui s'y passe. Nous sommes persuadés que les militantes en Iran verront nos clips. Nous voulons qu'elles puissent se dire : "il y a des gens, en France, qui se rappellent que le 16 septembre, une jeune fille est morte parce qu'une mèche de cheveux dépassait de son voile."
Si nous parvenons à leur donner la force de continuer, un tout petit peu d'énergie, d'envie, de volonté, alors nous aurons gagné. Caroline Guillemin
Pour Caroline Guillemin, le projet aura fait mouche s'il parvient à réinsuffler de la force aux femmes qui portent le mouvement #FemmeVieLiberté : "Rares sont celles d'entre nous qui auraient le courage de faire ce qu'elles font aujourd'hui dans les rues de Téhéran. Si nous parvenons à leur donner la force de continuer en leur montrant que nous sommes là, à notre manière, à leur donner un tout petit peu d'énergie, d'envie, de volonté, alors nous aurons gagné."
Ce que veulent aussi les organisateurs du projet, c'est susciter l'attention de celles et ceux qui ne sont pas conscients de la situation des Iraniennes. La force de "Mèches de feu" réside dans l'émotion et la beauté artistique qui se dégage de l'oeuvre, et qui touche tous les coeurs, qu'ils soient, ou pas, concernés par le combat des Iraniennes.
D'après les témoignages qui parviennent actuellement d'Iran, les femmes continuent à se battre, même si, à l'approche du 16 septembre, la répression s'intensifie. Ce moment-clé de la révolte et sera sans nul doute célébré par les militant.es, en mémoire de Mahsa Amini et de tous et toutes les autres qui sont tombés. Ainsi "Mèches de feu" a choisi cette date pour diffuser sur les réseaux sociaux des extraits du concert (enregistré le 22 mai 2023) et nourrir l'énergie collective qui va émerger ce jour-là.
Mission accomplie, semble-t-il, pour Caroline Guillemin, qui se dit presque dépassée par les réactions positives qui accueillent la diffusion des premiers extraits du concert. "Je n'oublierai jamais ce 22 mai, quand nous avons terminé l'enregistrement, se souvient-t-elle. Au clap de fin, tout le monde était porté sur la même émotion, de la maquilleuse qui était venue dépanner en passant par le technicien de la philharmonie et les artistes mondialement reconnues. Toutes et tous ont investi une énergie folle pour que le résultat soit parfait et que l'émotion soit à son comble."
Cette magie, pour la cofondatrice du projet, vient de l'alliance entre la musique orientale, les textes du poète et les visage des quatre artistes, très différentes, décuplée par les jeunes générations venues apporter leur énergie. "Ces jeunes portent l'espoir de la faculté des jeunes à se mobiliser. Quand la cause est belle, ils sont vraiment là," s'enhousiasme Caroline Guillemin.
Terriennes : un an après la mort de Mahsa Amini, la colère et la résistance des femmes ne retombe pas, mais à quel prix… La situation est plus qu’inquiétante pour les Iraniennes, comment le vivez-vous ?
Anousha Nazari : en tant que femme iranienne, c’est très difficile pour moi. Je ressens un lien indéfectible avec ces femmes qui se battent chaque jour pour leur dignité et leur liberté en Iran. Elles luttent non seulement pour leur propre émancipation, mais aussi pour la préservation de leur richesse et de leur patrimoine culturels, tout en naviguant dans un environnement souvent hostile.
Mèches de feu" considère la culture et le beau comme une réponse à l’obscurantisme. Anousha Nazari
Participer à "Mèches de feu", c’était une évidence ?
Oui, ce collectif "Mèches de feu" est apolitique et considère la culture et le beau comme une réponse à l’obscurantisme. C'est pour moi l’opportunité d’utiliser la musique et la poésie comme des instruments d’éveil et de changement. La musique et la poésie ne sont pas seulement des distractions, à mon avis, mais des vecteurs de culture, des voix qui racontent l’histoire humaine dans toute sa complexité. En Iran, elles ont une longue histoire. La poésie et la musique sont des éléments essentiels de l’identité culturelle. Avec "Mèche de feu", nous voulons puiser dans cet héritage ancestral pour amplifier la voix des femmes iraniennes.
Que disent ces poèmes ?
Ils ont été écrits pendant cette révolution par un poète iranien. Ce sont des poèmes de la révolution, mais aussi d’espoir.
Vous avez quitté l’Iran il y a quelques années pour poursuivre votre carrière internationale, pourquoi ce choix ?
En Iran, le chant solo est interdit pour les femmes. Elles n’ont que le droit de chanter dans les chorales. En tant que chanteuse soliste, pour être professionnelle, exercer mon métir et mener une carrière, j’étais obligée de quitter mon pays."
J’ai quitté mon pays pour avoir la liberté d’exprimer mon art. Je me suis auto-exilée. Anousha Nazari
Que ressentez vous aujourd’hui, loin de chez vous ? Ce serait compliqué d’y retourner ?
Aujourd’hui, je ne peux plus rentrer en Iran, hélas, même si j’en meurs d’envie. J’ai pris cette décision pour avoir la liberté d’exprimer mon art. Je me suis auto-exilée. À mon avis, la culture est le meilleur moyen de résistance, c’est mon langage.
Ce qui se passe en Iran pour les femmes, est-ce juste une histoire de cheveux ? Non, pas seulement, car la situation des femmes en Iran n’est pas un problème local, c’est une question de droits humains, un problème universel. Ces femmes luttent chaque jour pour des libertés fondamentales que beaucoup d’entre nous tiennent pour acquises.
Je voudrais être la voix de toute une génération de solistes iraniennes qui n’ont pas le droit d’exercer leur art en public.Anousha Nazari
Quel message voulez-vous adresser ?
Je voudrais juste, à mon humble échelle, être la voix de toute une génération de solistes iraniennes qui depuis des décennies n’ont pas le droit d’exercer leur art en public.
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