Fil d'Ariane
Les femmes de Palestine ne font pas des métiers d'hommes. Les femmes voilées ne font pas de théâtre au Liban. Les femmes battues ne se rebellent pas en Israël. Autant d'idées reçues qu'il est difficile de dépasser. La Fondation des femmes de l'euro-méditerranée a pour but de combattre les violences faites aux femmes et de coordonner les actions locales dans les 27 pays membres de l'UE et les pays du Sud de la méditerranée.
En 2017, la Fondation lance pour la première fois un concours photos, ouvert aussi bien aux amateurs qu'aux professionnelles. Annoncé le 25 novembre, jour symbolique de lutte contre les violences faites aux femmes, ce concours est « une manière différente de prendre ce sujet, pour en finir avec les stéréotypes et pour donner une image positive des femmes qui agissent et changent les choses dans leur environnement », explique Émilie Vidal, coordinatrice d'équipe à la Fondation des femmes pour l'euro-méditerranée.
Pour le moment, il n'est pas question d'en faire un événement régulier, même si le succès a été au rendez-vous : « On ne s’est pas donné d’obligation de le faire chaque année. Déjà parce que nous ne savons pas si nous aurons le financement nécessaire. Mais nous voulons une action annuelle de mobilisation, liée a une campagne de sensibilisation. Il est vrai que ce concours a très bien marché. Il a eu lieu sur facebook, on a eu beaucoup de likes. »
La Fondation a reçu plus de 120 participations de photographes amatrices ou professionnelles pour ce concours qui avait pour thème : « Femmes d'exception : en finir avec les stéréotypes dans la région euro-méditerranéenne » .
Les photos devaient être accompagnées d'un petit texte qui raconte leur histoires. Le concours exigeait également que les clichés n'aient pas été publiés auparavant sur le net : « On voulait de la primeur et donc que les choses soient innovantes, inédites. On a aussi voulu une dimension esthétique de la photo ainsi qu’une histoire pertinente », commente Émilie Vidal.
Dix photos ont donc été pré-sélectionnées pour aller en finale. Les internautes pouvaient départager les oeuvres en "likant" les photos sur la page facebook de la Fondation. Malheureusement, il a été constaté des recours à de faux comptes, ainsi qu'à des robots pour augmenter le nombre de votes en masse. Résultat, même si Émilie Vidal assure que le vote du public a été respecté, la Fondation a décidé de mettre en place un jury extérieur pour choisir les trois photos gagnantes.
Les dix photos seront exposées et feront l'objet d'un atelier dans le cadre du 8ème Congrès international des recherches féministes dans la francophonie (CIRFF2018), entre le 26 et le 31 août 2018 à l’Université Paris-Nanterre. Les trois photographes gagnantes seront invitées à présenter leur oeuvre, et leur vision du féminisme.
Ces trois femmes gagnantes viennent du Maroc, d'Algérie et de France (photo prise en Belgique pour cette dernière). Deux des lauréates, Nassima Baziz et Nora Noor s'entretiennent avec Terriennes et évoquent aussi bien leur engagement féministe que leur activité de photographe.
Quel que soit le contexte dans lequel on se trouve, on s'inscrit toujours dans un stéréotype, une idée dont les autres se font de nous.Nassima Baziz, photographe et architecte algérienne
Terriennes : Depuis combien de temps faites vous de la photo ?
Nassima Baziz : J'ai acheté mon premier appareil réflexe il y a une dizaine d'années, pour un voyage dans le sud algérien, j'ai très tôt fait partie d'un club de photographes amateurs de Constantine, et je me considère toujours comme amatrice ... malgré quelques photos dont je ne suis pas peu fière.
Nora Noor : Ça va bientôt faire 15 ans que je suis photographe. J’ai d’abord commencé avec la vidéo et le cinéma en 1996. J’appris à travailler les pellicules et l’image d’un point de vue cinématographique. Pendant les années 2000, j’ai rencontré un photographe qui m’a dit « si tu sais prendre 24 images/secondes, essaye d’en prendre une », et là c’était la révélation, ce fut un genre de mariage forcé avec la photographie. J’ai fait ensuite une formation dans une école spécialisée dans la photographie d’auteur et argentique. J'y ai appris à utiliser les pellicules, les développer en labo et surtout j'y ai appris à raconter une histoire.
A retrouver dans Terriennes autour de la féministe marocaine Betty Lachgar, sujet de la photographe Fatima Essabar :
> Au Maroc, comme ailleurs, méfiez vous du selfie…
> Maroc : deux jeunes filles en procès pour homosexualité. Colère de Ibtissame Betty Lachgar
> Maroc : deux jeunes filles en procès pour homosexualité. Colère de Ibtissame Betty Lachgar
Selon vous, comment la photo peut changer ou casser les stéréotypes dont les femmes sont victimes ?
Nassima Baziz : Je pense que quel que soit le contexte dans lequel on se trouve, on s'inscrit toujours dans un stéréotype, une idée dont les autres se font de nous, et à l'intérieur de laquelle on peut se reconnaître (ou pas). Le fait est que le stéréotype implique pour moi une notion de case, ce que j'essaye de réfuter dans mon travail. Les femmes sont tellement plurielles, singulières, différentes, qu'il est insultant de réduire à une simple case.
Nora Noor : Oui, bien sûr. À condition que les photos soient diffusées. Si elles restent sur un disque dur, ou dans un entre-soi, sur Facebook avec 15 amis, ça ne servira pas à grand chose. Je pense sincèrement qu’on change les sociétés, pas nécessairement par des opinions, mais par des modèles. Et les modèles, il faut les montrer. C’est important de montrer un maximum d’images qui cassent les stéréotypes. Ça peut passer par de la publicité, des magazines, des concours photos, des banques d’images Il faut le faire, et ensuite il faut les diffuser un maximum. C’est là où ça coince.
En France, on vit dans une illusion de l'égalité. La société a reussi à nous faire croire qu’hommes et femmes sont égaux, que les femmes sont en securité alors que la réalité est toute autre.Nora Noor, photographe féministe française
Parlez-nous de votre photo et de son contexte ?
Nassima Baziz : La photo Les anonymes, est avant tout pour moi une retranscription d'un moment, d'un instant, d'une atmosphère. Celle de l'approche du nouvel an, de l'euphorie de copines militantes qui se retrouvent autour d'un moment ludique de partage. Quoi de plus ludique au final que de danser ? La rencontre tournait autour de l'animation d'un atelier de danse contemporaine, par Meriem, diplômée et enseignante de danse contemporaine algérienne, qui exerce à Montréal. Ce fut le premier cours (et j'espère pas le dernier) qu'elle donna à des compatriotes. Son discours tinté de nostalgie et d'émotions au début de l'atelier nous a beaucoup touchées, et a donné une certaine solennité à ce moment.
Nora Noor : Dans le cadre de ma mission dans une association féministe à Bruxelles, il m'est souvent arrivé de faire des portraits de femmes. La présidente de l'association était allée voir la pièce de théâtre Jogging de Hanane Hajj Ali, qui est une comédienne libanaise. On m'a envoyée faire une série de portraits d'elle, à son hôtel. On a discuté pendant quasiment deux heures avant que je ne prenne une photo. Il a fallu faire connaissance. On a fait les premières photos dans le hall de l’hôtel, puis elle s’est remaquillée et on a decidé de les faire dans sa chambre. Pendant notre conversation elle m’a dit « Je veux abattre les voiles que l’on a devant nos yeux ». Elle veut combattre l’obscurantisme, sous toutes ses formes, y compris celui que subissent les femmes voilées ici en Occident. C’est très fort. Elle veut qu’on aille vers la culture, les arts, pour éclairer nos esprits. Cette conversation m’a illuminée. Du coup, j’ai vu la lampe près de son lit, et je lui ai demandé de tendre le bras vers la lumière pour faire la photo. Je voulais qu'elle ait du sens. On a l’impression qu’elle porte un trophée, comme une récompense. Et elle le mérite. Hanane est une vraie actrice technicienne. Elle a étudié le théâtre à l’université, elle n’est pas là par hasard.
Quel est le point à améliorer en priorité, concernant les droits des femmes dans vos pays respectifs ?
Nassima Baziz : Je ne suis pas certaine qu'il n'y en est qu'un. Mais en y réfléchissant je dirais qu'il y a l'autonomie qui me paraît primordiale, ou l'autonomisation des femmes disons. En matière d'accès à l'éducation et au monde du travail, l'Algérie a accompli un travail monstre, depuis l'Indépendance. J'enseigne à la fac, et la plupart du temps le taux des femmes dépasse allégrement les 60% en amphi. Plus tard, on en retrouve beaucoup moins en tant que force active, et encore moins à des postes de responsabilités. Mais là où le bât blesse encore plus, c'est le retard dans les mentalités. Hormis dans les grandes villes et encore, les femmes sont encore perçues comme des espèces d'éternelles mineures, elles ont beau avoir des bac+10, être médecin, infirmière, avoir une entreprise ou tout simplement gagner leur vie, elles restent soumises au système patriarcal, et sous la tutelle de quelqu'un. Un genre de tutelle permanente. Les femmes sont tout le temps soumises à l'approbation de l'homme, dans leur manière de se vêtir, de parler, des endroits à fréquenter ou non, de leur utilisation de l'espace pourtant public etc. Très peu de femmes osent habiter seules par exemple et cela se comprend. Tout est fait de manière à ce que la société conditionne la position des femmes. Un gros travail reste à faire là dessus.
Nora Noor : Il y a quelque chose qui me gêne en France, on vit dans une illusion de l'égalité. La société a reussi à nous faire croire qu’hommes et femmes sont égaux, que les femmes sont en securité alors que la réalité est tout autre. Nous n’avons aucune leçon à donner au reste du monde, et il faudrait peut-être balayer devant notre porte. Le premier problème c'est de briser cette illusion. Bien sûr, on a des avantages comparées à d’autres femmes ailleurs. Mais nous ne sommes pas encore arrivées à une égalité parfaite, ni à un niveau de sécurité idéal. Il faut que la loi soit du côté de la femme. La priorité c’est l’arrêt des violences faites aux femmes, par la loi, par une reflexion autour des publicités sexistes, par des sanctions des discours sexistes, notamment chez les hommes politiques. Il faut recadrer tout ça. La tribune des 100 signataires pour le droit à importuner prouve qu’un petite minorité vit dans une bulle d’illusions.
Vous considérez-vous comme une artiste ou comme une activiste féministe ?
Nassima Baziz : Architecte de formation, j'ai pourtant toujours eu du mal à me définir en tant qu'artiste. Je suis une férue d'exposition, de vernissages, de musées en tous genres etc. Mais je ne me définis pas en tant qu'artiste, tout simplement parce que je n'y consacre pas assez de temps. Cela dit ma profession fait que nous entrainons notre œil à débusquer de l'art un peu partout. A contrario, le statut de militante féministe me convient plus. Voilà quelques années déjà, que je fais partie du collectif féministe Sawt N'saa ("espace d'expression dans lequel nous voulons dénoncer activement et agir sur le harcèlement que subissent les femmes Algériennes dans les lieux publics", ndlr), que je participe assez souvent aux activités des autres associations militantes féministes notamment à Alger. J'ai également fait partie de l'association française OLF (osez le féminisme) quand je vivais encore à Tours. Cela a été très instructif d'ailleurs sur le plan du comparatif des deux contextes, maghrébin et européen, en l’occurrence. D'autre part, ma recherche doctorale sur l'utilisation des espaces publics algériens, m'a également dirigée vers l'usage sexué et différencié des lieux, qui sera d'ailleurs l'un des résultats majeurs de cette recherche. Je vous invite d'ailleurs à lire mon article sur le sujet. Tout ça pour vous dire, qu'à un certain moment j'ai bouffé du féminisme matin midi et soir !
Nora Noor : Je dirais une « artiviste » comme Hanane Hajj Ali. Je ne sépare pas les deux, ça va ensemble.
Il y a des jours où le fait de m'habiller comme je veux, prendre ma voiture pour sortir, aller prendre un café seule au soleil, un livre à la main, est un combat en soi
Nassima Baziz
Comment s'exprime votre féminisme au quotidien ?
Nassima Baziz : Pas grand chose en ce moment... Lassée parfois par les combats constants, dont les résultats ne sont pas toujours visibles. Il y a des jours, comme celui-ci où le fait de m'habiller comme je veux, prendre ma voiture pour sortir, aller prendre un café seule au soleil, un livre à la main, est un combat en soi.
Tu ne peux pas te dire féministe si tu ne traites pas tes semblables avec respect et bienveillance
Nora Noor
Nora Noor : Ça va peut être paraître niais, mais la base c’est la bienveillance, entre femmes surtout. Je trouve qu’on ne se parle pas assez bien. Le fait de tirer les femmes vers le haut, de se booster entre nous c’est important. Je travaille beaucoup sur l’image des femmes, j’essaye de les valoriser à chaque fois que je les prends en photo. Ces images là jouent aussi sur leur estime de soi. Bien sûr je vais aux manifestations etc .. mais le mot féministe se mérite. Tu ne peux pas te dire féministe si tu ne traites pas tes semblables avec respect et bienveillance. Ça ne tient pas la route pour moi.
Dans le cadre de mon travail, je fais des ateliers à destination des femmes, des conférences, mais la base ce sont ces petites choses là. C’est la même démarche que nous avons sur le magazine en ligne que j’ai cofondé avec une amie : Dialna.fr
Dans nos articles, on met en avant, on valorise les personnes issues de la diversité, femmes y compris, bien entendu.