Depuis mars 2015, en France, l’Université Paris 8 en partenariat avec le Département de la Seine-Saint-Denis, au Nord de Paris, propose à des professionnels du milieu social, scolaire, juridique ou médical une formation inédite en France. Il s’agit du premier diplôme (Bac+3) de politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes.
L'affaire
Jacqueline Sauvage, dont la condamnation à 10 ans de réclusion pour avoir tué un mari violent a ému beaucoup de personnes en France avant d'être grâciée, aura eu au moins le mérite de pointer les manques en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Parmi ces carences, le déficit de formation qui permet d'affronter ces situations par les professionnels concernés, est souvent mis en accusation. L'expérience en cours dans le département de la Seine Saint Denis, banlieue populaire de Paris sera donc suivie avec attention. Si les résultats sont là, elle pourrait faire des émules.
Neuf heures sonnent. Une vingtaine de femmes prennent place au hasard dans une salle de cours de l’Université Paris 8, à Saint-Denis, banlieue Nord de Paris. Ce samedi matin, elles reçoivent l’avocate au Barreau de Paris et spécialisée en droit de la famille Delphine Zoughebi. Avant de débuter son intervention, la femme de loi a choisi de leur passer un court-métrage. Intitulé « Protection sur ordonnance », il est issu d’un kit pédagogique élaboré par la
MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains) à destination des professionnel-le-s pour comprendre et agir contre les brutalités faites aux femmes.
Dans ce film, une mère de famille prend conscience que la violence conjugale qu’elle endure, met aussi sa fille en danger. Pour s’en sortir, elle entame un processus de séparation avec l’aide de la justice et demande une ordonnance de protection (articles 515-9 et suivants du Code Civil). «
Un aménagement juridique efficace mais encore balbutiant », déplore Maître Zoughebi. Mise en place avec la loi du 9 juillet 2010, l’ordonnance de protection permet d’avoir une réponse rapide et adaptée à des situations de violences conjugales. «
Elle est bien plus efficace qu’une procédure pénale, très souvent lourde et longue », soutient devant la classe l’avocate.
Grâce à ce dispositif pénal, le Juge des Affaires familiales peut ainsi pendant quatre mois ordonner la résidence séparée du couple, interdire au conjoint violent d’entrer en relation avec la victime et autoriser cette dernière à dissimuler son domicile, une protection dont bénéficient aussi les enfants. Mais tout cela, la plupart des professionnel-les amené-es à identifier, signaler et traiter des situations de violences - y compris les avocats - ne le savent pas.
Donner les outils
La formation des personnels amenés à intervenir auprès des victimes de violences est pourtant un enjeu essentiel pour comprendre et lutter contre ces violences. En France, 216 000 femmes âgées de 18 à 75 ans sont victimes chaque année de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. Parmi ces femmes, seules 16 % déclarent avoir déposé une plainte à la gendarmerie ou au commissariat de police. En 2014, 118 femmes ont été tuées par leur compagnon ou ex-compagnon. A ces décès, il faut ajouter la mort de 16 femmes tuées par leur partenaire dans une relation non-officielle (petits amis, amants, relations épisodiques).
La création d’un diplôme spécifique aux violences faites aux femmes était donc «
une nécessité » pour Ernestine Ronai. Responsable de l’Observatoire des violences envers les femmes du Conseil général de Seine-Saint-Denis, c’est en partie à elle que l’on doit
cette formation novatrice et unique en France, qui se déroule sur trois ans.
Son objectif ? «
Faire en sortes que les professionnel-les comprennent les mécanismes des violences, la stratégie de l’agresseur, ce qu’est le psychotrauma, l’impact sur la parentalité ainsi que les conséquences sur le développement de l’enfant », explique Edouard Durand, juge des enfants et coordinateur pédagogique de la formation aux côtés d’Ernestine Ronai.
Guilaine Samathi, assistante sociale au sein d’un hôpital d’Ile-de-France, se sentait désarmée. «
Dans le cadre de mes missions, je suis amenée à rencontrer des femmes victimes de violences conjugales. Mais leur prise en charge était souvent difficile. Je n’avais pas les outils nécessaires pour les traiter et les orienter de la meilleure façon »,avoue-t-elle. Alors quand elle entend parler d’un diplôme « Violences faites aux femmes », elle n’hésite pas et s’inscrit. «
J’ai d’abord envoyé mon CV et une lettre de candidature. J’ai eu un entretien. Enfin j’ai reçu mon admission. »
Créer du lien
Mais si sa formation est prise en charge par son employeur, ce n’est pas le cas de toutes les étudiantes. Certaines ont dû débourser la somme de 2 000 euros à laquelle s’ajoutent les 269,10 euros de frais d’inscription universitaire.
Sans regret pour Chantal Maigret dont l’inscription s’est faite indépendamment de sa hiérarchie : «
Je me forme sur mes propres deniers et mes congés annuels. » Comme Guilaine, cette psychiatre dans un hôpital militaire voit ce diplôme comme «
une aubaine ». Car depuis la création en avril 2014 de la cellule
Themis par le Ministère de la Défense, qui accompagne les victimes de violences sexuelles dans l’armée, plus nombreuses sont les femmes à venir se confier dans son cabinet : «
Cette formation est extrêmement enrichissante. Elle m’a apportée du matériel, des adresses, des numéros pour pouvoir aider au mieux mes patientes et surtout faire le lien entre mon service et ceux des autres. Sur le plan juridique par exemple, je n’y connaissais rien. Désormais, si j’ai besoin de renseignements, je pourrais faire appel à Maître Zoughebi. Et voir avec elle dans quel cas, je peux conseiller une ordonnance de protection. »
Des ambassadrices légitimes
Tisser une toile, diffuser l’information dans les réseaux, c’est aussi l’objectif de la formation. «
L’idée aujourd’hui c’est de former des formateurs, insiste Ernestine Ronai.
Une fois que les étudiantes auront obtenu leur diplôme, elles vont se faire les ambassadrices légitimes contre les violences faites aux femmes. »
Si ce n’est pas déjà le cas. Le 17 septembre 2015, Pascale Boistard la secrétaire d’Etat aux droits des femmes s’est ainsi rendue à Paris 8 pour faire un bilan d’étape de l’ouverture du diplôme. «
Cette visite nous a donnée une réelle assise et une crédibilité », se félicitent les étudiantes.
«
Le fait que cette formation soit universitaire veut dire que l’on reconnaît un diplôme spécifique lié à la prise en charge des femmes victimes de violences. Qu’il s’agit d’une compétence particulière, souligne Delphine Zoughebi tandis que son cours se termine.
On ne peut plus affirmer qu’on va lutter contre ce fléau et confier ça à la bonne volonté des personnes. Il faut enfin du personnel formé. »
Aller plus loin
A l’issue de cette formation, chaque étudiante devra, pour obtenir le fameux certificat, rendre un mémoire de trente pages. Pour le moment, elles n’ont que la problématique et le plan. Mais fin mars 2016, elles devront l’avoir entièrement rédigé.
« Dans les universités, il y a peu de travaux réalisés sur les violences faites aux femmes notamment dans les facultés de droit, remarque Ernestine Ronai. En plus de faire progresser la connaissance, le mémoire nous a paru un mode de validation adapté pour les élèves. En montrant ce qu’elles ont retenu des cours, elles apportent aussi leur propre créativité. Leur propre pierre à l’édifice. »
Pour cette première promotion, il n’y a que des femmes, mais les hommes aussi sont les bienvenus. Carole se veut rassurante. « Ils vont venir petit à petit, j’en suis sûre. Les violences faites aux femmes concernent l’ensemble de notre société. Main dans la main et formés, nous pouvons prévenir et faire reculer ce fléau. » Mais pour l’heure, et ce malgré le doublement des moyens publics dédiés à la lutte contre ces violences (depuis novembre 2014, 66 millions d’euros sont mobilisés sur trois ans), il y a encore du travail.
Je me suis sentie trahie par ceux qui étaient censés me protéger
Rencontre avec Morgane Seliman, auteure de « Il m’a volé ma vie »
Battue et humiliée par son compagnon pendant quatre ans, Morgane Seliman signe un témoignage rare et bouleversant sur les violences conjugales et les mécanismes de l’emprise psychologique. Aujourd’hui, elle vit en Normandie avec son petit garçon dans un lieu tenu secret, loin de sa vie d’avant, de ses proches. Son ancien compagnon a été condamné pour coups et blessures mais pas à de la prison. Quant au harcèlement, il a été relaxé faute de preuves.
Au final, votre ex-compagnon n’aura jamais vraiment été inquiété par la justice ?
Oui, et c’est très frustrant. Il s’en est toujours bien sorti, notamment à cause des lenteurs du système judiciaire. Le 30 octobre 2013, au tribunal de grande instance de Versailles, Yassine est condamné à un an de prison. Mais il fait appel et continue de me harceler. Rien ne change. Le 4 juin 2014, jour de l’appel, l’audience est reportée en janvier 2015. Une fois de plus les pouvoirs publics ne font rien pour moi et me laissent face à lui.
Vous, au contraire, vous avez l’impression d’être abandonnée par les pouvoirs publics. Jusqu’à vous sentir « trahie par ceux qui sont censés vous protéger ».
Cette lenteur a joué en ma défaveur. Car pendant ce temps-là, lui il se réinsère. Il a pu retrouver un travail, une situation. Et le jour où il est jugé, il présente bien. Finalement, c’est moi qui me retrouve dans un foyer tenu secret, prisonnière de ma solitude. Yassine a toujours été très fort pour manipuler son monde. L’assistante de la police à Mantes-la-Jolie qui le connaissait bien m’a avoué avoir eu au début de la peine pour lui. Elle a ensuite compris son manège, mais beaucoup de professionnels se font berner ou cernent mal le problème. La première fois que les gendarmes sont venus à mon domicile - Yassine venait de me frapper -, ils m’ont juste dit de changer les serrures.
Une formation spécifique pour tous les professionnel-le-s amenés à identifier, signaler et traiter des situations de violences faites aux femmes est donc une bonne chose ?
C’est même indispensable. Ce diplôme doit essaimer à travers la France. Combien de fois je me suis sentie incomprise voire jugée par des professionnels qui étaient censés me protéger. Des médecins généralistes me disaient eux-mêmes qu’ils n’étaient pas formés pour les violences
conjugales. La formation des gardiens de la paix est aussi nécessaire. Une femme policière m’a dit un jour que je n’aurais tout simplement pas dû faire un enfant avec lui.
Comment votre ex-compagnon a-t-il réagi à la sortie du livre ?
Les trois premières semaines, il a très mal réagi. J’ai reçu des insultes et menaces à répétition. Il avait réussi à se procurer mon ancien numéro. Puis il s’est calmé. Sans doute parce je suis désormais plus armée face à lui. La maison d’édition me paye un avocat spécialisé dans les violences conjugales et aussi expérimenté que le sien. Je reçois également beaucoup de
messages de soutien. Aujourd’hui, grâce à mon livre, je ne me sens plus seule.
Qu’attendez-vous à présent ?
De trouver la paix, d’oublier, de me reconstruire. Pourvu que la situation avec mon ex-compagnon se calme et que je puisse enfin reprendre une vie normale. J’ai pour cela demandé le renouvellement de mon ordonnance de protection, qui a pris fin le 17 novembre dernier, mais je n’ai toujours pas de nouvelles…