Fil d'Ariane
Ce 3 mars, les architectes Yvonne Farrell, 69 ans, et Shelley McNamara, 68 ans, ont reçu ce le prix Pritzker 2020. Le jury de ce prix, considéré comme le "Nobel d'architecture", comptait cette année pour la première fois autant d’hommes que de femmes. Tou.te.s ont salué "l'intégrité de leur approche de l'architecture, mais aussi la manière dont elle conçoivent leur activité, l'importance qu'elles accordent à la collaboration, leur générosité ... leur engagement sans faille pour l'excellence, leur sensibilité à l'environnement, leur capacité à être cosmopolites tout en respectant l'unicité de chaque lieu dans lequel elles travaillent".
Le prix Pritzker, le Nobel de l’architecture vient d’être remporté pour la premier fois par un duo féminin engagé en faveur d’une architecture durable et humaniste Yvonne Farrell et Shelley McNamara @graftonarchs #Pritzker2020 #GirlPower pic.twitter.com/bZs7O0Ekkw
— Charlotte Roudaut (@charoudaut) March 3, 2020
Yvonne Farrell, 69 ans, et Shelley McNamara, 68 ans sont toutes deux Irlandaises. Shelley McNamara se souvient de l'étincelle qui a suscité sa vocation d'architecte, alors qu'elle n'était qu'une petite fille : “C'était une visite chez ma tante, qui habitait une immense maison 18e siècle à Limerick . Ma tante avait une petite école Montessori dans une pièce au-dessus de l'entrée. Au rez-de-chaussée, mon oncle avait une magnifique pharmacie avec des rayonnages en acajou. La magie du lieu m'a ouvert des perspectives quant à ce que pouvait être une maison. Je me souviens de cette sensation d'espace et de lumière, comme si c'était hier. C'était une véritable révélation,” confie-t-elle sur le site du prix Pritzker.
La sensiblité d'Yvonne Farrell à l'architecture est intimement liée à son éveil à l'espace et à la nature, se souvient-elle sur le site du prix Pritzker : "L'un de mes premiers souvenirs, c'est moi, allongée sous le piano à queue du salon. Pendant que ma mère jouait, je percevais la magie de l'espace empli de musique sous l'instrument en noyer. C'était à Tullamore en Irlande— une ville de rues et de places bordées d'entrepôts en pierres et de maisons ouvragées, traversée par un canal. Il y avait une forêt en bord de ville, au sol tapissé de fleurs le printemps. La nature me semblait très proche".
Yvonne Farrell et Shelley McNamara ont fait leurs études ensemble à Dublin, avant de fonder leur cabinet, Grafton Architects, avec trois autres architectes. "Grafton" comme la rue où elles se sont installées en 1978 à Dublin, un choix qui exprime la préséance qu'elles accordent à l’esprit des lieux et de la communauté sur les individus.
Les architectes sont des traducteurs. Ils traduisent les besoins des gens et leurs rêves en réalité.
Yvonne Farrell
Yvonne Farrell et Shelley McNamara cultivent une architecture aérée, qui utilise des matériaux très divers, de la brique au béton, en passant par le bois. A Toulouse, elles ont choisi la brique, intimement liée à l'histoire de la ville, pour la School of Economics. A Dublin, pour les bureaux du ministère irlandais des Finances, c'est le calcaire local qui prime.
Elles conçoivent des espaces complexes dans des blocs de matière brute où elles creusent des brèches pour faire entrer la lumière du jour. Certains de leurs bâtiments, à l'allure très minérale, comme l'Universidad de Ingenieria y Technologia de Lima, au Pérou, ou la Toulouse School of Economics, rappellent Le Corbusier, même s'ils ne constituent qu'un aspect de leur travail. "Les architectes sont des traducteurs, expliquait Yvonne Farrell dans une interview pour l'université espagnole IE University, en 2015. Nous traduisons les besoins des gens et leurs rêves en réalité." Leur credo à toutes deux : l'architecte est le "traducteur d'un language silencieux et il a son rôle à jouer dans la chorégraphie du quotidien".
“#Architecture is the silent language that speaks” and it has a role to play "in the choreography of daily life" (Yvonne Farrell & Shelley McNamara, @PritzkerPrize 2020). https://t.co/oSAEXjvFsJ https://t.co/HS14Kh4Yvy #PritzkerPrize #Pritzker #Pritzker2020 https://t.co/d1mdg5i5pu
— IfmParis (@IfmParis) March 4, 2020
Ensemble, elles ont réalisé de nombreux bâtiments universitaires, comme à Toulouse mais aussi à Paris avec le campus de l'Institut Mines-Télécom de Paris-Saclay. Mais l'un de leurs projets les plus renommés est la School of Economics de la prestigieuse Università Luigi Bocconi, à Milan, achevée en 2008 et qui leur a valu le prix du bâtiment mondial de l'année au festival international d'architecture, la même année, à Barcelone.
Ce goût pour les établissements d’enseignement reflète leur conviction : pour elles, construire, c'est aussi transmettre. La transmission est une valeur qu'elles cultivent depuis toujours, toutes deux ayant enseigné dans de prestigieux établissements. De Yale à Harvard en passant par l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), elles ont cherché à transmettre leur vision de l'architecture par l'enseignement, tout en se nourrissant de la vision des nouvelles générations : "C'est une manière de distiller notre expérience et nos talents auprès de nouvelles générations de façon qu'elles assument leur rôle dans le développement de cette culture. C'est un échange : nous apprenons des étudiants et, je l'espère, nos étudiants apprennent à notre contact", explique Yvonne Farrel.
Le prix Pritzker est d'autant plus important pour elles que, comme l'explique Shelley McNamara : "Nous avons souvent eu du mal à trouver un espace pour exprimer des valeurs comme l'humanisme, l'artisanat, la générosité et le lien culturel entre chaque lieu et le contexte dans lequel nous travaillons... Il est donc extrêmement gratifiant de recevoir cette reconnaissance du travail que nous avons fourni au fil des années".
En 2010, la Japonaise Kazuyo Sejima était co-lauréate du prix Pritzker avec son collègue Ryue Nishizawa ; en 2017, Carme Pigem figurait parmi le trio du cabinet catalan RCR Arquitectes, récompensé cette année-là, mais l'Anglo-irakienne Zaha Hadid reste à ce jour l'unique femme à avoir reçu seule le prix.
Le jury veut faire de ce prix 2020 un exemple en récompensant deux “pionnières dans un domaine qui a toujours été, et est encore, dominé par les hommes. Deux phares sur la route d'autres femmes qui cherchent leur voie vers l'accomplissement.”
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