Rumeur ou réalité ? Qui dit événement sportif international, dit affluence de millions de supporters principalement masculins et potentiels clients pour les prostituées ? Cette rengaine, pour certains un raccourci, resurgit toujours lors de grandes messes footballistiques.
Entre le 10 juin et le 10 juillet 2016, la France attend plus de 2 millions de spectateurs dans les stades, venus assister aux 51 matchs organisés dans le cadre de l’Euro, et plusieurs autres millions de supporters.
Lors d’événements sportifs précédents des chiffres avaient circulé sans être avérés : 40 000 prostituées recrutées en plus pour la Coupe du monde de foot en Allemagne en 2006, 20 000 pour les Jeux olympiques d’Athènes en 2004. Difficile de confirmer ces nombres.
Le sujet était aussi ressorti pour la Coupe du monde de foot 2010 en Afrique du Sud, ou pour l’Euro de foot 2012 en Ukraine.
Pour la co-fondatrice du
Syndicat du Travail du Sexe (Strass ), Maîtresse Gilda, il s’agit «
d’intox », de «
légende urbaine » : «
Depuis des années on vous raconte que X milliers de prostituées seraient mises à disposition, transportées ou enlevées de force pour servir des supporters gorgés de testostérone et de sexe. Tout ça n’a jamais existé ! », s’exclame-t-elle, tout en assurant que des rapports de police de la police allemande montraient que «
l’activité de prostitution n’avait pas observé d’augmentation » lors de la Coupe du monde de foot en Allemagne en 2006. Là, où certaines associations dénonçaient l’arrivée de
40 000 prostituées supplémentaires.
La co-fondatrice du Strass insiste sur le fait qu’un supporter se déplace souvent en groupe, parfois en famille et devient plus difficilement un client une fois alcoolisé : « Quand vous assistez à un événement sportif, généralement vous n’y allez pas tout seul, mais en groupe. Il y a beaucoup d’alcool. En tant que travailleuses du sexe, on sait bien que les soirs de grand match, c’est là que l’on bosse le moins. Soit leur équipe a gagné, ils sont contents, boivent et sont ivres. Ils ne vont pas au bordel. Soit ils rentrent chez eux. Et j’ai assez de métier pour savoir maintenant qu’un mec qui a trop bu est potentiellement violent mais pas en état de faire appel à des services sexuels. »
Si c’est leur gagne-pain, elles pourraient très bien profiter de l’événement pour mieux gagner leur vie.
Esther Benbassa, députée EELV
« J’ai beaucoup travaillé avec les prostituées et elles ne m’ont jamais parlé d’un tel afflux de clients », souligne de son côté la sénatrice EELV (Ecologie Les Verts) du Val-de-Marne, Vice-Présidente de la Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel. Pas question de défendre la traite des femmes par des proxénètes, mais pour les indépendantes la donne est différente lors de cet Euro : « Si c’est leur gagne-pain, elles pourraient très bien profiter de l’événement pour mieux gagner leur vie », reconnaît la députée.
Etudes, statistiques ?
Mais alors sur quelles données reposent les chiffres avancés dans les autres événements sportifs sur les fortes demandes annoncées sur le marché du sexe ? Les réponses restent floues même du côté des instances officielles.
Au ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, «
on ne dispose pas d’études qui permettent d’objectiver une explosion de la prostitution pendant ce type d’événement », nous répond-on. Le Haut conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE) reconnaît que le phénomène n’est pas «
mesuré scientifiquement » et que son appréciation repose sur «
des faits empiriques relayés par la presse, les réseaux associatifs, nos homologues institutionnels » observant que les réseaux de prostitution enregistrent une activité plus intense dans ces moments-là, explique Romain Sabathier, secrétaire général.
Le 21 avril 2016, le HCE demandait dans un communiqué que des mesures soient prises « pour prévenir le recours à grande échelle à la prostitution. (...) Les grands événements sportifs précédents ont montré que quelques-uns d’entre eux (supporters) sont des clients habituels ou occasionnels de la prostitution et que d’autres, plus jeunes, s’initient à l’occasion de ces événements, lorsque faire la fête légitime tous les débordements. Les réseaux prostitutionnels, eux, sont capables d’anticiper longtemps à l’avance ces événements sportifs, qui sont pour eux l’occasion de profits gigantesques et alimentent une traite mondiale d‘êtres humains (femmes originaires de pays pauvres dans leur immense majorité). »
Pas de stigmatisation
Pas question pour autant de stigmatiser les supporters de foot pour le HCE. «
Le constat de base c’est que généralement lors de ces grands événements sportifs, l’afflux de foule amène une plus grande consommation d’actes sexuels. Mais ce n’est pas spécifique aux footeux », explique aussi Justine Rocherieux du
mouvement du Nid qui apporte soutien et accompagnement aux prostituées.
Même volonté affichée pour le ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes avec qui le mouvement Le Nid déploie une campagne de prévention et d’information pendant l’Euro. Cette campagne d’affichage a pour «
vocation de responsabiliser les clients, ou potentiels clients, de la prostitution en les mettant face à la réalité de ce que c’est pour les personnes prostituées », explique Justine Rocherieux, porte-parole du mouvement du Nid. Les affiches visent ainsi à rappeler que les personnes qui se prostituent "
sont toujours parmi les plus vulnérables, issues de minorités discriminées, des pays les plus pauvres. Et que la prostitution est toujours une violence, un effraction physique autant que psychique qui détruit." L'association rappelle aussi que "
le système prostitutionnel est un système d'exploitation et de profit particulièrement violent."
Mais pendant la durée de l’Euro les forces de police seront peut-être davantage occupées à assurer la sécurité qu’à verbaliser les clients de prostituées. Et certains qui feront appel à des call-girls ou fréquenteront les salons "de massage" passeront aussi sûrement inaperçus aux yeux des autorités.
►Jusqu'au 10 juillet, suivez notre blog de l'Euro 2016 sur TV5MONDE avec notre envoyé spécial Florian Giraud.