TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...
Partager

Un homme pour promouvoir la gratuité des protections périodiques en Ecosse : le comble du mansplaining ?

L'Ecosse fait oeuvre de pionnière avec sa loi sur la gratuité des protections périodiques, entrée en vigueur le 15 août 2022. Mais dans une tentative d'inclusivité et de "déstigmatisation", c'est un homme qui, dans le nord du pays, est nommé responsable de la "dignité des règles". Le tollé qui s'ensuit révèle aussi la polarisation de la société sur les questions de genre.

"Flippant"
"Une blague ?"
"Une anomalie"
"Lui aussi a ses règles ?"
"Qui a envie de voir un homme parler règles avec sa fille ?..."
"24% seulement des filles au Royaume-Uni sont à l'aise pour parler de leurs règles avec des garçons ; 29% avec leur père."

La nomination d'un homme pour promouvoir la gratuité des tampons et serviettes périodiques en Ecosse a été accueillie par une salve de critiques sur les réseaux sociaux.

Depuis le 15 août, les produits d'hygiène féminine doivent être mis à disposition de toutes les femmes par les collectivités locales et les établissements scolaires d'Ecosse. "Fournir un accès à des protections hygiéniques gratuites est fondamental en termes d'égalité et de dignité, selon la ministre à la Justice sociale Shona Robison. D'autant que les gens sont amenés à faire des choix difficiles en raison de la crise du coût de la vie", déclare-t-elle, alors que l'inflation approche les 10% au Royaume-Uni et que la flambée des factures d'énergie touche durement les plus modestes.

Depuis 2018, le gouvernement écossais distribuait déjà des tampons et des serviettes périodiques gratuitement dans les écoles et universités. Adoptée en novembre 2020, la loi sur la gratuité totale des protections menstruelles est présentée par les autorités écossaises comme une première au monde, suivie par la Nouvelle-Zélande ou la Corée du Sud. En France, des protections hygiéniques sont proposées gratuitement aux étudiantes.

Une fausse bonne idée

Un progrès exemplaire en matière d'égalité, donc. Mais là où le bât blesse, c'est que, à Dundee, au nord d'Edimbourg, c'est un homme qui a été choisi pour faire la promotion de cette loi. Le tout premier "officier de la dignité des règles" de la région s'appelle Jason Grant, ancien gestionnaire de compte chez Imperial Tobacco, l’un des cinq grands groupes de tabac internationaux et le principal fabricant au Royaume-Uni, avant de devenir entraîneur personnel, d'où la musculation qu'il arbore fièrement.

Il est désormais chargé de promouvoir la nouvelle loi dans les écoles, collèges et universités, et de s'assurer de son bon financement pendant un mandat de deux ans. Il doit aussi encourager à des discussions sur les règles et la ménopause. Le descriptif du poste à pourvoir, publié en ligne, mentionnait un salaire compris entre 33 153 et 36 126 £ par an (autour de 40 000 euros selon le cours de la livre) pour un contrat à durée déterminée jusqu'en 2024.

On veut une société égalitaire, mais s'il y a un domaine qui devrait être géré par une femme, c'est bien celui-là.
Susan Dalgety, chroniqueuse de presse et militante des droits des femmes

"C'est complètement ridicule, s'offusque Martina Navratilova sur Twitter. Est-ce que nous avons jamais essayé d'expliquer aux hommes comment se raser ou s'occuper de leur prostate ? C'est absurde !

"Je ne comprends pas comment quelqu'un a pu penser que c'était une bonne idée de nommer un mec", tweete Susan Dalgety, chroniqueuse de presse et militante des droits des femmes. "Rien de tel pour réduire à néant tous les bénéfices de la gratuité que de nommer un homme pour "mecspliquer" les règles – et aussi la ménopause qui, semble-t-il, figure aussi dans sa description de poste. Avec la meilleure volonté du monde, Jason ne peut pas imaginer ce que c'est que de saigner une fois par mois pendant trente ans.... On veut créer une société égalitaire, mais s'il y a un domaine qui devrait être géré par une femme," déclare-t-elle à la chaîne écossaise STV, c'est bien celui-là."

Le genre en question

Le comité chargé de la "dignité des règles" défend un choix qui "s'appuie sur un travail mené dans la région depuis des années par un groupe de personnes passionnées, de tous sexes, âges et origines. En changeant la culture, en encourageant le débat et en remédiant à la stigmatisation des règles, nous voulons favoriser ce travail dans toute la région." Jason Grant, lui, se fait l'écho de ces motivations : être un homme l'aidera "à faire tomber les barrières, à réduire la stigmatisation et à encourager des discussions plus ouvertes. Bien qu'elles affectent directement les femmes, les règles sont le problème de tous", a-t-il twitté après sa nomination.

Il déclanche un nouveau tollé lorsqu'il ajoute : "Il s'agit de sensibiliser les gens à la disponibilité des produits de règles pour toute personne, quel que soit son sexe, quand elle en a besoin". La journaliste et militante féministe  Susan Dalgety lui répond du tac au tac sur Twitter : "Jason, j'en une bonne pour toi : seules les femmes ont leurs règles. D'autres questions ? Syndrome prémenstuel ? Endométriose ?"

Un autre internaute rétorque : "Jason Grant... ne parle pas des femmes et des filles, mais la langue étrange de l'idéologie du genre."

A la question : "Est-ce qu'il a ses règles ?" lancée sur twitter par Martina Navratilova, une internaute répond : "J'ai des amis qui sont des hommes trans. Certains ont leurs règles. Nous ne savons pas tout ici – nous ne savons pas qui d'autre a postulé pour le poste, ou qui a pu refuser une offre d'emploi. Voyons comment il s'en sort dans son travail et jugeons-le sur cette base." Ce à quoi l'ancienne championne de tennis tranche net : "Ce n'est pas un homme trans qui a le poste. Soyons réalistes... C'est un homme qui est responsable d'affaires de "femmes". Pas un trans, un homme."

Parallèlement, les tweets humorisiques aussi fusent sous le mot-dièse #JustAskJason :

Une affaire de dames

Le mouvement contre la précarité menstruelle en Ecosse était porté, entre autres, par un groupe de lycéennes qui s'était baptisé Lady Business. Les jeunes filles avaient rempli de produits hygiéniques les distributeur des toilettes dans leur école du centre de l'Ecosse, avant de lancer une campagne dans d'autres établissements et d'organiser un rassemblement devant le Parlement écossais.

Parlement écossais
Le Parlement écossais à Édimbourg, en Écosse, le 16 mars 2014.
©AP Photo/Jill Lawless, File

L'application pour téléphone mobile PickMyPeriod permet de trouver les points de distribution les plus proches. Plus de la moitié des adolescentes (52%) ont manqué l'école en raison de leurs règles selon une enquête de mai 2019 menée auprès d'un millier d'adolescentes au Royaume-Uni.