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« Encourager la participation des femmes dans le marché du travail et dans les sphères du pouvoir, afin de resserrer les disparités, et laisser derrière nous les visons rétrogrades sur les capacités des femmes qui persistent au sein de la société chilienne ». La création du Ministerio de la Mujer y de la Equidad de Género, intervient à un moment où, au Chili, la première des inégalités est celle qui persiste, voire s’accroît, entre hommes et femmes.
Dans ce pays de l’Amérique australe, la population est majoritairement féminine selon les chiffres de l’INE, Instituto Nacional de Estadísticas (Institut nationale des statistiques) : le pays compte 9 millions de femmes contre 8 millions 900 000 hommes. Non seulement, elles sont plus nombreuses mais, comme partout, elles vivent plus longtemps, avec une espérance de vie de 81,7 années, soit cinq de plus que les membres du sexe masculin.
La vie d’une Chilienne se traduit d’une manière générale par des discriminations substantielles entre filles et garçons qui commencent dès le plus jeune âge à l’école. Plus tard au travail, elle fera face à des opportunités de travail et des écarts de salaire conséquents : les Chiliennes travaillent moins que leurs pairs masculins - 52% contre 73% -, et gagnent, à travail égal, 29,7% de moins que les hommes, selon le rapport Género y Salarios, de l’INE. Sans compter que les Chiliennes sont placées dans une position défavorable face à la loi, dans les instances de prises de décision ou dans la participation à la chose publique.
Au Chili nous vivons dans un héritage culturel machiste
Lorena Astudillo, avocate, féministe
Pour Lorena Astudillo féministe et avocate, Coordinatrice de "La red Chilena contra la Violencia hacia las mujeres" (Réseau chilien contre la violence faite au Femmes), cette situation s’explique « par la transmission de la culture machiste, fortement ancrée dans la société chilienne. Les femmes répètent ce qu’on nous apprend depuis toutes petites et nous avons absorbé cette idée que les femmes doivent suivre le modèle de mère serviable ou ressembler aux figures dessinées par l’imaginaire des contes de fées où les femmes attendent d'être sauvées par le prince charmant. La faute, aussi, à une publicité qui nous a appris à ne pas nous aimer telles que nous sommes et à nous faire croire que nous avons besoin de maquillage et autres artifices pour être belles. Au Chili nous vivons dans un héritage culturel machiste et malgré les avancées et les initiatives impulsées par les nouvelles générations, c’est très difficile, pour nous, de rompre avec tous ces stéréotypes ».
Le fait d’avoir une femme à la tête du pays, et pour la deuxième fois, a, certes, ouvert des chemins : « maintenant les filles et jeunes filles savent que oui, il est possible de devenir présidente de son pays. Mais on oublie les messages sexistes permanents, que même la Présidente a essuyés ».
La mission du nouveau ministère sera avant tout de veiller au respect des droits des femmes et d’éliminer toute forme de discrimination. Une tâche titanesque si on considère les inquiétants chiffres de féminicides recensés : depuis le début de l’année 2016, 22 femmes ont été tuées par l'un de leurs proches, 40 en 2015, et tous les deux jours des femmes témoignent de violences subies. C'est beaucoup moins qu'en Argentine voisine (voire encadré plus bas) où l'on décompte 286 femmes tuées en 2015 pour une population de plus de 43 millions, soit deux fois et demi de plus que le Chili.
Las mujeres chilenas contigo #NabilaRifo #elmachismomata pic.twitter.com/HUy0QzP3op
— Berni ಬೆರ್ನಿ (@berniap) 2 juin 2016
Que se condene al imbesil que ataco a NABILA RIFO pic.twitter.com/PvDRyGDlpq
— antofagastino (@seryotocopillan) 24 mai 2016
DANZA POR NABILA Y POR TODAS!
— Red Contra Violencia (@MujeresRed) 6 juin 2016
mañana martes 7 de junio, 19hrs Posta Central /difunde, asiste! pic.twitter.com/SgPOkC2pel
En 2008 le fils d’un ex-sénateur de la République avait infligé des menaces de mort à son ex-compagne et tout de suite l’Etat a mis à sa disposition deux policiers pour assurer sa protection. Lorena Astudillo s’interroge : « pourquoi ne pas avoir agir de la sorte dans le cas de Nabila ? Cet exemple révèle qu’on n’est pas tous égaux face à la loi, il y a une inégalité au moment d’appliquer un critère juridique face aux violences que subissent les femmes et encore plus pour celles appartenant aux groupes sociaux défavorisés ».
Pourtant le Chili a signé et ratifié la Convention de Belem do Para, Convention Inter-américaine pour la prévention, la pénalisation et l’éradication de la violence contre les femmes, rédigée en 1994. Pour l’avocate « il ne suffit pas de parler des lois, des conventions et des idées bienveillantes sur le papier, les instances juridiques sont la plupart du temps aux mains de juges machistes ». Le Chili n’est doté d’aucun texte spécifique sur la violence faites aux femmes. Seule la loi N°20.480 sur les violences intra-familiales a été modifiée le 14 décembre 2010 pour inclure le crime de « feminicide », passible de peines qui vont de 20 ans de prison jusqu’à la perpétuité.
Nous avons une responsabilité envers ces actes intolérables
Michelle Bachelet, présidente de la République du Chili
D’autres pays de la région sont allés plus loin comme l’Argentine, le Salvador ou le Guatemala. Ils ont aussi instauré des organismes spécialisés en matière pénale, chargés de faire des recherches et de sanctionner les délits inclus dans la loi, et ont clairement défini des politiques publiques afin de prévenir et protéger les femmes des violences, conjugales ou pas. Pas toujours efficaces cependant : des dizaines de milliers d'Argentines ont manifesté le 3 juin 2016 à Buenos Aires pour dénoncer la violence machiste qui tue une femme toutes les 31 heures en Argentine, choquées par les assassinats de Micaela Ortega, Milagros Torres et Guadalupe, dernières victimes connues de ce fléau. Toutes les trois avaient douze ans.
Et le Salvador détient toujours le triste record de pays le plus dangereux et meurtrier de la région (entre le 1 janvier et le 5 février 2016, soit en 36 jours, 53 femmes y ont été tuées, plus d’une par jour…). Le féminicide a été intégré dans les législations de 16 pays latino-américains
L’acte fondateur du Ministère de la Femme a été signé le vendredi 3 juin 2016, le jour de la manifestation contre la violence machiste en Argentine, le pays voisin. Coïncidence ? Il voit le jour surtout après l’appel lancé par Michelle Bachelet lors de sa visite dans la région de l’agression, où elle a rencontré la mère de Nabila : « Nous avons une responsabilité envers ces actes intolérables. Et ce « nous » inclut le gouvernement, les associations, les citoyens et les citoyennes. Ces actes constituent les pires violations aux droits humains et représentent une véritable dégradation de la coexistence dans notre pays ». En même temps, dans l’urgence elle a demandé aux députés du pays de modifier la loi contre les violences envers les femmes afin d’alourdir les peines encourues.
Sa visite à l'infortunée famille de la jeune femme suppliciée a été largement relayée...
(NOTICIAS) Presidenta Bachelet visita a la madre de Nabila Rifo en Coyhaique: La instancia no estaba en la ag...... https://t.co/Ccd69RBQMu
— Alvaro Molina (@AlvaroMolinaCL) 27 mai 2016
Il y a donc un avant et un après Nabila et la création de ce Ministère de la Femme dans le paysage institutionnel est le symbole d’une volonté politique forte de la part de la Présidente. Lorena Astudillo regrette cependant que « dans notre pays on continue à n’associer la question féminine qu’aux violences dont les femmes sont victimes. J’espère sincèrement que nous sortirons de cela, je voudrais que nous ayons de plus en plus comme objectif de promouvoir l’énorme potentiel que représentent les femmes de mon pays. Je continuerai à chercher et ouvrir des chemins pour que nous puissions nous épanouir dans les sciences, la technologie, dans tant d’autres domaines. Nous devons le faire ! »
> Voir notre article : Juin 2015, en Argentine, une marée humaine contre le féminicide
"Ce que nous voyons c'est que la situation ne s'est pas améliorée depuis l'an dernier. On entend plus la voix de la femme, mais il y a une recrudescence de la violence machiste", regrette la sociologue Maria Pia Lopez, membre du collectif #NiUnaMenos, à l'origine de la manifestation.
Micaela Ortega, Milagros Torres et Guadalupe Medina sont les dernières victimes connues de ce fléau. Toutes les trois avaient douze ans. Milagros Torres a été retrouvée morte chez elle, son ex-beau-père est soupçonné du meurtre. Micaela Ortega a été tuée par un repris de justice qui l'avait contactée par Facebook en se faisant passer pour une fille. Un jeune homme de 16 ans est soupçonné d'avoir violé et étranglé Guadalupe Medina.
Le féminicide a été inscrit dans le code pénal argentin en 2012 comme circonstance aggravante d'un l'homicide. Alors que l'homicide est puni de 12 à 25 ans de prison, la peine encourue est élevée à la perpétuité en cas de féminicide.
Le gouvernement multiplie les campagnes de prévention comme celle ci-dessous, lancée en mai 2016 : "Ensemble nous pouvons arrêter les violences contre les femmes - manifestement cela ne suffit pas...