Dans les années 1950-1970, on y a placé des milliers de jeunes filles "à problèmes", "trop turbulentes", celles qu'on désignait alors comme des "mauvaises filles", titre d'un documentaire qui recueille plusieurs témoignages d'anciennes pensionnaires victimes de violences. La congrégation Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur lance aujourd'hui une commission d'enquête sur les fonctionnements de ses maisons d’éducation.
On est encore loin de l'acte de contrition, mais peut-être au tout début de ce qui pourrait ressembler à un examen de conscience, ou du moins à
"un travail de mémoire". C'est en tout cas la volonté affichée de cette commission chargée de
"faire la lumière" sur les mauvais traitements infligés à des milliers d'adolescentes en France placées arbitrairement dans des établissements tenus par les soeurs du Bon Pasteur jusque dans les années 70.
Pour rappel, à l'origine, la fondatrice de la congrégation des Filles du Bon Pasteur, Marie-Euphrasie Pelletier, canonisée en 1940, avait donné pour vocation à sa congrégation, fondée à Angers en 1835, "
d’aider les femmes bafouées dans leur dignité à se reconstruire"... "Des couvents-prison"
Elles sont des milliers aujourd'hui en quête de reconstruction et leur parole commence tout juste à se faire entendre. Depuis 2020, l’association Les Filles du Bon-Pasteur a recueilli près de 300 témoignages d’anciennes pensionnaires ayant subi des maltraitances. L'association prépare une action en justice, comme le rapporte le journal
La Croix. Et les témoignages continuent d'affluer, selon Marie-Christine Vennat, 74 ans, secrétaire de l’association. Elle-même a été victime de violences lorsqu'elle était pensionnaire dans plusieurs centres d'éducation du Bon Pasteur, à Angers, Orléans et Nantes entre ses 15 et 18 ans. Témoignant sur
France Inter, évoquant des
"couvents-prison", elle décrit
"des conditions indignes", des humiliations au quotidien et
"des violences physiques".
"Ecouter les victimes"
La congrégation Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur a annoncé la création ce 14 décembre 2022 d'une commission d'enquête sur ces années sombres. Cette commission a pour mission
"l'écoute des personnes ayant souffert". Elle
sera chargée d'évaluer
"le contexte sociétal, psychologique et les méthodes éducatives" de l’époque ainsi que
"la responsabilité de chacun des acteurs concernés". Elle tentera aussi d'identifier
"des manquements, des carences et des abus" et "
émettre des préconisations pour l’accès aux archives et d’éventuelles réparations".
"À cette époque, le ministère de la justice souhaitait trouver un moyen d’éviter la prison ou des conditions de vie très difficiles pour des jeunes dits délinquants, rappelle la congrégation dans
La Croix, Ces jeunes personnes étaient principalement placées par le juge des enfants ou par l’aide sociale à l’enfance, sur enquête de gendarmerie et/ou enquête sociale dans des établissements d’éducation".Cette commission est présidée par l’ancien recteur d’académie Christian Philip, et elle est composée d'une ancienne magistrate, un ancien juge des enfants, un ancien préfet, et de l’ancienne directrice des archives de Maine-et-Loire. Ses travaux devraient durer dix mois.
Les soeurs Madeleine
Ces témoignages ne sont pas sans rappeller le scandale des "Magdalena sisters" en Irlande. Pendant 70 ans, plus de 10 000 jeunes filles ont vécu dans des couvents où elles travaillaient gratuitement en tant que blanchisseuses, révélant plus tard y avoir subi des mauvais traitements. En 2009, le gouvernement irlandais s’excuse officiellement auprès des enfants maltraités ou victimes d’agressions sexuelles dans les pensionnats dirigées par des frères, sœurs et prêtres catholiques. sans pour autant reconnaitre les violences subies par les blanchisseuses de la Madeleine.
►Blanchisseuses de la Madeleine : ces Irlandaises forcées de laver leurs “péchés“ "Mauvaises filles", "filles à problèmes"
Quarante ans voire cinquante ans après pour certaines, des victimes osent enfin briser le silence et raconter dans la presse ce qu'elles ont vécu. Souvent, c'est la colère qui libère leur parole. Comme par exemple en fin novembre 2019, à l'occasion de l'inauguration d'un musée du Bon Pasteur dans l'ancien centre d'Angers.
"On nous a demandé cinq euros. On a dit : c’est hors de question, ce musée c’est nous qui l’avons payé avec notre travail, on ne paiera pas", s'indigne alors Marie-Christine Vennat dans le quotidien
Ouest-France.
"La seule fois où j’ai vu le médecin, c’était pour savoir si j’étais vierge ou pas. Il avait fait l’examen sans mettre de gants. On nous prenait vraiment pour des minables", témoigne une autre ancienne pensionnaire qui, elle, tient à rester anonyme.
Suite à ces témoignages publiés dans la presse régionale, Sœur Patricia Diet, supérieure provinciale de la communauté du Bon Pasteur a tenu à répondre
au même journal. Dans cette lettre, elle tient à remettre ces propos dans leur contexte :
"À cette époque en effet, les Sœurs du Bon Pasteur remplissaient une fonction sociale, par délégation de la justice qui leur confiait des jeunes filles à risques, du fait de leur situation familiale ou de leurs propres comportements", tout en concluant :
"Là où l’objectif était de retrouver la joie de vivre et la dignité personnelle, nous reconnaissons que des comportements inadaptés sont parfois venus ternir des intentions louables. Je le regrette et demande pardon pour ces attitudes qui ont provoqué incompréhension". Ces violences, passées sous silence pendant longtemps, ont été révélées également à travers un documentaire, Mauvaises filles, de la réalisatrice Émérance Dubas. Elle y donne la parole à cinq femmes qui racontent les mauvais traitements dont elles ont été victimes dans les établissements du Bon Pasteur.
Que justice soit faite ?
Le 15 septembre dernier, une trentaine de personnes s’est rassemblée devant la Bourse du travail d’Angers à l’appel de l’association les Filles du Bon Pasteur. Les manifestant-e-s demandent que ces mauvais traitements soient enfin reconnus, comme le rapporte le site angers.maville.com.
La commission d'enquête des bonnes soeurs pour nous est nulle, non avenue et sans objet.
Éveline Le Bris, présidente et cofondatrice de l'association Les filles du Bon-Pasteur
"La commission d'enquête des bonnes soeurs, pour nous, est nulle, non avenue et sans objet", nous confie
Éveline Le Bris, présidente et cofondatrice de l'association Les filles du Bon-Pasteur
lors d'un court échange.
"Elles nous ont humiliées pendant tant d'années et maintenant, pour les dédouaner de ce qu'elles ont fait, il faudrait venir témoigner : non", réagit-elle sur
France Inter. Pour elle, la création de cette commission d'enquête arrive trop tard. De son côté, dans
La Croix, Marie-Christine Vennat attend surtout que vérité soit faite et justice rendue :"
Nous n’avons rien contre l’Église catholique mais nous demandons justice à la congrégation".