Une femme à la tête d'un ministère au Vatican : où en est la féminisation de l'Eglise ?

C'est une première dans l'histoire deux fois millénaire de l'Eglise catholique : le pape François nomme une femme, Simona Brambilla, à la tête d'un "ministère". Sous son égide, la proportion de femmes en responsabilités augmente régulièrement au Vatican, mais elles restent exclues de la prêtrise.

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Simone Brambilla

Une du quotidien national Il Resto del Carlino, le 7 janvier 2025.

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Simone Brambilla, qui aura 60 ans en mars 2025, est nommée ce 6 janvier 2025 "Préfet du Dicastère pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique", selon la terminologie du Vatican, dont l'italien est la principale langue de travail et de communication, et qui ne féminise pas les titres et fonctions de son administration.

Elle est nommée à la faveur de la Constitution apostolique Praedicate Evangelium de 2022, par laquelle le pape permettait qu'à l'avenir, des laïcs, dont des femmes, puissent diriger un dicastère et devenir préfets, une fonction auparavant réservée aux cardinaux et aux archevêques. Depuis octobre 2023, Soeur Brambilla était numéro deux de ce discastère, le "ministère" de la Curie (gouvernement du Vatican) chargé des ordres et congrégations religieux, l'un des plus importants au Vatican. Elle en avait déjà été nommée membre avec six autres femmes dès juillet 2019

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Infirmière depuis 1986 et autrice d'une thèse en psychologie, Simone Brambilla a été missionnaire au Mozambique auprès des Macua, dont "la richesse de la sagesse m'a ouvert de nouveaux horizons humains et spirituels", confie-t-elle à La Civiltà Cattolica. Même si ses parents ont suivi d'autres voies, elle dit "venir de la terre, d'une famille d'origine agricole de la Brianza", dans le nord de l'Italie.

"Peu de mots et beaucoup de travail, une capacité de gouvernance marquée qui allie idéaux et pragmatisme", ainsi la décrit le quotidien italien La Repubblica, précisant qu'elle est perçue comme discrète et souriante, mais tenace.

La nomination de Simona Brambilla confirme une réalité présente depuis longtemps, à savoir la "supériorité numérique des femmes dans l'Église à tous les niveaux", explique Sol Prieto, docteur en sciences sociales, chercheur et professeur à l'université de Buenos Aires, à la BBC Mundo.

L"Eglise est-elle une femme ?

Depuis son élection en 2013, le pape n'a eu de cesse de vanter les mérites féminins. "L'Eglise est une femme !", disait le jésuite argentin fin septembre 2024. Selon Vatican News, média officiel du Vatican, entre l'élection de François en 2013 et 2023, la proportion de femmes occupant des fonctions au Saint-Siège et dans l'administration de l'Etat du Vatican est passée de 19,2% à 23,4%. 

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Le pape, chef des quelque 1,4 milliard de catholiques, a déjà nommé des femmes à des postes à responsabilité, dont Barbara Jatta en 2016, "directeur" des prestigieux musées du Vatican, Raffaella Petrini, devenue "secrétaire général" du Gouvernorat, fonction généralement réservée à un évêque. Sœur Alessandra Smerilli est sous-secrétaire au Dicastère pour le service du développement humain intégral ; Emilce Cuda est secrétaire de la Commission pontificale pour l'Amérique latine ; Nataša Govekar est à la tête de la direction théologico-pastorale du Dicastère pour la communication ; Cristiane Murray est directrice adjointe du Bureau de presse du Saint-Siège, et Charlotte Kreuter-Kirchof est coordinatrice adjointe du Conseil pour l'économie. Nathalie Becquart, sous-secrétaire du Synode des Evêques, est la première femme à ce poste et à avoir le droit de vote dans ce cénacle très fermé, née en 1969...
 

On sur-loue nos qualités, on fait des femmes une espèce de déesse... et on leur dit : vous êtes au service, c'est la plus belle vocation. En fait, c'est une stratégie pour mettre à l'écart et discriminer. Adeline Fermanian, coprésidente du Comité de la Jupe

Mais pour François, les femmes sont appelées à jouer dans l'Eglise un rôle hors du ministère religieux. Les associations y voient une vision misogyne et rétrograde et demandent un traitement d'égalité. "On sur-loue nos qualités, on fait des femmes une espèce de déesse... et on leur dit : vous êtes au service, c'est la plus belle vocation. En fait, c'est une stratégie pour mettre à l'écart et discriminer", déplore Adeline Fermanian, coprésidente du Comité de la Jupe, association française de quelque 300 membres qui milite depuis 2008 pour davantage de parité.

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Question de synode

De fait, la question de l’ordination de femmes diacres – fonction précédant celle du prêtre – reste, elle, en suspens, bien que le souverain pontife ait laissé la porte ouverte à une réflexion sur le sujet. Le dernier synode, assemblée mondiale qui réunissait, en octobre 2024, au Vatican, plus de 300 religieux et laïcs réfléchissant à l'avenir de l'Eglise, a reconnu le manque de visibilité des femmes dans l'Eglise et son gouvernement.

Les femmes et les hommes ont une dignité égale en tant que membres du peuple de Dieu... les femmes continuent à rencontrer des obstacles pour obtenir une plus grande reconnaissance. Compte rendu du Synode 2024

Si "les femmes et les hommes ont une dignité égale en tant que membres du peuple de Dieu... les femmes continuent à rencontrer des obstacles pour obtenir une plus grande reconnaissance" de leur rôle, constate le document final, approuvé par le pape. "Il n'y a aucune raison ni aucun obstacle qui puisse empêcher les femmes d’exercer des rôles de direction dans l’Église", reconnaît le document, sans toutefois préciser quels pourraient être ces rôles.

Face à la question de l'ordination des femmes, les réticences perdurent, notamment chez une frange conservatrice de l’Eglise et dans certaines régions. Parmi les 155 paragraphes du document, adoptés à la majorité des deux tiers, celui consacré aux femmes est d'ailleurs celui ayant rencontré le plus d'objections, avec 97 votes contre et 258 pour. 

Certains membres du Synode regrettent une requête des femmes trop occidento-centrée, estimant que d'autres régions ne sont pas prêtes au diaconat féminin pour des raisons culturelles. "La décision sur le diaconat n'est pas mûre", disait le cardinal argentin Víctor Manuel Fernández, homme fort de la doctrine du Saint-Siège. 

Marginalisation des femmes 

Les associations, actives notamment en Europe et en Amérique du Nord, déplorent la marginalisation des femmes par un système jugé patriarcal, malgré leur rôle central dans les paroisses du monde entier. Contrairement à d'autres confessions, à l'instar des anglicans ou des protestants, l'Eglise catholique reste fermement opposée à l'ordination des femmes pour des raisons théologiques, arguant notamment que le prêtre tient le rôle du Christ, qui était un homme. Les femmes restent circonscrites à des rôles d'accompagnement (catéchisme, éducation) comme laïques, ou elles peuvent devenir religieuses.

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En octobre 2023, la première session du Synode avait mis sur la table l'ouverture aux femmes du diaconat, qui permet de célébrer baptêmes, mariages et funérailles. Mais l'hypothèse avait été écartée pour la seconde session. En mai 2024, dans une interview à la chaîne américaine CBS, François l'avait lui-même exclue par un strict "Non", à la stupéfaction des militants. Pour Adeline Fermanian, cette réponse "autoritaire" et le retrait du thème des discussions était "en total décalage" avec la consultation des fidèles du monde entier engagé depuis 2021 pour ce Synode, où la place des femmes était "omniprésente". 

Manifestations, pancartes, affiches... Fin 2024, les associations féministes multipliaient les initiatives, parfois appuyées par des théologiennes, pour revendiquer leurs droits et faire pression sur le Synode.

manifestantes au Vatican

Manifestantes pour l'ordination des femmes à Rome, devant le Vatican, pendant le Synode des évêques, le 4 octobre 2024.
 

AP Photo/Andrew Medichini

 

Ordination clandestine

Pendant l'Assemblée, sur une péniche amarrée à un quai du Tibre, à une encablure du Vatican, des femmes, vêtues d'une aube blanche assortie d'une étole rouge, ont été "ordonnées" prêtres et diacres catholiques lors d'une cérémonie clandestine. "Cela fait deux mille ans qu'ils répètent le même message : les femmes sont inférieures, subalternes, invisibles. Ca va, on a assez attendu, donc je le fais maintenant", expliquait l'une d'elles, Loan Rocher, une Française de 68 ans.

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Lecture de la Bible, chants, communion : la cérémonie en trois langues, organisée dans la plus grande discrétion en présence d'une cinquantaine de fidèles de plusieurs pays, suivait la même liturgie qu'une messe officielle. Elle est pourtant illégale aux yeux de l'Eglise : selon le droit canonique, elle a valu aux six "ordonnés" (trois prêtres et trois diacres, dont deux personnes transgenres), comme à chaque participant, d'être excommuniés, c'est-à-dire exclus de la communauté catholique.

Nous travaillons dur pour créer une Eglise plus inclusive et plus aimante où les personnes LGBTQ, divorcées et remariées, tout le monde est le bienvenu. Bridget Mary Meehan, "évêque" américaine

Une sanction injustifiée pour Bridget Mary Meehan, "évêque" américaine de l'association organisant l'évènement, qui revendique 270 ordinations de femmes dans 14 pays depuis sa création en 2002. "Nous travaillons dur pour créer une Eglise plus inclusive et plus aimante où les personnes LGBTQ, divorcées et remariées, tout le monde est le bienvenu", se défend cette septuagénaire américaine.

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Les femmes ordonnées en octobre 2024 ne perdent pas espoir. Loan Rocher "préfère" être parmi les personnes "qui avancent" et non celles qui "se plaignent" ou "pleurent misère". "La hiérarchie a peur, mais pas les fidèles", concluait Bridget Mary Meehan.

Pour ces militantes, soixante ans après le Concile Vatican II, considéré comme une adaptation majeure de l'Eglise au monde moderne, l'institution deux fois millénaire joue sa survie avec l'intégration des femmes dans tous ses ordres.

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