En plein mouvement de libération de la parole suscitée par le #BalanceTonPorc et #Metoo, une étude de l’Ifop, publiée vendredi 23 février 2018, révèle l’ampleur des violences sexuelles et sexistes envers les femmes et leurs effets sur la santé . Au total 43 % déclarent avoir subi des attouchements sans consentement et 12 % des viols. Des chiffres supérieurs à ceux déclarés par le passé.
L’affaire Weinstein et le mouvement de libération de la parole auront-il pour effet de modifier sensiblement les résultats d'enquêtes réalisées jusqu'ici sur les violences sexistes et sexuelles envers les femmes ? C'est en tout cas dans ce contexte que la fondation Jean Jaurès et l'Ifop, ont choisi de réaliser
une étude pour mesurer l'ampleur de ces pratiques dans la société française et leurs effets sur la santé des victimes.
12 % de femmes victimes de viol
Selon cette enquête menée sur un échantilon de 2167 femmes, 12 % des personnes interrogées ont subi un viol (pénétration sexuelle avec violence, contrainte ou surprise, selon la définion légale). Quasiment une femme sur dix au total ! "
Ce chiffre est tout à fait interpelant et se situe au-dessus de ce que d’autres enquêtes ont mesuré par le passé", alerte le coordinateur de cette étude, Michel Debout, administrateur de la Fondation Jean-Jaurès, psychiatre et professeur de médecine au CHU de Saint-Etienne. Plusieurs enquêtes, dont celle de l'Ined, intitulée
violence et agressions sexuelles en France, publiée en 2016, faisaient état de taux de pourcentage inférieurs. Cette enquête révélait notamment qu'une femme sur 26 avait subi un viol au cours de sa vie.
On peut penser que le contexte, marqué par de très nombreuses révélations de cas de violences sexuelles touchant tous les milieux a généré un phénomène de prise de conscience ou permis la levée d’un tabou chez une partie des victimes.
Fondation Jean Jaurès
Un écart qui peut s'expliquer par plusieurs raisons. "
On peut penser, d’une part, que le contexte dans lequel cette enquête a été réalisée, marqué par de très nombreuses révélations de cas de violences sexuelles touchant tous les milieux et largement relayées par les médias, a généré un phénomène de prise de conscience ou permis la levée d’un tabou chez une partie des victimes, avance la Fondation Jean Jaurès.
" Ceci a pu, d’autre part, être favorisé par le mode d’interrogation retenu pour cette enquête",
l’interrogation en ligne, offrant
"les meilleures garanties d’anonymat ".
Interrogée par Franceinfo Alice Debauche, sociologue et chercheuse à l'Ined, ajoute que " les générations les plus jeunes déclarent plus que les autres les violences sexuelles. (...) Dans les années 1950-1960, les femmes socialisées avaient intégré les caresses sans leur consentement comme de l'ordre du banal."
Les viols déclarés dans cette enquête sont survenus à 49 % à l'âge adulte, 34% durant l'adolescence et 17 % au cours de l'enfance.
49% des viols commis par le conjoint
A l'appui de nombreuses études réalisées précédemment, bon nombre de féministes n'ont eu de cesse et continuent de dénoncer que la majorité des viols sont commis par le conjoint ou un membre de l'entourage proche et non par des inconnus. Le fait n'est donc pas nouveau. Mais selon la Fondation Jean Jaurès
"cet aspect du problème est moins couvert médiatiquement et moins associé dans les représentations collectives à la notion de viol. On range ainsi certains de ces actes dans le registre des violences conjugales ou de l’inceste par exemple." Or, ce dernier sondage confirme que l'agresseur est le plus souvent connu de la victime. En effet, 49 % des femmes ayant subi un viol incriminent le conjoint alors que 17% mentionnent un inconnu. ( 17 % un membre de l’entourage, 6 % un membre de la famille, 3% une personne du voisinage, 4 % un élève ou un étudiant d’un établissement scolaire, 3 % un collègue de travail, et 2% une personne ayant autorité sur la victime).
Et dans la majorité des cas, le viol survient au domicile à 42 %, contre 12 % dans la rue ou un lieu public.
Le phénomène touche l'ensemble de la société française toutes catégories sociales confondues.
" Mais il existe davantage de violences déclarées chez les habitantes de l’agglomération parisienne que dans les zones rurales : 58 % d’insultes ou de remarques à caractère sexiste contre 44 % ; 52 % de gestes grossiers à connotation sexuelle contre 39 % ; 43 % d’attouchements ou de caresses contre 37 %, détaille Chloé Morin, directrice de l'opinion au sein de la Fondation Jean Jaurès.
En revanche, l’exposition aux SMS ou mails à caractère pornographique, tout comme le viol, est relativement uniforme sur le plan territorial." Fréquence élevée d'exposition aux comportements sexistes
Autre enseignement de cette étude, la fréquence d’exposition des femmes à différents comportements sexistes ou à caractère sexuel : 58 % des femmes interrogées ont déjà été exposées à des comportements déplacés, 57 % à des propositions dérangeantes et une sur deux à des insultes ou des remarques à caractère sexiste (50 %). Il en va quasiment de même pour ce qui est des gestes grossiers à connotation sexuelle (45 % des femmes y ont déjà été confrontées) et même des caresses ou des attouchements à caractère sexuel sans leur consentement (43 %).
Un impact majeur sur la santé des femmes
L'étude avait aussi pour objectif de mesurer l'impact du viol sur la santé des femmes. Les chiffres sont alarmants. Il apparaît que le viol augmente par 4 le risque de tentative de suicide. En effet, 21% des femmes victimes de viol (contre 5% des femmes en moyenne) ont déjà fait une ou plusieurs tentatives de suicide et 70% n’ont pas été suivies médicalement à la suite d’un viol. Des chiffres qui ont surpris l'inspirateur lui même de cette étude.
" Je voulais insister sur les conséquences sanitaires du viol mais je ne pensais pas qu'il y avait un tel facteur de risque de passage à l'acte suicidaire, confie à Terriennes Michel Debout.
C'est un élément epidémiologique très mal connu qu'il faut absolument mettre en avant."L'absence de suivi médical pour une majorité écrasante de victimes et le fait que seulement 38 % d'entre elles déclarent avoir fait part de leur agression à un proche peut expliquer, en partie, le taux élevé de risque de tentatives de suicide.
"Il faut connaître les freins à la libération de la parole des femmes sur le plan humain, psychologique, relationnel et institutionnel qui peuvent être très divers selon que la victime est une enfant, une adolescente, ou une adulte, préconise le psychiatre.
Cela passe aussi par davantage de moyens alloués aux institutions et aux structures ayant en charge les victimes.
"
Si de nombreuses études ont déjà révélé ce phénomène de violences sexistes et sexuelles, il faut souligner que cette dernière enquête de l'Ifop avec la fondation Jean Jaurès a le mérite d'être complète, d'insister sur les effets sanitaires du viol, et de souligner le caractère répétitif et cumulatif des violences que subissent les femmes.
On peut regretter toutefois cette assertion, pour le moins farfelue, contenu dans le détail de l'enquête et publiée sur le site de la Fondation Jean Jaurès :
"#Balance ton porc ou #Metoo ont certainement plus fait pour l’égalité femmes-hommes dans la société actuelle que certains combats féministes courageux, qui ont permis de progresser vers cet objectif humaniste qui traite à égal tous les êtres humains, quels que soient leurs sexes et leurs orientations sexuelles."
Etude réalisée avec l’institut de sondages Ifop. Echantillon de 2167 femmes âgées de 18 ans et plus, interrogées entre le 6 et le 16 février 2018.