Loi européenne sur les violences faites aux femmes : blocage autour de la définition du viol

Harmoniser les moyens de lutter contre les violences faites aux femmes : le projet de loi européenne donne lieu depuis des mois à un bras de fer. Plusieurs pays, dont la France, l'Allemagne, la Hongrie, sont opposés à une définition commune du viol, fondée sur le non-consentement de la victime. En Europe, une femme sur 20 a été victime de viol.

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A gauche, devant le pupitre, l'eurodéputée irlandaise Frances Fitzgerald (PPE) et à droite la Suédoise Evin Incir (S&D), et en haut à droite, Nathalie Colin-Oesterlé, eurodéputée centriste française, lors de la conférence de presse des rapporteures du projet de loi européenne à Strasbourg, le 13 décembre 2023. 

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Sept femmes meurent chaque jour en Europe, sous les coups d'un conjoint ou ex-compagnon. Rien qu'en France, 147 femmes sont mortes en 2022. Une femme sur trois a déjà subi des violences sexuelles et/ou psychologiques en Europe, une femme sur 20 a été victime de viol.

Le 8 mars 2022, la Commission européenne propose de créer la première loi sur cette thématique. Le texte, déjà adopté en commission parlementaire et par le Conseil européen, est désormais négocié en "trilogue", c'est-à-dire entre le Parlement, la Commission et les représentants des États membres. 

C'est la première loi européenne et c'est un signal extrêmement fort envoyé aux millions de femmes qui sont victimes de ces violences. Nathalie Colin-Oesterlé, députée européenne

"C'est la première loi européenne et c'est un signal extrêmement fort envoyé aux millions de femmes qui sont victimes de ces violences, pour non seulement punir les auteurs de ces crimes, mais aussi protéger les victimes", commente enthousiaste et combative, l'eurodéputée (du groupe PPE), Nathalie Colin-Oesterlé, l'une des rapporteures. 

Ce projet de loi intervient alors que l'UE a ratifié son adhésion à la Convention d'Istanbul, le 10 mai 2023.

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Un socle pénal commun 

La directive comporte deux volets, l'un pénal et l'autre sur l'accompagnement et la protection des victimes. "Sur le plan pénal, les législations des Etats membres sont hétérogènes, il était nécessaire d'harmoniser le droit en créant tout d'abord une définition commune pour certains actes afin qu'ils soient sanctionnés partout en Europe, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui", précise Nathalie Colin-Oesterlé. Viol, cyberharcèlement, mutilations génitales féminines, incitation à la violence en ligne : il fallait avoir "un socle de définitions communes", souligne l'eurodéputée.

En premier lieu sur les mariages forcés, criminalisés explicitement dans dix-sept Etats membres et implicitement dans sept. Rien n'est prévu en Roumanie, Lituanie et République Tchèque, précise l'élue. La stérilisation forcée, elle, est criminalisée explicitement dans sept Etats membres et implicitement dans 17, rien de prévu en Lettonie, en Bulgarie et en Finlande. 

Concernant les mutilations génitales féminines : la France reste en tête avec 125 000 cas environ, mais pour l'instant cet acte est criminalisé dans le cadre des mutilations d'ordre général, "désormais cette infraction sera explicite". Quant au harcèlement en ligne, il est criminalisé dans cinq Etats membres. En France, par exemple, le fait que le harcèlement ait lieu en ligne ne constitue qu'une circonstance aggravante.  

En plus de définir un cadre commun de définitions, ce texte prévoit également des sanctions pénales communes à tous les Etats membres. 

"Le violeur, c'est toi"

Des femmes portant des bandeaux violets lors d'un flashmob "The Rapist is You" (Le violeur, c'est toi) visant à sensibiliser à la violence et aux préjugés contre les femmes à Bucarest, en Roumanie, le 1er mars 2020. "Un violeur sur votre chemin " ou " The Rapist Is You ", est, à l'origine, une performance féministe chilienne dénonçant la violence à l'égard des femmes. 

AP Photo/Vadim Ghirda

Les victimes au coeur du projet de loi

"Aujourd'hui, celles qui sont victimes de violences sont contraintes à un véritable parcours de combattante ; ça reste la norme dans l'UE et en France également, constate l'eurodéputée. De l'information au dépôt de la plainte, à l'accompagnement à l'accueil, les obstacles restent extrêmement nombreux", regrette-t-elle. Ainsi, cette loi présente des propositions très concrètes notamment pour bénéficier d'une évaluation personnalisée de la situation des femmes, ainsi que la mise en place de mesures de protection des victimes en délivrant des ordonnances de protection et des mesures d'éloignement imposant notamment à l'auteur des violences de quitter le domicile conjugal.  Chaque Etat membre devra pouvoir héberger dans un refuge une famille pour 10 000 habitants. 

Quelle est la plus-value de ce texte ? "Si une femme française subit une de ces violences dans l'un des pays de l'UE, elle sera mieux protégée et bénéficiera d'une meilleure reconnaissance de l'infraction", indique Nathalie Colin-Oesterlé. 

Le viol, point d'achoppement

La définition du viol doit-elle être harmonisée au niveau européen, et fondée sur l’absence de consentement ? Ce sujet sensible est désormais au cœur de discussions entre les États membres de l’UE et les eurodéputés et fait l'objet d'un bien rude bras de fer.

Le projet, tel que présenté le 8 mars 2022 par la Commission, prévoit dans son article 5 une définition du viol basée sur l’absence de consentement. Le Parlement européen et certains pays comme l’Espagne, la Belgique, la Grèce, la Suède et l’Italie, sont sur la même ligne. Mais d’autres États membres, notamment la France, l’Allemagne, la Hongrie, la Pologne ou encore Malte, s’opposent à ce que le viol soit inclus dans la législation, estimant que l’UE n’a pas de compétence en la matière.

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Pour ces pays, ce crime n’a pas la dimension transfrontalière nécessaire pour être considérée comme un "eurocrime" susceptible de donner lieu à une harmonisation européenne. Ce que contestent le Parlement européen et la Commission, qui considèrent que le viol peut entrer dans le cadre de l'exploitation sexuelle des femmes , qui fait partie des eurocrimes.

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A la veille de la quatrième session de négociations, une vingtaine d'eurodéputés représentant le parti Renaissance du président Macron, ont publié une tribune dans la presse pour appeller le chef de l'Etat à revoir sa position. 

Tribune : Définition du viol : « Les argumentaires juridiques byzantins donnent un sentiment de déconnexion totale avec la souffrance des victimes »

« Si elle était adoptée, la directive qui fonde le viol sur le non-consentement obligerait les Etats membres à se doter d’un arsenal législatif pour lutter contre tous les types de violences faites aux femmes, assurent vingt-trois eurodéputés, membres de la majorité présidentielle  », dans une tribune dans Le Monde.

« Un groupe de pays, dont la France, hésitent encore à soutenir une définition européenne du viol pour des raisons purement techniques.
Alors qu’une femme sur vingt est victime de viol en Europe, les argumentaires juridiques byzantins opposés par les Etats membres donnent un sentiment de déconnexion totale avec la souffrance vécue par les victimes », poursuivent les signataires de cette tribune.

Lors d'une conférence de presse, mercredi 13 décembre, Nathalie Colin-Oesterlé elle-même s'est dit "choquée" par la position de son pays, la France, et par la position du président Macron, qui "a pourtant fait de l'égalité homme- femme la priorité de ses deux quinquennats". Une autre rapporteure, l'Irlandaise Frances Fitzgerald estime de son côté que ces oppositions sont "incompréhensibles". La rapporteure suédoise, Evin Incir , elle, veut néammoins garder espoir car "des pays ont changé d'avis au cours de ces dernières semaines". "On va continuer à discuter et à faire pression", ajoute-t-elle.

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"100 000 femmes sont violées chaque année dans toute l'Union européenne", tient à rappeler l'eurodéputée française. Rien qu’en France, au moins 10 femmes sont victimes chaque heure d’un viol ou d’une tentative de viol.

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