Une mère en guerre contre l’esclavage sexuel

L’Argentine a ouvert le 8 février dernier le procès le plus attendu contre l’esclavage sexuel : le cas Marita Veron. Depuis presque 10 ans, Susana Trimarco, la mère de Marita, se bat pour retrouver sa fille, enlevée et vendue pour être prostituée.  Un procès historique entre une mère, qui a déclaré la guerre à la mafia de la traite des blanches en Argentine et 13 accusés face à elle.
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Une mère en guerre contre l’esclavage sexuel
Susana Trimarco au sie`ge de la Fondation Maria de los Angeles de Buenos Aires.
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Une mère en guerre contre l’esclavage sexuel
Marita Veron, victime de la traite des blanches en Argentine.
Battue, le dos lacéré de coups de couteaux , les cheveux teints avec des mèches qui ne peuvent dissimuler sept points de sutures derrière ses oreilles, portant des lentilles de couleur bleue et enceinte, c’est ainsi que Anahí Manassero et les autres jeunes filles ont vu Marita quand elles étaient ensemble prisonnières dans les bordels de la province de La Rioja. Aujourd’hui, elles sont libres : elles doivent  cette liberté retrouvée  au travail acharné de Susana avec sa fondation, qui porte le nom de sa fille : Fondation Maria de los Angeles. Depuis 2007, Susana a sauvé plus de 700 filles de l’enfer de la traite des Blanches. Le regard dur avec la photo de sa fille dans les bras, Susana Trimarco écoute dans le tribunal pénal de la ville de San Miguel de Tucuman (nord de l’Argentine) les témoignages des premiers accusés qui nient être coupables d’avoir forcé Marita Veron à devenir une esclave sexuelle. Dans plusieurs jours des filles prostituées, elles aussi contre leur gré, témoigneront devant les juges, de l’horreur qu’elles ont vécue auprès de Marita Veron, confirmant ce que Susana a découvert au fil de ses enquêtes. Une vérité qui dérange et qui montre la cruauté des réseaux de la mafia de la prostitution en Argentine.
Une mère en guerre contre l’esclavage sexuel
Marita avec sa famille, avant sa disparition.
La disparition Quand elle a été enlevée le 3 avril 2002 dans les rues de sa ville San Miguel de Tucuman, Marita Veron avait 23 ans et une fille de 3 ans. Selon des témoignages apeurés de plusieurs personnes, recueillis par sa mère en enquêtant, Marita aurait lutté contre plusieurs hommes avant d’être forcée de monter dans une voiture. Une Fiat rouge de l’entreprise de transport Cinco Estrellas (cinq étoiles) appartenant à la famille Ale qui se trouve aujourd’hui sur le banc des accusés. L’un deux Ruben Ale, plus connu à Tucuman comme La chancha (la cochonne) en raison de son embonpoint  est notoirement connu comme un escroc : ex président du club de foot de la ville, il a fait de la prison et est un « grand collectionneur » d’armes de guerre. C’est d’ailleurs à cette « paisible » famille que l’ex gouverneur de la province de Tucuman, Julio Miranda conseilla à Susana Trimarco  de demander de l’aide pour retrouver sa fille. « Il prétexta qu’ils avaient de meilleurs voitures et plus d’armes que la police de Tucuman, » déclara Susana indignée à la barre du tribunal. Susana accusa l’ex gouverneur Miranda d’avoir pendant son mandat collaboré avec la mafia responsable de la disparition de sa fille. Alors que Susana rameutait les pouvoirs publics et la justice pour l’aider dans son enquête, la justice de Tucuman pour la détourner de son but, fit la sourde oreille et accusa le mari de Susana Trimarco (décédé en 2011) d’avoir probablement tué sa fille. La perquisition ainsi que les fouilles de la police dans le jardin de la famille de Marita ne donnèrent rien. Susana, qui n’était pas au bout de ses peines, comprit alors que face à la corruption, elle seule, pourrait retrouver sa fille.
Dans la peau d’une maquerelle et d’une prostituée Un commissaire de police de Tucuman l’avertit  qu’ils avaient arrêté un policier en pleine tentative d’enlèvement d’une jeune fille devant chez elle. Susana accourut sur place. Il s’agissait d’un officier du nom de Andrada  (lui aussi  sur le banc des accusés)  chargé de « recruter » des filles pour les cabarets de la province de La Rioja. Dans sa voiture, elle découvrit un agenda en accordéon avec des dizaines de contacts dans tout le pays et Susana les appela immédiatement. Une fois, bravant le danger, elle entra dans le cabaret Five Stars de la Rioja, habillée en prostituée et ne put s’échapper que de justesse avant qu’on ne tente de la violer. Une autre fois encore, se présentant comme « Madame » elle entra dans une maison close et découvrit les codes et horreurs de la traite des blanches. « Je leur ai dit que je voulais acheter des filles, ils m’ont simplement demandé  si je souhaitais des filles très jeunes ou des plus âgées car les mineures coûtaient beaucoup plus cher. » Par son infiltration dans les coulisses obscures de la mafia, Susana a pu récolter des informations capitales, qui ont permis de démanteler les réseaux mafieux et de suivre les traces de sa fille transférée d’une province à l’autre. « Je reçois des lettres, des mails de personnes qui cherchent à me détruire psychologiquement. Ils me disent qu’ils ont la petite culotte de ma fille et qu’elle est au Chili, en République Dominicaine ou encore en Europe. Ils nous menacent, Micaela (fille de Marita) et moi mais je le répète les mafias ne me font pas peur », dit d’un ton ferme Susana devant les jurés impressionnés par la force de cette mère. Un nouveau témoignage qui donne de l’espoir A l’âge de 15 ans, Andrea Darrossa a été séquestrée et obligée de se prostituer pendant huit longues années dans une maison close de la province de La Rioja. Violée, battue et blessée par balle alors qu’elle tentait de s’enfuir, elle est une miraculée. Quand Susana Trimarco l’a libérée, Andrea lui a confirmé qu’elle avait vu sa fille. Alors, suspendue à son cou, elle confia à Susana : « Si je suis toujours vivante après huit ans d’enfer, ta fille Marita doit l’être aussi. » Une lueur d’espoir  pour Susana. Le procès qui a commencé, doit durer plusieurs mois dans la salle 2 du Tribunal pénal de Tucuman. Les jeunes rescapées tenteront de prouver la culpabilité des 13 accusés qui devront faire face à la force et à la détermination de Susana Trimarco. L’Argentine est  bouleversée par la traite des blanches (des dizaines de filles enlevées par an). Un commerce mafieux qui génèrerait au niveau mondial un bénéfice de presque 6 milliards d’euros par an. Le 3 avril 2012, cela fera exactement 10 ans que cette mère de famille pieuse est devenue malgré elle, une mère en guerre contre le fléau de la traite des blanches afin de sauver sa fille Marita Veron. Susana est fatiguée par tant d’années d’angoisse qui ont couté la vie à son mari. Mais elle n’arrêtera jamais : « Je continuerai jusqu’à ce que je retrouve ma fille vivante… ou morte. »