C'est un conseil inhabituel, et qui pourrait semblé anecdotique, donné aux jeunes femmes anglaises en passe d'être envoyées dans le pays d'origine familial : "avant de partir pour l'aéroport, glissez une petite cuillère dans vos sous-vêtements." Celle-ci sonnera lors du passage dans les portiques de sécurité destinés à la détection de métaux et autres explosifs. Alors, ces citoyennes en mauvaise partance, entrainées vers un bureau isolé par les agents de sécurité inquiets, pourront raconter leurs tristes histoires. Déjà,
les autorités britanniques avaient lancé cet été une campagne pour tenter d'empêcher que, sous le prétexte de vacances, ces adolescentes ne soient envoyées à l'étranger pour y être mariées de force. Ils avaient ainsi demandé aux professeurs, aux médecins et aux employés des aéroports d'aider à débusquer ces victimes potentielles afin de leur éviter un embarquement vers une situation sans retour. Mais, le plus souvent accompagnées de chaperons familiaux, elles ne pouvaient pas spontanément parler sans risque. L'astuce proposée par l'organisme de bienfaisance
Karma Nirvana ("Paix et Lumières") dédié à la lutte contre les unions forcées et les crimes d'honneur conduira les douaniers à interroger la "suspecte" à l'isolement. Ce qui lui permet de déballer son histoire à l'abri de sa parentèle. Une pratique condamnée par toutes les religions L'organisation Karma Nirvana, basée à Derby dans le centre de l'Angleterre,
reçoit chaque année quelque 6.500 appels relatifs aux mariages forcés, dont les victimes sont, à plus de 80% selon les données officielles, essentiellement les filles et en majorité originaires des pays du sous-continent indien. Quand des victimes potentielles appellent, "si elles ne savent pas exactement quand cela va se passer et si cela va se passer, nous leur recommandons de mettre une cuillère dans leurs sous-vêtements", explique Natasha Rattu, directrice à Karma Nirvana. "L'objet métallique ainsi caché dans une partie privée du corps est signalé au passage des contrôles de sécurité, et si la victime est âgée de 16 ans ou plus, elle est emmenée dans un lieu sûr où elle a une dernière chance de révéler qu'on veut la forcer à se marier", à l'abri du regard de ses parents, détaille-t-elle. Il reste à espérer qu'à force de publicité l'astuce ne soit pas éventée et empêchée par les familles alertées... "Des personnes nous ont appelés en nous disant que cela leur avait permis de sortir d'une situation dangereuse. C'est quelque chose d'incroyablement difficile à faire quand votre famille est à côté, mais de cette façon elle n'est pas au courant de ce que vous avez fait. C'est une méthode sûre", affirme encore la responsable. Karma Nirvana a été fondée par
Jasvinder Sanghera, qui s'est elle-même enfuie de chez elle pour échapper à un mariage forcé quand elle était adolescente. L'association travaille avec les aéroports de Heathrow à Londres, de Liverpool et de Glasgow, et bientôt Birmingham, pour tenter de sensibiliser le personnel aux indices pouvant faire soupçonner un cas de mariage forcé, comme un billet simple sans retour pendant les vacances d'été ou l'attitude mal à l'aise d'une jeune fille. L'année dernière, la cellule du Foreign Office mise en place pour lutter contre les mariages forcés a traité 1500 cas. 18% de ces victimes étaient des hommes. Un tiers étaient âgées de moins de 17 ans. La plus jeune avait 2 ans, la plus âgée 71 ans. Près de la moitié concernaient le Pakistan, 11% le Bangladesh, 8% l'Inde et 2% l'Afghanistan. Le phénomène touchait aussi la Somalie, la Turquie et l'Irak. La partie émergée de l'iceberg Les appels de détresse reçus par Karma Nirvana connaissent en général un pic avant les départs en vacances d'été et à la fin. "Les vacances sont un moment propice aux disparitions de jeunes puisqu'ils ne sont plus sous la surveillance de l'école", explique Natasha Rattu. La prise de conscience augmente au Royaume-Uni où cohabitent différentes communautés immigrées,
où des suicides et des crimes d'honneur liés au mariage forcé ont marqué l'opinion. Les experts estiment toutefois que les victimes qui se manifestent auprès des autorités et des associations ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Pour sensibiliser la population, la police de l'Essex (sud-est de l'Angleterre) a mis en ligne sur son site le témoignage anonyme d'une femme, forcée d'épouser un homme choisi par ses parents. Elle raconte sa peur face aux menaces du père: "Il disait que si je tentais de m'enfuir, il me retrouverait et me tuerait, et irait en prison plutôt que de supporter que je déshonore la famille". Elle accepte alors à contrecoeur un "mariage indien" de quatre jours. "Ce soir là j'ai été violée par mon mari et ces agressions ont continué pendant huit ans et demi", dit encore cette femme, qui a fini par fuir, non sans avoir détruit tous ses papiers personnels pour ne pas être retrouvée.