Une psychiatre indonésienne tente de sortir les fous de leur enfer à Bali

C'est une femme presque seule, mais combattante et motivée comme un régiment. Luh Suryani sillonne les jungles et les rizières balinaises à la rencontre des malades mentaux enchaînés et oubliés de tous pour les soigner. L'Indonésie a interdit formellement ces mauvais traitements, héritages de coutumes ancestrales. Mais malgré les lois, cette psychiatre se heurte souvent à la réticence des familles qui méconnaissent la médecine moderne et pour qui la folie est affaire de malédiction.
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Une psychiatre indonésienne tente de sortir les fous de leur enfer à Bali
Le docteur Suryani écoute l'une de ses patientes
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Un large sourire aux lèvres, le docteur Suryani marche prudemment dans la jungle de Bali. Elle va visiter une de ses patientes, une jeune femme de 17 ans, qui vit enchaînée dans une cabane en bois depuis plusieurs années. Lorsqu’elle s’approche de l’adolescente, Luh Suryani lui adresse des mots gentils, elle tente de la rassurer, car la patiente est affolée, en pleine crise. Malgré ses chevilles attachées à un lit en bois, Tut se débat.  « Nous l’avons enchaîné car elle est violente. Elle a pris un couteau et a voulu tuer son oncle. Nous ne pouvons pas l’emmener à l’hôpital, car nous n’avons pas assez d’argent », explique la mère de la jeune femme. Le docteur Suryani a fondé il y a cinq une clinique psychiatrique mobile. Elle sillonne deux des régions les plus pauvres de Bali pour soigner des patients atteints de maladie mentale. L'indifférence des autorités sanitaires « Souvent les familles ne peuvent faire hospitaliser leurs proches malades. Par honte, par peur ou par manque d’argent, elles enchaînent ceux qu’elles considèrent comme fous », témoigne Luh Suryani. Cette coutume, appelée «pasungan» est interdite en Indonésie, mais est encore répandue. Il y aurait près de 20 000 malades mentaux enchaînés sur tout l’archipel. « Je vais sur le terrain, dans des villages difficiles d’accès car j’ai réalisé qu’il y avait, contrairement à ce que l’on croit sur l’île des Dieux,  énormément de personnes atteintes de maladies mentales. Plus de 9000 selon mes données. Le gouvernement ne s’en préoccupe pas, il n’y a qu’un seul hôpital psychiatrique sur l’île de Bali », s’insurge la professeure Suryani.
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A Bali la folie fait peur et la maladie est jugée comme une malédiction. Pour beaucoup il s’agit de sorcellerie, et c’est à un chaman plus qu’à un psychiatre qu’on fait appel pour soigner les malades. La méthode du docteur Suryani et de son équipe d’une dizaine de volontaire combine la psychiatrie moderne et le respect des traditions locales : « J’administre des psychotropes, mais je n’interdis pas aux familles de consulter les guérisseurs, sinon je ne pourrais pas être acceptée », explique cette soixantenaire battante, qui lutte contre les préjugés. La maladie mentale, envers et enfer d'un décor paradisiaque Beaucoup des malades sont atteints de schizophrénie. Souvent une dépression, un échec personnel, ou sentimental, des abus sexuels déclenchent les symptômes. «Non soigné, le patient reste prisonnier de sa folie, isolé, vivant parfois dans des conditions inhumaines, comme ce jeune homme que nous avons trouvé dans un village, qui vivait depuis des années dans un cage en bois, sans aucune porte ni fenêtre et à qui on jetait de la nourriture à travers les barreaux», se souvient Luh Suryani. Ce patient, Nyoman, est aujourd’hui guéri. Quand l’équipe du professeur Suryani lui rend visite, il est fier de leur jouer un air de musique qu’il vient d’apprendre.  Sur les 850 patients qu’elle a soigné, un tiers est guéri, les autres suivent encore un traitement. «Les patients sont très reconnaissants, ils pensent qu’il s’agit d’un miracle», sourit-elle. Luh Suryani a investi toute sa fortune personnelle pour continuer son travail auprès des malades enchaînés. Elle ne reçoit que très peu d'aide du gouvernement, uniquement des dons de particuliers.

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