Une Saoudienne au sommet du monde, mais pour quel ciel ?

En cette fin de mois de mai 2013, au moins trois femmes, venues d'horizons divers, ont atteint le toit du monde : une Indienne amputée après avoir été jetée d'un train a atteint la cime de l'Everest le mardi 21 ; la veille, une alpiniste russe venait d'y planter un drapeau "Sotchi-2014" à l'effigie des jeux olympiques qui auront lieu l'hiver prochain en Russie ; mais c'est surtout la dernière qui a retenu l'attention planétaire. Le samedi précédent, une jeune Saoudienne, Raha Mouharraq réussissait l'ascension de l'Everest, une première pour une ressortissante du royaume où le sport féminin est soumis à de fortes restrictions.
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Une Saoudienne au sommet du monde, mais pour quel ciel ?
Raha Mouharraq lors de son ascension de l'Everest - photo de sa page Facebook
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Partie le 3 avril 2013 de Jeddah, sa ville natale dans l'ouest du royaume saoudien, Raha Moharrak a suivi plusieurs entraînements avant d'arriver le 18 mai à 08H30 GMT au sommet de l'Everest. Cette diplômée de l'université de Charjah, aux Emirats arabes unis, devient à 25 ans la première Saoudienne à réussir l'ascension du plus haut sommet du monde, qui culmine à 8.848 mètres dans l'Himalaya. "Son rêve était de prouver sa capacité à supporter les difficultés avec détermination et abnégation car elle croit que l'Homme peut se surpasser" dans toute épreuve, a commenté fièrement son père.

Cet exploit surgit alors qu'à Ryad, les spéculations vont bon train au sujet de la présence des femmes dans les stades. Le chef de la fédération saoudienne de football, Ahmad Eid a en effet lancé très récemment que "Les femmes seraient autorisées dans les stades prochainement". Avent d'évoquer la possibilité de consacrer 15% de la capacité d'un stade en construction dans le complexe sportif roi Abdallah à Jeddah à des cabines familiales où les femmes pourraient assister aux matchs de football. Le sujet a aussitôt déclenché un vaste débat dans les médias où les avis défavorables se sont fait entendre au point que M. Eid s'est trouvé dans l'obligation de publier une mise au point, dans laquelle il a précisé n'avoir fait qu'"exprimer une opinion personnelle".

Un pas en avant, un autre en arrière

L'Arabie saoudite applique une version rigoriste de la Charia, interdit la mixité et limite l'accès des femmes à l'espace public. Sous la pression des instances sportives internationales, le royaume avait pourtant envoyé deux compétitrices aux jeux Olympiques de Londres de l'été 2012. Le Comité international olympique (CIO) avait accepté que la judokate et la coureuse saoudiennes concourent la tête et le corps couverts, comme le veut le code vestimentaire islamique. Ce qui avait déclenché une vive polémique...

Une Saoudienne au sommet du monde, mais pour quel ciel ?
Quelques supportrices saoudiennes... en 1998 à Paris, pendant la Coupe du monde. AFP
Le sport féminin est quasi-inexistant au royaume des al-Saoud. Les autorités viennent à peine d'autoriser sa pratique, uniquement dans les écoles privées  de jeunes filles. Pour la première fois aussi, une Saoudienne est entrée dans une enceinte sportive et a assisté avec l'un de ses "gardiens légaux" à une compétition d'équitation à Al-Ihsa, dans la province orientale du royaume - "le gardien légal" est un proche parent sans lequel les Saoudiennes ne peuvent pas voyager à l'étranger ou fréquenter un lieu public mixte. Parfois, des supportrices encouragent leur équipe, mais toujours hors de leur pays, comme au Koweït en 2010 ou encore à Paris en 1998. Elles demandent, en vain, de pouvoir suivre leur équipe à domicile.

Les effractions de la mondialisation

En janvier 2013, des expatriées coréennes et japonaises ont elles aussi été autorisées à assister aux compétitions organisées à Jeddah dans le cadre d'un tournoi asiatique de handball. L'Arabie saoudite tente aussi d'organiser la phase finale de la Coupe d'Asie de football en 2019. Dans le cas où elle réussirait, elle serait obligée de consacrer, sur les gradins, des espaces pour les spectatrices comme le prévoient les règlements de la Fédération asiatique de football.

Dans la marche des Saoudiennes pour leurs droits, des initiatives personnelles comme celle de Raha Mouharraq se multiplient, soutenues discrètement par certains membres de la famille royale : se filmer au volant comme Manal Al Sharif, faire rire comme Noufie, ou filmer comme Haifaa Al-Mansour. La chercheuse belge Elisabeth Vandenheede s'interroge sur ces gestes qui restent très individuels. En favorisant ces démarches solitaires de quête du bonheur, le Royaume, craignant la contagion des révolutions arabes, ne chercherait-il pas à se consolider, grâce à l'appui des femmes ? Une question fort intéressante...

Pour Raha Mouharraq “c'est le froid qui a été le plus dur“

JT TV5MONDE, 22 mai 2013
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