Fil d'Ariane
Une société de production de films ouvertement féministe : l’initiative est nouvelle en France et osée, dans le milieu masculin et feutré du 7è art. A la tête de ce projet, l’actrice française Juliette Binoche (Le Patient anglais, Bleu, Le Chocolat) et l’américaine Jessica Chastain (La Couleur des sentiments, Seuls sur Mars, Interstellar) jettent un pavé dans la mare.
Cette initiative prolonge le mouvement initié à la cérémonie des Oscars, en février 2016. Le ras-le-bol des minorités – les femmes et les noirs - s’y était fait entendre, dénonçant un cinéma trop blanc et trop masculin.
Enfermées dans un type de rôle de séduction
Jackie Buet, directrice du Festival de films de femmes de Créteil
Entourées de nombreuses femmes de cinéma (parmi lesquelles Catherine Hardwicke – réalisatrice de Twilight, la comédienne Freida Pinto – Slumdog Millionnaire, la réalisatrice Amma Asante – Belle), les deux actrices viennent de créer, fin février 2016, la société de production « We do it together » (Nous le faisons ensemble), dont le but est de changer l’image des femmes au cinéma.
La société produira d’abord 6 films courts (de 15 minutes), faits par des réalisatrices et des actrices, pour dénoncer les rôles stéréotypés auxquels les femmes sont en grande majorité cantonnées.
Jackie Buet, fondatrice et directrice du Festival international de films de femmes de Créteil, qui se bat pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans le cinéma depuis 1979, revient sur ces clichés : « les femmes au cinéma sont très souvent enfermées dans un type de rôle de séduction, glamour, et dans un type d’âge, comme le dénonçait déjà l’actrice Delphine Seyrig. Passé la quarantaine, c’est plus difficile pour elles de trouver des rôles ».
Elle explique qu’entre réalisateurs et actrices, s’installe toujours un jeu de séduction : « ils préfèrent avoir une jeune en face d’eux qu’une femme de l’âge de leur femme. C’est toujours la même histoire ».
Créer une vague pour que les consciences changent
Juliette Binoche
Le 28 février dernier, Juliette Binoche confiait sur France Info ses intentions : « la société est à but non lucratif. C’est une façon de créer une vague pour que les consciences changent ». La vente des 6 premiers films servira à produire d’autres films qui renouvellent l’image des femmes et promeuvent un cinéma de réalisatrices.
Pour se financer, la société compte sur les fonds d’organismes publics et des donations privées.
L'initiative de Juliette Binoche s'inscrit dans la droite ligne de celles de ses consoeurs américaines, comme Meryl Streep, qui poussait un coup de gueule lors du Festival de Berlin 2016. L'actrice maintes fois couronnée aux Oscars a depuis longtemps pris fait et cause pour les femmes au cinéma. En avril 2015, à Hollywood, elle créait et finançait presque intégralement Writers Lab, un laboratoire pour aider les femmes scénaristes de plus de 40 ans.
Juliette Binoche et Jessica Chastain prêtent leur voix aux actrices, réalisatrices, productrices qui n’ont pas la même audience médiatique. Jackie Buet juge le projet engagé et courageux : « Beaucoup de femmes ont peur de se faire coller une étiquette de féministe. C’est vrai que parler de la discrimination des femmes, se dire féministe peut porter préjudice à celles qui le font, face à des producteurs qui n’aiment pas les vagues. »
Le féminisme, ce n’est pas des sorcières qui veulent se venger des hommes, mais des femmes qui, dans la modernité d’aujourd’hui, réclament une ouverture
Jackie Buet
Juliette Binoche associe son projet au féminisme, mais un féminisme qu’elle modernise, comme le commente la programmatrice engagée : « Le féminisme, ce n’est pas des sorcières qui veulent se venger des hommes, mais des femmes qui, dans la modernité d’aujourd’hui, réclament une ouverture ».
En France, les réalisatrices ne représentent que 25% de la profession, « les bonnes années », ajoute Jackie Buet. Dans toute l'Europe, elles sont 16%.
Le prochain rendez-vous visé par « We do it together » est le Festival de Cannes où les deux actrices espèrent sensibiliser le monde du cinéma.
La directrice du Festival international de films de femmes de Créteil rappelle qu’en 68 éditions, une seule femme, Jane Campion, a décroché la palme d’or pour son film La leçon de piano, et que chaque année, la programmation cannoise de réalisateurs femmes oscille entre zéro et deux.
Selon elle, les choses ne changeront que sous l’impulsion d’une volonté politique, comme en Suède où les propositions de films de réalisatrices ont doublé le jour où la directrice de l’équivalent du CNC a décidé d’établir des quotas, à 50-50, entre hommes et femmes.
Cette année, le festival international du film de Fribourg (Suisse) a décidé de mettre à l'honneur les femmes. Pour le directeur artistique du festival, « pleins de légendes ont été créées pour empêcher les femmes d'accéder au cinéma ». Invitée du festival, la réalisatrice américaine Vivian Norris, dont le film Mama Obama sorti en 2014 raconte la vie de la mère de Barack Obama, ne comprend pas pourquoi le cinéma porte à l'écran tant d'histoires de héros et si peu d'héroïnes, comme on l'entend dans ce reportages de notre partenaire la RTS (Radio télévision suisse).
Sous toutes ces impulsions, il n'est pas impossible que l’égalité homme femme fasse un jour son entrée au box office.