Vague d'indignation en Inde après un viol collectif

Il aura fallu 10 jours, deux morts, et des émeutes pour que le gouvernement indien demande enfin une enquête. Le viol collectif, puis son décès, d'une jeune femme de 23 ans dans un bus le dimanche 16 décembre 2012 a provoqué en Inde une vague d'indignation et de condamnations politiques. Depuis les premiers rassemblements mercredi 20 décembre, des milliers de personnes manifestent quotidiennement à New Delhi pour réclamer plus de respect à l'égard des femmes. Mais après la mort d'un policier, la capitale avait été fermée, même si le Premier ministre Manmohan Singh avait qualifié d'événement atroce ce viol.
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Vague d'indignation en Inde après un viol collectif
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Vague d'indignation en Inde après un viol collectif
“La réponse du gouvernement : fermer Delhi“, à la une du Hindustantimes, quotidien proche des communistes, le mardi 25 décembre 2012.
Le 28 décembre 2012, la jeune femme violée a fini par succomber à ses blessures, à Singapour où elle avait été transférée pour y être soignée. Quelque heures auparavant, elle avait tout de même réussi à raconter son calvaire aux enquêteurs. Le crime a fait indirectement un autre mort : un policier de 47 ans a été tué lors d’affrontements avec des manifestants le mardi 25 décembre 2012. Dix jours après ce viol collectif d’une étudiante, les autorités indiennes ne savent plus comment enrayer le mouvement de protestation. L’agression du policier s’est produite alors que les forces de l’ordre répliquaient par des tirs de gaz lacrymogènes et de canon à eau à des jets de pierre de manifestants.

Pour le Times of India, “la police est coupable d’avoir utilisé une force disproportionnée. Le gouvernement n’a pas compris que ces manifestations sont le signe que la population est bien décidée à ne pas rester un spectateur muet devant l’apathie administrative et la médiocre gouvernance.”

Huit personnes ont été arrêtées pour le décès de cet agent des forces de l’ordre. Les manifestations sont interdites dans le centre de la capitale New Delhi depuis la fin de la semaine dernière après des scènes de violence. Depuis lundi 24 décembre, certaines rues sont même barrées, et l’accès à neuf stations de métro interdit. “Nous savons que les routes barrées vont poser des difficultés aux gens, mais nous devons stopper les manifestations de colère”, a commenté Rajan Bhagat, le porte-parole de la police. Le quotidien The Hindu a répliqué ce mardi en une en titrant “La répression fait taire les manifestations.”

L’état de santé  de l’étudiante de 23 ans dont le viol collectif est à l’origine des protestations s’est dégradé. L’hôpital où elle est soignée a fait savoir lundi soir qu’elle “souffre de problèmes respiratoires.” Elle a pu décrire ce week-end le viol dont elle a été victime aux policiers. Six hommes accusés d’en être les auteurs et ivres au moment des faits ont été arrêtés.

“Les Indiens n'ont plus confiance dans les institutions de leur Etat“

25.12.2012JT TV5MONDE 18h du 25.12.12
L'analyse de Vaiju Naravane, correspondante du quotidien The Hindu en Europe
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“La jeunesse éduquée s'identifie à la victime“, analyse de Sébastien Farcis, correspondant de RFI et TV5MONDE

25.12.2012JT TV5MONDE 11h du 25.12.2012.
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“Un événement atroce“ selon le Premier ministre Manmohan Singh

24.12.2012Récit : Anne-Charlotte Hinet
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Les manifestants bravent les interdits et ne désarment pas

23.12.2012Récit : Emmanuelle Godard
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21.12.2012AFP
Vague d'indignation en Inde après un viol collectif
Une vague de colère submerge les filles, titre le très sérieux Times of India
En dépit de la vague d'indignation populaire et politique suscitée par le viol d'une étudiante à New Delhi le dimanche 16 décembre, les observateurs dénoncent une société indienne profondément misogyne où les victimes de violences sexuelles sont souvent considérées comme responsables de leur agression. Ce dimanche 16 décembre 2012, l'étudiante en kinésithérapie et son ami étaient montés à bord d'un bus scolaire presque vide qui n'était pas en service, après que le chauffeur leur avait proposé de les emmener pour le prix d'un ticket normal. Selon la police, la jeune femme a été violée dans le bus par les six hommes présents, dont le chauffeur, avant d'être balancée hors du véhicule. Avant le viol, son ami a, lui, été battu avec des barres en fer.

Les associations de défense des droits des femmes, et la presse indienne estiment que la misogynie continue de régner en maître dans une société dominée par les hommes et que le pays tarde à prendre la mesure de l'ampleur des agressions et viols, dont le nombre a plus que doublé entre 1990 et 2008. "Nos rues reflètent une misogynie extrême", résume Brinda Karat, une parlementaire membre du parti communiste. "Les femmes sont tout le temps traitées comme des objets, harcelées ou abusées sexuellement mais personne ne réagit".
Selon les données du Bureau national du crime, sur les 256.329 crimes violents recensés l'an dernier, 228.650 d'entre eux visaient des femmes, avec un taux de condamnation pour viol de 26%.

Les militants soulignent que ces chiffres sont une conséquence directe de l'échec des autorités à lutter contre une culture où le harcèlement sexuel est souvent considéré comme un jeu ne prêtant pas à conséquence. L'expression populaire utilisée en Inde pour évoquer harcèlements et agressions, "Taquiner Eve" - en référence à la nature tentatrice de la première femme selon l'histoire biblique des origines - souligne à quel point la société ne prend pas en compte le préjudice subi par les victimes.

La police est depuis longtemps critiquée pour son manque d'entrain à recevoir les plaintes de femmes agressées, lorsque celles-ci osent rompre le silence. Dans un article publié ce mois-ci par le magazine Tehelka, une victime de viol racontait son calvaire. Cette étudiante de 23 ans à l'université de New Delhi disait qu'après avoir été violée et battue, elle avait subi un examen médical sans ménagement dans un hôpital public avant de devoir affronter au tribunal des questions répétées sur la forme de son jean et sur ses sous-vêtements "provocants".

Vague d'indignation en Inde après un viol collectif
Il est temps que l'Inde réévalue son approche des femmes, titre DNA, quotidien proche des communistes

Même si la loi indienne stipule qu'une victime de viol doit être protégée de la vue du public au cours du procès, rien n'avait été prévu pour la cacher lorsqu'elle a été citée à comparaître. Sa famille recevait en outre des menaces anonymes par téléphone après chaque audience. La semaine dernière, trois ans après les faits, le violeur présumé a été innocenté. "Le viol n'est pas un crime comme les autres. On doit vivre avec un corps qui été violé, on doit vivre avec le souvenir de ce que l'on vous a fait et l'on doit vivre avec sa propre impuissance", confiait cette victime au magazine.

Pour tenter d'apaiser les peurs des femmes, les autorités ont mis en service à New Delhi et Bombay des trains dotés de compartiments réservés aux passagères. La Cour suprême a par ailleurs ordonné le mois dernier à tous les gouvernements locaux de faire patrouiller des femmes policiers dans les espaces publics, y compris les marchés, les parcs, les plages et les transports publics.

Pays fortement conservateur, l'Inde a toutefois connu de profonds bouleversements sociaux ces dernières années sous l'effet de la croissance économique, avec un plus grand nombre de femmes accédant au marché de l'emploi. Mais les associations estiment que de nombreux hommes voient ce changement comme une menace. "Il y a aujourd'hui une vraie bataille entre un état d'esprit violemment patriarcal et une hausse du nombre de femmes dotées de plus grandes responsabilités dans l'Inde urbaine", juge Hindol Sengupta, cofondateur d'une organisation caritative basée à New Delhi, Whypoll.

Et une étude très récente, publiée au lendemain du crime de New Delhi, vient conforter cette vision d'un pays misogyne et peu enclin à protéger les victimes de viols ou de harcèlement : une vingtaine d'hommes poursuivis pour viol se sont présentés à des élections en Inde ces cinq dernières années, selon l'Association pour des réformes démocratiques (ADR). Selon l'ADR, "depuis 2007, les partis politiques ont sélectionné 20 hommes accusés de viol comme candidats à des élections locales. C'est choquant et des mesures urgentes doivent être prises", a estimé vendredi le fondateur du groupe, Jagdeep Chhokar.

L'autobus du crime et de l'indignité

récit Grégori Fontana

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