Vague d'intoxications dans les écoles en Iran : qui veut nuire à l'éducation des filles ?

Près de 800 jeunes Iraniennes ont été empoisonnées par des gaz toxiques depuis novembre 2022 dans différents établissements de plusieurs villes, suscitant une émotion grandissante dans le pays. Nombreux sont ceux qui soupçonnent une tentative délibérée de forcer les écoles de filles à fermer.
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Ecolières à Ispahan
©ILO/J. Huguet via Flickr
Ecolières à Ispahan, en Iran, en novembre 2006.
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Matinée du mercredi 1er mars à Ardabil, dans le nord-ouest de l'Iran : les élèves de sept écoles de filles sont indisposées par des émanations de gaz ; 108 personnes sont transportées à l'hôpital, selon le chef du service hospitalier à l'agence de presse Tasnim. Il précise toutefois que l'état général des élèves, qui ont souffert de difficultés respiratoires et de nausées, évolue favorablement.

Tout le pays touché

​Les médias ont également fait état de nouveaux cas d'intoxication dans au moins trois établissements de Téhéran. Dans un lycée de Tehransar, dans l'ouest de la capitale, des élèves ont été "intoxiquées par la projection d'une sorte de spray", a indiqué de son côté l'agence de presse Fars, qui cite des parents d'élèves. La même source a fait état de la mobilisation des services d'urgence sur place.
 

Au total, "plus de 5 000 élèves ont été affectées" dans "quelque 230 établissements scolaires" dans 25 des 31 provinces du pays depuis fin novembre 2022, selon Mohammad-Hassan Asafari, de la commission d'enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur les causes de cette vague d'intoxications. Les premiers cas d'empoisonnement par voies respiratoires ont touché des filles âgées d'environ 10 ans dans la ville sainte de Qom, dans le centre du pays, et 400 autres à Boroujerd, dans l'ouest.

A chaque fois, le même scénario s'est répété : des élèves d'écoles de filles respirent des odeurs "désagréables" ou "inconnues" puis présentent des symptômes comme la nausée, l'essoufflement et le vertige. "Une très mauvaise odeur s'est répandue tout d'un coup, je me suis sentie mal et suis tombée sur le sol", raconte ainsi une écolière. Certaines élèves ont été brièvement hospitalisées mais aucune n'a jusqu'à présent été gravement affectée. "Aucune substance dangereuse n'a été décelée chez ceux qui ont été examinés dans les centres médicaux", selon le ministère de l'Intérieur. Mohammad-Hassan Asafari précisé que les "tests menés pour identifier" ces substances n'avaient pas permis de les déterminer avec certitude.

Qui veut renvoyer les écolières à la maison ?

Selon les résultats d'examens toxicologiques fournis par le ministère de la Santé et cités par un député, la substance toxique utilisée à Qom était composée notamment de gaz N2, à base d'azote, utilisé dans l'industrie ou comme engrais agricoles.
Le 1er mars, le président iranien Ebrahim Raïssi a chargé le ministre de l'Intérieur, Ahmad Vahidi, de "suivre l'affaire au plus vite", et d'"informer" le public sur l'enquête afin de "balayer les inquiétudes des familles", selon le site de la présidence.

Le même jour, Ahmad Vahidi a annoncé à la presse que les autorités enquêtaient toujours sur les "responsables éventuels" des intoxications, mais qu'aucune arrestation n'avait encore été faite. "Jusqu'à présent, nous n'avons pas de rapport définitif précisant qu'une substance spécifique de nature toxique a été utilisée" pour empoisonner des élèves.

Certains individus cherchent, par ces actions, à fermer toutes les écoles, en particulier les écoles de filles.
Vice-ministre de la Santé

L'affaire a provoqué une vague de colère dans le pays, où des voix dénoncent le silence des autorités face au nombre croissant d'écoles touchées. Certaines écolières ont été brièvement hospitalisées mais aucune n'a été gravement affectée.
Le ministère de la Santé avait expliqué dimanche que "certains individus" cherchaient, par ces actions, à "fermer toutes les écoles, en particulier les écoles de filles".

Le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, réclame des "peines sévères" à l'encontre des responsables de ces "crimes impardonnables"."Il n'y aura pas d'amnistie" pour ces personnes, avertit la plus haute autorité de l'Iran. Pour sa part, le président iranien Ebrahim Raïssi a appelé les services de l'Etat à "faire échouer le complot de l'ennemi" qui "veut semer la peur, l'insécurité et le désespoir".

Objet d'un large consensus, pourtant, l'éducation pour tous est obligatoire en Iran, où les filles représentent même une majorité des étudiants dans les universités. Reste que ces empoisonnements pourraient viser les écolières, collégiennes, lycéennes et autres étudiantes en réaction à la vague de protestations qui agite l'Iran depuis la mort de Mahsa Amini, en septembre 2022. Menée par les femmes, cette révolte populaire s'est donnée pour slogan "Femme, Vie, Liberté".

Réactions internationales et quête de preuves

Le 4 mars 2023, la cheffe de la diplomatie allemande, Annalena Baerbock, demande à ce que tous les cas d'empoisonnement d'écolières en Iran soient élucidés : "Les informations au sujet d'écolières empoisonnées en Iran sont choquantes", écrit la ministre écologiste des Affaires étrangères sur Twitter. "Les filles doivent pouvoir aller à l'école sans crainte, que ce soit à Téhéran ou à Ardabil... Il ne s'agit de rien de moins que de leur droit".

Cette réaction s’inscrit dans un contexte de vive tension entre l'Iran et l'Allemagne après la condamnation à mort d'un Germano-Iranien. Berlin a en représailles expulsé deux diplomates iraniens. Téhéran a répliqué en renvoyant, le 2 mars, deux diplomates allemands.

Le Haut-Commissariat aux droits de l'Homme des Nations unies, aussi, exige une "enquête transparente" afin d'élucider "tous les cas" d'empoisonnement d'écolières en Iran et des conclusions publiques. Les Etats-Unis appellle à "une enquête crédible et indépendante". "Si ces empoisonnements sont liés à la participation à des manifestations, alors cela relève tout à fait du mandat de la mission indépendante d'établissement des faits des Nations unies", créée en novembre pour enquêter sur les violations des droits humains en Iran, a dit la porte-parole de la Maison Blanche Karine Jean-Pierre.

La porte-parole de l'OMS, Margaret Harris, indique, de son côté, que l'agence était en contact avec les autorités sanitaires nationales et les professionnels de la santé au sujet des incidents, et "utilisait d'autres moyens pour mieux comprendre l'événement afin que nous ayons de meilleures preuves".

"Nous sommes très préoccupés par ces allégations selon lesquelles des filles sont délibérément ciblées dans ce qui semble être des circonstances mystérieuses", a déclaré pour sa part la porte-parole du Haut-Commissaire Ravina Shamdasani aux journalistes à Genève.

Premières arrestations

Le 7 mars 2023, le vice-ministre de l'Intérieur, Majid Mirahmadi, est apparu à la télévision d'Etat pour annoncer l'arrestation de "plusieurs personnes" sur "la base des enquêtes menées par les services de renseignement". Il n'a pas donné de détails sur leur identité, les circonstances de leur arrestation et leur présumée implication, mais plus tard, son ministère a indiqué dans un communiqué que les services de sécurité et de renseignement avaient identifié et arrêté "un certain nombre de personnes" soupçonnées de préparer des substances dangereuses dans les provinces du Khozestan, de l'Azerbaïdjan occidental, de Fars, de Kermanshah (ouest), du Khorasan (est) et d'Alborz (nord). 

Le communiqué indique également que trois d'entre elles avaient des antécédents criminels "dont une implication dans les récentes émeutes", terme utilisé par les autorités pour décrire les manifestations déclenchées après la mort de Mahsa Amini. Toujours selon le ministère, l'une d'elles "introduisait des substances irritantes à l'école par l'intermédiaire de son enfant" et envoyait aux "médias hostiles" des images des écolières après les empoisonnements pour "créer la peur parmi les gens et entraîner la fermeture des écoles". Il accusait les "auteurs de l'empoisonnement des filles" de vouloir aussi "faire porter la responsabilité au système" afin de "raviver la flamme éteinte des émeutes".