Fil d'Ariane
Malgré le confinement et la crise, la Journée de la Femme Digitale n'a pas renoncé, le 21 avril dernier, à décerner ses prix Margaret. Ces prix qui doivent leur nom à Margaret Hamilton, mathématicienne américaine qui travailla sur les missions Apollo, récompensent des femmes porteuses de projets novateurs dans le domaine du numérique. "Si les femmes sont toujours en minorité dans le numérique, les Margaret, ces rôles modèles, font bouger les choses et sont prêtes à emporter une nouvelle génération dans leur sillage : la génération JFD", rappelle Delphine Remy-Boutang. Responsable de l'agence the Bureau et cofondatrice de la Journée de la Femme Digitale, elle animait la soirée en "visiocérémonie" :
Parmi plus de 340 candidatures venant d’Afrique et d’Europe, un jury de dix composé d’experts du numérique, femmes et hommes, a fait un choix difficile parmi les porteuses de projets numériques répondant aux grands enjeux de notre société que sont le développement durable, l'explosion démographique, le traitement de l’information, la transformation des systèmes éducatifs, de santé ou les modes de transport, etc..
À propos de JFD
Fondé en 2013 par the Bureau, JFD Journée de la Femme Digitale met à l’honneur et connecte les femmes qui s’emploient à révolutionner le monde grâce au numérique. Objectif : inspirer et encourager les femmes à se révéler et à innover.
JFD c’est aussi Le Prix Margaret qui chaque année célèbre les femmes qui innovent pour un monde meilleur. C’est également un club fondé en 2016. Présent à Paris et depuis 2019 à Libreville, Gabon, le Club est un réseau de plus de 400 femmes influentes, qui se retrouvent tout au long de l’année pour partager et réseauter.
En 2018, La Fondation Margaret est lancée pour soutenir les projets de femmes engagées, notamment en proposant des bourses et des formations pour les jeunes femmes souhaitant s’orienter dans les métiers de l’innovation et les sensibiliser à l’entrepreneuriat. 2019 marque la première publication du JFD Manifeste pour un monde digital inclusif.
Pour cette cuvée 2020, six femmes ont été primées pour leurs actions, ces dernières années, en faveur d'une meilleure représentation des femmes du monde et de leur émancipation socio-économique et professionnelle.
Les Margaret 2020 sont :
Directrice du département genre, femmes et société civile à la Banque africaine de développement, Vanessa Moungar remporte à 36 ans le Margaret Intrapreneur Afrique, notamment pour avoir organisé le Global Gender Summit. Objectif de cette plate-forme de dialogue entre scientifiques, politiques, universitaires... : examiner l'impact des différences de genres et socio-culturelles sur la productivité, partager les meilleures pratiques et catalyser les investissements afin d'accélérer les progrès en matière d'égalité des sexes et d'autonomisation des femmes en Afrique et dans le monde.
Vanessa Moungar a partagé avec Terriennes son regard sur la crise sanitaire, les femmes africaines et les perspectives économiques d'une planète sonnée par la pandémie.
Quel impact économique la crise sanitaire aura t-elle sur les femmes en Afrique ?
Avec la crise du Covid-19, plus le temps passe, plus l'impact économique est énorme. C'est une tragédie pour l'Afrique, même si le nombre de cas reste inférieur, car l'impact économique est énorme, surtout pour les populations plus vulnérables. Les Etats africains ne peuvent pas mettre en place les filets de sécurité sociaux suffisants pour tous. Or les femmes sont plus exposées, car elles représentent la majeure partie du personnel médical. Leur position socio-économique est plus fragile, aussi, car elles travaillent beaucoup dans les services et le commerce, directement affectés par les mesures de confinement, et qu'il leur reste une charge accrue à la maison, sans compter la recrudescence des violences.
Comment les femmes peuvent-elles se saisir de la nouvelle donne pour s'autonomiser ?
La question de fonds, c'est comment va-t-on reconstruire le tissu économique et quelle est sa résilience ? Les femmes sont des actrices majeures de la reconstruction, car elles sont les garantes de l'avenir d'un pays : quand une femme gagne de l'argent, elle réinvestit 90 % de ses revenus dans l'éducation et les soins à la famille, contre 35 % pour les hommes. S'il faut faire confiance à quelqu'un pour se relever de la crise du Covid-19, c'est bien aux femmes !Le numérique est donc la condition de l'autonomisation des femmes ?
Le continent est jeune, d'où sa créativité numérique : regardez toutes les applis qui sont créées ! Si vous avez une activité, on s'en aperçoit à l'heure du confinement, seul le numérique est viable. Voilà qui devrait pousser les femmes vers le numérique. En plus, grâce aux femmes connectées, on connaîtra mieux les besoins des communautés sur le terrain et on pourra proposer des solutions. Mais pour cela, il faut une connexion pour toutes. C'est une décision qui doit venir des gouvernements, une décision dont l'impact potentiel rejaillira sur tous les secteurs de l'économie.
L'accès au financement reste crucial : il existe déjà des programmes de crédit pour les femmes, mais aux yeux des banques, les femmes sont encore perçues comme des investissements risqués. Simplement parce que le cadre socio-économique ne leur est pas favorable.
L'un des principaux objectifs de la Banque africaine de développement, c'est de changer cette perception en garantissant les prêts aux femmes - un programme soutenu par le G7. Il est important de souligner que le problème se situe surtout au niveau des crédits à court terme : quand une femme a besoin d'une machine ou de personnel pour transformer ses tomates en jus, par exemple.
Au-delà du numérique, que faut-il aux femmes d'Afrique pour tenir debout ?
Il est maintenant primordial que les femmes soient présentes dans les sphères de décision. Les instances qui décident doivent être représentatives de la population, quelles que soient les décisions à prendre. Cela est d'autant plus criant en Afrique où, sur 54 pays, plus aucun, aujourd'hui, n'est dirigé par une cheffe d'Etat. Ce sont les hommes qui prennent les décisions et il n'y a pas de diversité, ni de genre ni de race, parmi les instances dirigeantes.
Pour changer cela, il faut favoriser l'accès des femmes à la formation, à travers des soutiens à l'éducation des filles ou des hubs d'innovation. Et le rôle des gouvernements, c'est de créer un cadre favorable, en amendant les lois qui empêchent l'autonomisation des femmes. Aujourd'hui, toutes les Africaines devraient pouvoir ouvrir un compte en banque sans l'autorisation de leur mari et avoir un accès à l'héritage égal à celui de leurs frères, de leurs oncles...
Quel est le rôle de la communauté internationale dans cette autonomisation ?
Sur le continent africain, et au delà, on réalise maintenant à quel point nous sommes interconnectés. On avait oublié notre condition humaine. Autrefois, des communautés pouvaient être frappées par des tragédies, mais on n'avait pas peur, on ne pleurait pas pour les mêmes raisons dans le monde.
Cette crise sanitaire est frappante par sa nature globale. A l’heure où la France déconfine, par exemple, elle sait que sa sécurité ne dépend pas seulement de ce qu’il se passe à l’intérieur de ses frontières, mais aussi de ce qu’il se passe ailleurs. Cette crise nous rappelle notre vulnérabilité commune – tant qu’un pays est affecté, aucun ne peut se croire en sécurité. C’est une réalité constante, mais cette crise très grave nous la rappelle.
La solidarité internationale est donc plus que jamais nécessaire. On a vu cette solidarité émerger à travers les villages, villes et communautés, en reconnaissance au personnel médical, en soutien aux voisins plus fragiles, aux aînés, aux malades. Il s'agit maintenant d'étendre cette solidarité au-delà des frontières et des différences, car la coordination, dans un monde souvent trop fragmenté, nous sera d’une grande nécessité.
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