
Voici le témoignage d'Arlette Testyler, rescapée du Vél d’Hiv, que nous avions rencontrée, il y a huit ans.
Arrêtée le 16 juillet 1942, elle est restée quelques semaines dans le camp d'internement de Beaune-la-Rolande, puis elle s'est cachée jusqu'à la Libération chez une famille, vivant à Vendôme (Loir-et-Cher). Arlette Testyler a perdu son père, décédé dans le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, après avoir été interné à Pithiviers.
C'est un témoignage historique, qu’elle veut d’abord factuel. Les dates sont précises, comme les noms et les adresses qu’elle évoque. Son récit ne doit pas être contestable car « les gens, les jeunes doivent savoir ce qu’il s’est vraiment passé, si on ne veut pas que ça recommence. »

L’opération « vent printanier »
Le 1er juillet 1942, il se rend à Paris pour imposer ses conditions : « Le rythme prévu jusqu’ici de trois transports hebdomadaires contenant chacun 1000 juifs devra être intensifié rapidement, en vue de libérer totalement et le plus vite possible la France de ses Juifs. » Jean Leguay, délégué de la Police de Vichy en zone occupée et René Bousquet, secrétaire général de la Police française, en serviteurs zélés, mettent au service de la volonté nazi quelque 4500 agents. Si bien que « Pas un soldat allemand ne fut nécessaire à l'accomplissement de ce forfait », comme le rappelait l'ancien Premier ministre Lionel Jospin, en 1997. « Cette rafle fut décidée, planifiée, réalisée par des Français. »
Le 12 juillet 1942, le directeur de la police municipale de Paris Emile Hennequin donne ses instructions : « 1. Les gardiens et inspecteurs, après avoir vérifié l’identité des Juifs qu’ils ont mission d’arrêter, n’ont pas à discuter les différentes observations qui peuvent être formulées par eux {…} 2. Ils n’ont pas à discuter non plus sur l’état de santé. Tout Juif à arrêter doit être conduit au Centre primaire {…} 7. Les opérations doivent être effectuées avec le maximum de rapidité, sans paroles inutiles et sans aucun commentaire. »
Des arrestations dans l’indifférence

Arlette Testyler
Dans le 3ème arrondissement parisien, au 114 rue du Temple, Arlette, sa sœur et sa mère sortent finalement de leur appartement avec leurs baluchons. Elles rejoignent les quatre autres familles juives de l’immeuble sous les regards indifférents des voisins. « On est descendues dans des autobus, les gens entendaient crier aux fenêtres, ils regardaient en catimini, bien sûr, personne n’a bougé. »
Bien des années plus tard, Arlette essaye toujours de comprendre leur attitude : « Bon, je sais, c’était la guerre, il y avait des privations, mais on ne peut pas rester indifférent à ce qu’on emmène des nourrissons, des nouveaux nés, sans rien ! ».
#VeldHiv - Survivre à la rafle
— CRIF (@Le_CRIF) July 16, 2021
A quelques jours de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, nous donnons la parole à celles et ceux qui ont vécu ces terribles journées du 16 et 17 juillet 1942.
Arlette Testyler
Ecoutez son témoignage intégral : https://t.co/23FXrgUTOd pic.twitter.com/SyyM0JacqC
« C’était dantesque »

Arlette est emmenée dans un bus vers le « centre primaire » : le Vélodrome d’Hiver. Le complexe sportif de la rue Nétalon, conçu pour accueillir 12 000 personnes, se retrouve vite surchargé.
« Vous connaissez l’enfer de Dante ? C’était dantesque. Rien n’avait été préparé, on n’avait pas à boire, on n’avait rien à manger, les sanitaires… Ce qu’une enfant de mon âge a pu voir, les suicides, les femmes qui se blessaient volontairement en espérant se faire rapatrier dans des hôpitaux, ce qui ne servait strictement à rien. On a vu arriver des nourrissons, des femmes qui accouchaient, qui étaient sur le point d’accoucher, des gens hurlaient, il y avait des hurlements, les micros qui marchaient toute la journée, la lumière qui était allumée jour et nuit… »
Arlette Testyler

Le calvaire continue pour Arlette et sa famille le 19 juillet 1942. Avec sa mère et sa sœur, elles reprennent l’autobus vers la gare d’Austerlitz où les attendent des wagons a bestiaux, pour les conduire au camp de transit de Beaune-la-Rolande, dans le Loiret. « Nous avons dû grimper dans des wagons à bestiaux, avec pour seule nourriture un bidon de lait et une boîte de sardines… Sans ouvre-boîte. » Le manque d’air, l’insalubrité, les cris des enfants s’ajoutent à la faim. « J’avoue que je ne peux toujours pas passer devant la gare d’Austerlitz, je ne peux pas y prendre le train. »
"Je fais partie des dinosaures de la Shoah. Après nous, il n’y aura plus rien. Il reste l’Histoire, à condition qu’elle ne soit pas déformée, ni rejetée par les révisionnistes. Tout cela me fait peur et me met en colère." https://t.co/jbZIQBeWXH
— Anne-Laure Le Jan (@A2LJ) July 12, 2022
Le réveil des Justes

Arlette, sa sœur et sa mère en profitent pour s'échapper du train.
Malka Reiman loue alors ses services de cuisinière "alsacienne" ou de couturière dans les fermes et envoie ses deux filles se cacher en Touraine. Malka survivra à la guerre mais pas au décès de son mari. Elle meurt en même temps que l'espoir de le voir revenir, le 7 janvier 1946.
En Touraine, Arlette et Madeleine ont été hébergées par Jean et Jeanne Philippeau. Des « Justes parmi les nations » qui, malgré leurs modestes revenus et de lourdes menaces, hébergent cinq enfants, dont quatre sont juifs. Pour Arlette, ce sont les enfants qui ont servi de déclencheur dans l’esprit des Français. « Je pense que quand ils ont vu les enfants partir, dans des wagons à bestiaux, ils se sont posés des questions, ces enfants ne pouvaient pas partir travailler en Allemagne. Et là, c’est un point sur lequel j’insiste beaucoup, car si la France a été le pays de la collaboration, il a aussi été les pays où l’on a sauvé le plus d’enfants. »
Repères chronologiques
Les familles avec enfants, soit environ 8 000 personnes, sont dirigées vers le Vélodrome d'Hiver, rue Nélaton, dans le XVe arrondissement de Paris. Ils s’entassent sans nourriture et avec un seul point d’eau. Une centaine de prisonniers se suicident. Les fuyards sont abattus sur-le-champ. 19-22 juillet : transfert des prisonniers vers des camps de Drancy, Beaune-la-Rolande et Pithiviers 5 août : déportation à Auschwitz des adultes et des enfants de plus de 12 ans Mi-août : déportation des plus jeunes enfants 1959 : destruction du Vélodrome d'Hiver, remplacé par un bâtiment du ministère de l’Intérieur.
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